• livre trois : chapitre deux

     

    Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

    Sujet :                     Expansion (l’) (2) 

    Section :                 histoire générale; économie générale ; stellologie

    Références extrait(s) :         tomes 28 à 34 ; 155 à 173 ; 404, 417 à 432 ;

    Sources générales :            tomes 3 à 5 ; 28 à 34 ; 155 à 173 ; 404, 417 à 432 ;

    Annexe(s) :       7 (astronomie générale) ;102 (xénozoologie)  ; 807 (spatiopropulsion)  ; 958 (xénogéologie)                 

     

     

    …/… car les territoires colonisés ou en cours de colonisation ne représentent au demeurant qu’une partie infime de la Galaxie, elle-même de taille fort modeste par comparaison au reste de l’Univers composé comme on le sait de milliards de galaxies analogues. Il ressort donc …/…

     

    …/… En préambule, il convient de revenir sur des notions très générales d’astronomie qui permettront au lecteur de se faire une idée plus réaliste de la tâche restant à accomplir. Pour ce faire, quelles meilleures sources auxquelles se référer que « l’Encyclopédie Impériale d’Astronomie Dynamique », reprise, complétée et corrigée à partir de 908 rc par Der Kelio et coll. et dont des extraits, notamment introductifs, nous permettront de mieux appréhender…/…

     

    …/… « La Galaxie représente un ensemble de plus de 150 milliards d'étoiles, principalement concentrées dans un disque oblong d’un diamètre de 30 kiloparsecs pour une épaisseur moyenne d’environ 400 parsecs. Elle est animée d'un mouvement de rotation autour de son centre, mouvement qui est mis en évidence par l'étude du déplacement des étoiles au voisinage du Soleil, resté pour des raisons historiques l’étoile de référence du système d’observation (ajoutons que ce mouvement se mesure aussi sur la raie d'émission de l'hydrogène neutre). Sachant que la vitesse de rotation d’une étoile dépend de sa distance au centre galactique (et que la variation de la vitesse en fonction de la distance au centre dépend du fait que les étoiles sont plus concentrées dans les régions centrales de la Galaxie, dont on a pu ainsi déterminer la masse totale, égale à 200 milliards de masses solaire), cette vitesse de rotation est, pour le Soleil, de 220 kilomètres par seconde, ce qui correspond à une révolution complète autour du centre galactique en environ 250 millions d'années, durée bien inférieure à l'âge de la Galaxie elle-même qui est de 13,8 milliards d'années.

    La plupart des étoiles qui forment notre Galaxie sont donc distribuées dans un système très aplati dans lequel le Soleil occupe une position excentrique, à environ 8 000 parsecs du centre. Le disque galactique contient également de la matière interstellaire très diluée – du gaz, un peu de poussière et quelques éléments dits « exotiques » - dont la masse est de l'ordre de un dixième de celle des étoiles (EIAP, extraits)…/…

     

    …/…Les bras spiraux de la Galaxie se propagent quant à eux à une vitesse angulaire constante de 130 km/s, (à la distance du Soleil par rapport à la région galactique centrale). Comme on vient de le dire, le Système solaire se déplace environ deux fois plus vite (à 250 km/s) et, tous les 200 millions d’années environ, traverse un bras galactique. Il y a 65 millions d’années, il se trouvait probablement dans le bras de la Carène [1] et est actuellement à proximité du bras d’Orion. Le Soleil est l'une des plus de cent cinquante milliards d’étoiles de la Galaxie : à cet égard, ni sa position ni ses propriétés intrinsèques ne sont exceptionnelles. Le spectre optique du Soleil le classe d’ailleurs parmi les étoiles les plus petites, c’est à dire parmi celles les plus communes. C’est pourtant à partir de cette étoile quelconque que l’espèce humaine a entrepris son avancée galactique dès le IIème siècle rc (EIAP, extraits) …/…

     

    …/… ce qui sous-entend que, en dépit de l’apparence considérable aux yeux de beaucoup de l’Expansion, initialement représentée par les huit quadrants historiques, la pénétration de l’Humain dans la Galaxie reste totalement marginale : « un grain de sable sur une plage d’inconnu » selon le poète Herstall. Par ailleurs… (EIAP, extraits) …/…                                                      

     

     

     


    2 

     

     

     Cela peut sembler étrange mais il aimait parler à sa propre image. Il marchait de long en large en s’observant à la dérobée ou, au contraire, s’asseyait face à lui-même et se posait alors des questions auxquelles son autre moi répondait souvent avec une acuité qui arrivait encore à le surprendre. Il étudiait son reflet vivant, le grain de sa peau, les mèches rebelles de ses cheveux, le reflet du décor dans ses yeux noisette. Ailleurs, il prenait le temps d'examiner ses gestes, ses attitudes, ses tics, jusqu’à ses plus infimes mimiques et en déduisait l’aspect que prenait son corps quand il se produisait dans le grand spectacle de la vie. Il se voyait comme le voyaient les autres et il n’arrivait pas à s’en lasser. Nombre de medipsy prétendaient qu’il fallait reconnaître dans une telle attitude – pour peu qu’elle fut fréquente ou suffisamment soutenue – un comportement pathologique, à la limite de la schizophrénie affirmaient même les plus décidés. Il n’en avait cure car, au delà de la fascination que lui inspirait son propre reflet décalé, cela lui permettait d’y voir plus clair et, pour lui, c’était suffisant. Il avait certainement eu du mal à régler la secaviz [2] spéciale mais le résultat en valait la peine. A présent, sa représentation holographique était programmée avec suffisamment de finesse, elle était suffisamment convaincante pour lui faire oublier la virtualité de la reproduction à laquelle il se confiait. L’ordiquant cherchait dans la banque d’images qu’il s’était constituée la séquence qui correspondait le mieux à sa composition du jour et son hologramme apparaissait avec les gestes, les interrogations, les états d’âme qui donnaient à leur histoire commune une cohésion totale. C’en était alors criant de vérité. Ainsi, pris à son jeu, il se mettait à vivre en double et se confiait ses doutes, ses ennuis, ses motifs de satisfaction. Il se répondait à lui-même, se rappelait des souvenirs ou des pensées oubliées, se consolait même, parfois. Il aurait pu aussi créer, par simulacres superposés, des scènes hallucinantes où il aurait été confronté, lui, le vrai, à des dizaines d’autres lui-même, tous plus convaincants les uns les autres mais il ne le désirait pas. Ce qui lui plaisait, c’était de se dédoubler, sans doute par souci d’être deux fois plus fort mais aussi pour se procurer la fallacieuse mais réconfortante impression de ne plus être seul avec lui-même. Cet étrange hobby répondait néanmoins à une profonde nécessité. Toutes ces scènes, tantôt plaisantes, tantôt terriblement sérieuses, jamais angoissantes, il les archivait pour une autre approche, extérieure celle-là, un moment très particulier où il regardait ses doubles raisonner, discuter et trancher. Lorsqu’il devait décider, c’était ce qu’il appelait sa dernière lecture, celle après laquelle il ne devait plus y avoir de retour en arrière.

    Les premiers résultats - ou pour être plus exact les premières impressions – de ses agents dormants au sein de l’ennemi semblaient aller dans le sens désiré : on commençait à douter de la fidélité de la quanticienne de Farber ce qui était exactement le but recherché. Gilto savait bien qu’il ne s’agissait que d’une première étape ; il fallait à présent, comme disent les bionats des échelons inférieurs, « imprégner le sourrat » [3] ce qui n’était pas aussi simple qu’il y paraissait tant les connaissances à leur disposition du fonctionnement du service ennemi étaient parcellaires. D’abord, il avait eu beau secouer les unes et les autres de ses taupes, il ne savait toujours pas quel était le degré d’implication de la Farbérienne dans l’analyse de prospective impériale : s’était-on contenter de mettre en application certaines de ses idées ou, au delà des apparences symboliques, lui avait-on confié la direction, la direction réelle, décisionnelle de l’affaire ? L’agent infiltré auprès d’elle aurait pu au moins leur apprendre ça mais un général universaliste borné et timoré avait interrompu prématurément l’opération. Une telle erreur d’appréciation avait dans un premier temps rendu Gilto malade de rage puis il avait décidé d’oublier ce sur quoi il ne pouvait plus rien. Il se posait ensuite la question de deviner la réaction des politiques et des militaires d’en face : à supposer que leurs doutes soient effectivement sérieux, avaient-ils encore la possibilité d’inverser leur approche ? Une grande machine de guerre comme celle de l’Empire possédait une force d’inertie gigantesque : en conséquence de quoi, il doutait que le changement de stratégie décidé, à supposer qu’il le fut, soit effectif avant longtemps. Restait toutefois une éventualité heureusement plus vraisemblable : la paralysie d’un exécutif impérial en proie au doute laissant aux Universalistes suffisamment de marge pour engager les batailles décisives sous les meilleurs hospices. C’était certainement sur cette hypothèse qu’il fallait travailler mais, pour cela, il fallait encore enfoncer le clou : trouver de quoi discréditer un peu plus la Farbérienne, et avec elle ses travaux, mais sans en faire trop ce qui, a contrario, pourrait sembler suspect. Délicat. Délicat mais tout à fait possible. Il imagina la quanticienne mise aux arrêts par ceux-là même qu’elle cherchait à servir, le simulacre de procès militaire qui s’ensuivrait (pas une cour martiale : c’était une civile destinée à un quelconque tribunal spécial) et sa neutralisation dans l’anonymat d’un vaisseau-forteresse. Une perte certaine pour l’humanité car Gilto ne doutait pas un instant que la femme apportait une lecture nouvelle de sa discipline mais comment procéder autrement ? Parfois, dans un conflit aussi désespéré que celui où ils se trouvaient engagés, il faut savoir accepter dans un premier temps de reculer afin de pouvoir préserver par la suite l’avenir du plus grand nombre. Il n’avait aucune haine contre cette scientifique – ce n’était de toute façon pas son genre – et même, d’une certaine manière, il éprouvait pour elle une sorte de sentiment presque bionaturel qui ressemblait à de l’admiration. Car, à y bien regarder, la femme ne cherchait dans l’affaire, ni les honneurs, ni le pouvoir et encore moins l’argent (sinon, depuis longtemps on aurait pu la retourner) mais le seul souci de faire avancer ses recherches. Ce qui la rendait d’autant plus dangereuse. Et dire que, dans d’autres circonstances, ils auraient pu être les premiers à l’approcher, à l’entourer, à lui offrir les ressources qu’elle recherchait…

              - Et toi, tu vois ça comment ? demanda-t-il à son double qui l’observait sans parler. Tu penses que cette… neutralisation sera suffisante ? Et comment imprégner le sourrat sans que cette avalanche de… mauvaises nouvelles pour nos ennemis ne finisse par leur devenir suspecte ? Et, d’ailleurs, ne…

              - Si tu me laisses en placer une au lieu de poser toutes les questions, le coupa son double virtuel, je te dirai ceci : la quanticienne ne compte pas, tu ne comptes pas, même Valardi ne compte pas. Qu’importent les destins individuels… Ce qui compte, c’est le but fixé, les moyens mis en œuvre pour l’atteindre et le temps raisonnablement estimé pour aboutir à la situation désirée.

               - Comme c’est bien dit ! s’exclama le vrai Gilto, en tout cas, le Gilto physiquement présent qui se rappelait parfaitement les différents instants d’enregistrement de ces bribes de monologues. Comme c’est noble tout ça et…

              - C’est ça, moque-toi, répondit l’image, l’air vexé. N’empêche que tu sais bien au fond de toi que j’ai raison. Tu le sais parfaitement. Donc, pour reprendre le cours de ma pensée, je te le dis : le but étant de déstabiliser l’ennemi, le plan consiste à l’atteindre là où il est le plus sensible, ou pour m’exprimer autrement, là où il est raisonnable de penser qu’il peut le plus douter de lui-même, là où il y aura le plus de résistances induites par ses choix… Tu me suis ?

                 - Fort bien. On dirait que tu lis dans mes pensées…

             - Très amusant. Je vois que tu as su garder ton sens de l’humour.

                - L’humour, ou ce qui y ressemble, n’est pas à vraiment parler une émotion et…

               - Bien, bien mais on digresse. Ce que je veux dire, c’est qu’il paraît logique d’attaquer le nouveau département de prospective générale des Impériaux, non seulement parce qu’il est mortellement dangereux pour nos intérêts mais surtout parce que c’est leur point faible.

                 - C’est bien ce que nous avons commencé à faire mais explique quand même, demanda Gilto à son hologramme bien qu’il connut déjà la réponse.

                 - Voilà. Les Impériaux sont comme tous les humains : quelques têtes pensantes plus ou moins douées et une masse de gens qui, soit n’ont pas les moyens intellectuels pour comprendre, soit n’ont pas l’information exhaustive nécessaire, soit ne sont tout bonnement pas intéressés. Ce qui, au bout du compte, fait…

                - … une importante population de gens qui ne comprennent pas les choix retenus par leur hiérarchie…

                - … et ce qui ne se comprend pas devient vite…

               - … sujet à contestation. Exact. Je vois que nous, en revanche, nous nous comprenons parfaitement.

             - Et la conclusion coule facilement de source : puisque nous avons déjà semé une certaine confusion chez les Impériaux…

               - … il suffit de très peu pour conforter l’affaire, conclut Gilto.

              - Très juste. Reste à décider comment. Nous avons déjà évoqué ce sujet et plusieurs possibilités sont envisageables…

               - Hmm…

               - …mais l’une d’entre elles me semble meilleure.

               - Je t’écoute, murmura Gilto en se renfonçant dans son biodiv.

     

     

     

              - Vous n’êtes pas au poste que vous occupez pour perdre votre temps et encore moins pour avoir des états d’âme ! murmura le prince Alzetto d’un ton d’autant plus sourd que sa colère paraissait profonde. Vous m’avez bien compris ? Je vous ai dit de vous méfier de la Troisième Assistante. Non pas que je la soupçonne d’avoir une quelconque sympathie pour la cause que nous combattons. Non, je suis certainement convaincu de sa parfaite loyauté à Sa Majesté mais… mais c’est une civile. Une civile, comprenez-vous ? Or, qu’on le veuille ou non, les civils n’entendent rien aux opérations militaires. Rien. Nous devons utiliser leurs compétences mais c’est à nous, et à nous seuls, que doit revenir le soin de décider de l’orientation à donner à nos actions.

    Alzetto marchait de long en large, triturant de temps à autre sa gapiche qu’il faisait passer d’une main à l’autre en une attitude d’agacement qui contrastait formellement avec le ton contenu de sa voix. Au garde à vous, Taler Areska n’en menait pas large. Elle fréquentait suffisamment le Prince pour savoir que ce contraste n’augurait rien de bon. Il lui restait simplement à espérer qu’elle n’était pas responsable de son humeur maussade, que quelque autre événement expliquait cette colère rentrée. Profitant d’un court moment de silence, elle essaya de se justifier.

              - Je puis vous assurer, Altesse, que je ne transige sur rien et que la Troisième Assistante ne semble pas vouloir…

    Alzetto venait de lever la main en un geste d’indifférence et elle se tut. L’homme s’approcha d’elle, ses yeux bleus perçants fixés sur elle jusqu’à l’en indisposer. Il savait parfaitement combien son attitude pouvait être intimidante et, tout en continuant de la fixer, il resta volontairement silencieux quelques secondes. Soudain, comme saisi d’une idée totalement différente, il baissa son regard et recula avant de lui tourner le dos. Taler Areska, immobile, les mains derrière le dos, se garda bien de réagir.

              - Vous aimez les femmes ? demanda ingénument Alzetto. Sa voix était redevenue normale.

                - Je… Heu… Mais… Votre Altesse, je, heu, ne comprends pas le sens de…

    Alzetto s’était retourné vers elle et arborait un sourire amusé.

              - Allons, allons, Commandant, ne vous formalisez pas. Nous avons là une conversation privée, une sorte d’entretien informel qui ne sortira jamais de cette salle, vous le savez bien. Notre secret, en somme. Mais, moi, j’ai besoin de connaître mes collaborateurs directs. De les connaître bien. Pour savoir ce que je peux attendre d’eux, vous comprenez… Parfois, il m’est nécessaire d’aller au delà de l’apparence officielle des uns et des autres, de dépasser… comment dire ?, la simple approche militaire. C’est donc à la civile qui est derrière l’uniforme que je m’adresse et je répète ma question : aimez-vous les femmes ?

    Puisque son interlocutrice restait dans le doute sur ce qu’il convenait de répondre, il ajouta :

                   - Ou pour être plus précis, arriveriez-vous à les aimer ?

    Les prunelles de Taler Areska qui étaient jusqu’à présent écarquillées par la surprise et l’incompréhension se rétrécirent d’un coup : elle venait de comprendre.

                - Votre Altesse veut me dire…  me faire comprendre… la Troisième Assistante… Vous me demandez de… devenir son amie… de… Est-ce un ordre, Altesse ?

               - Mais non, voyons, répliqua Alzetto. Je n’ai pas à vous ordonner des choses de ce genre. Je me demandais simplement si, par hasard… Ce n’était qu’une suggestion pour le cas où… Oubliez-ça. Nous avons des éléments plus importants à discuter. Vous êtes prête pour la réunion de synthèse ? Parce que je n’y assisterai pas : vous me représenterez.

    La jeune militaire acquiesça mais son attention était toujours fixée sur la remarque précédente de son supérieur. Elle ne s’y trompait pas : c’était un ordre.

     

     

     

     Depuis qu’elle exerçait une responsabilité au sein de l’armée confédérée, Velti avait certainement connu des colères mémorables. Pas des colères explosives qui auraient été mal comprises de ses soldats et encore plus de sa hiérarchie mais de ces colères rentrées, froides et profondes qui s’exprimaient par une attitude renfrognée et une irritabilité sous-jacente qui la rendaient alors difficilement fréquentable. Ce fut exactement son état d’esprit affiché dès son retour de Vargas-la-ville ou plutôt de sa virtualité. Velti ne décolérait pas et ce n’était pas l’attitude de Rogue qui aurait pu lui rendre sa bonne humeur : le Stenek lui semblait plus évasif que jamais, comme si le contact qu’ils venaient d’avoir avec Garendi ne le concernait pas, comme s’il n’était pas intéressé.

              - Enfin, Rogue, s’exclama sèchement Velti, vous ne me direz pas que tout cela a un sens ! Quoi, ces gens – sur lesquels nous tombons par hasard je vous le rappelle – nous transmettent un message destiné à nos plus hauts décideurs, ce qui n’est pas rien, puis disparaissent sans laisser de traces… Pfft, comme ça, sous nos yeux et sans que nous ayons la moindre idée de ce qu’ils veulent,  je veux dire de ce qu’ils veulent vraiment ? Et sans comprendre comment ils ont fait ? Et tout ça ne vous perturbe pas, vous ?

              - Écoutez, Velti, je…

           - Car ils sont quelque part, non ? Ou bien qu’on m’explique comment un droïde, un vrai, physiquement présent selon nos spécialistes et je les crois, s’envole dans la nature. Qu’on m’explique où sont passés le couloir, le PAMA, ces droïdes captifs, tout ce bazar qui était là, sous nos yeux, depuis le début et qu’on ne soupçonnait même pas. En tout cas, moi, parce que, vous, peut-être…

              - Non, je vous assure que moi non plus je…

             - J’ai tout fait sonder, par Bergaël ! Il n’y a rien. Rien ! Alors quoi ? Faut faire sauter toute la structure, en tout cas la salle du contact, c’est ça ? Mais comment ? Pour quel résultat ? Non, moi je vous le dis, ces gens sont plus forts que nous et c’est la raison pour laquelle nous avons du souci à nous faire…

              - Velti, si vous me laissez…

             - Ah, Rogue, ça suffit. On me l’a assez expliqué que vous étiez un simple observateur, une sorte de spectateur. Il est exact que, par la suite, je vous ai cru plus concerné… Mais j’avais tort. Au fond, tout ça ne paraît pas vous passionner et…

              - Mais, voyons…

              - Ah non, je vous en prie, le coupa la Confédérée, laissez-moi au moins réfléchir. Car je veux savoir, moi, je veux comprendre.

    Sans lui laisser la moindre chance de lui répondre, Velti fit demi-tour et s’éloigna à pas vifs, sans se retourner. Rogue regarda la mince silhouette disparaître sans un geste pour la sentinelle qui s’était mise au garde à vous. Le pire est qu’elle a raison, pensait-il. Cette extraordinaire démarche de l’ennemi – extraordinaire par le procédé diplomatique plutôt compliqué et inhabituel mais aussi par les moyens mis en œuvre – ne lui disait rien qui vaille. Qu’est-ce qui se cachait derrière tout ça ? Il voyait bien que ce n’étaient pas eux, Velti et lui, simples exécutants, qui étaient concernés mais il ne comprenait pas l’opération adverse : pourquoi ces mystères ? Pourquoi cette indéniable démonstration de force technique ? Il en saurait plus si on daignait lui faire part, sinon de la teneur, du moins du sens général du magnet à présent remonté jusqu’à l’État-major. La troisième Assistante le renseignerait, il en était certain. Dans l’attente, il voyait mal ce qu’il pouvait faire. Si ce n’est supporter la mauvaise humeur de la jeune femme que, de si loin, il était venu retrouver. Ce qu’il n’avait jamais regretté, même à présent.

     

     

     

     Joroan observait avec attention le soleil bleu qui s’apprêtait à disparaître derrière la colline escarpée. Depuis presque trois heures, son compagnon, le soleil rouge, s’était avant lui éclipsé. Du coup, la lumière ambiante, de bistre moyen, s’était parée d’un bleu étrange qui gommait les couleurs des terres et des montagnes. Il n’était pas facile pour un humain de se régler sur ces changements pourtant prévisibles mais toujours surprenants et Joroan n’avait dû qu’aux simulations d’entraînement de ne pas être totalement dépaysé. On disait même qu’à certaines périodes de l’année, probablement en fonction de l’éloignement respectif des deux binaires et d’éclipses plus ou moins complètes, la planète se paraît de teintes encore plus sauvages. Dans quelques minutes, l’obscurité allait se faire mais une obscurité elle-aussi inhabituelle, variable selon les heures et les endroits et donc d’autant plus traîtresse. Il n’était certainement pas question de s’y laisser prendre et Joroan posa son triglon sur ses genoux afin de mettre ses lentilles blook de vision nocturne qui feraient de lui un parfait prédateur de la nuit alcyonienne.

    Dès que l’obscurité vaguement luminescente eut envahi les terres, il se décida à progresser. Son objectif était des plus simples : atteindre la galerie de mine qui lui était assignée afin d’y déposer un APG, sorte de mélange de quantar et de radiant. Toutefois, l’appareil de détection qu’il était chargé de déposer n’était pas tout à fait comme les autres, trop volumineux et souvent difficiles à manier. Fruit de la haute technologie impériale, cet APG spécial (il semblait qu’on ne lui eut pas encore donné de nom) tenait dans une main et, selon ses concepteurs, était d’une fiabilité à toute épreuve. Joroan l’espérait fermement car il n’avait absolument pas envie de risquer sa vie pour un outil susceptible de tomber en panne dès sa mise en service. Progressant lentement pour ne pas alerter les dispositifs de surveillance ennemis – mais, en raison de la particularité du lieu, il y avait de toute façon peu de chance – il imagina les autres Steneks qui, au même moment, se dirigeaient comme lui vers les objectifs qu’on leur avait désignés. Bien qu’il ne soit guère un esprit frondeur et donc susceptible de contester les décisions qu’on prenait en haut lieu, il se réjouissait de l’action entreprise sur la planète après ce qui était apparu comme des semaines d’inertie. Ce n’était pas encore la contre offensive impériale, la vraie, mais on en sentait les prémisses et il était heureux d’y participer.

    Comme prévu par son protocole de mission, il entra en action à 1h00 et s’approcha sans crainte du puits dénommé Drelka selon la bizarre habitude des Farbériens de baptiser la plupart de leurs sites stratégiques de noms célèbres chez eux (les chefs de la Stenek 29N3 dont dépendait Joroan avait choisi l’appellation ô combien moins poétique - mais certainement plus militaire - de KR 2.07 pour désigner l’endroit). En réalité, s’il n’avait eu son système de positionnement par satellite – son seul lien, à sens unique, avec les siens puisque toute autre forme de communication était rigoureusement interdite -, Joroan aurait pu passer dix fois à proximité de sa cible sans même en soupçonner l’existence. Dans la trouble nuit bleutée, il ne s’agissait que d’un contrefort de caillasses comme il en existait des milliers au pied de ces montagnes. Il observa autour de lui les quelques ombres qui étaient accessibles à ses lentilles blook mais rien, nulle part, ne bougeait. Rassuré, il se pencha vers le puits et entreprit de l’examiner. C’était une sorte de tunnel vertical camouflé par la roche plate qu’il venait de soulever et dont le diamètre permettait à peine le passage d’un seul homme sans équipement lourd. A quoi pouvait bien correspondre cette ouverture alors que les entrées principales du terminal d’exploitation se trouvaient à plusieurs centaines de mètres de là ? Il n’en savait strictement rien et supposait qu’il s’agissait là encore d’une bizarrerie des Farbériens… Il arrima solidement le socle du système magnétique avant de laisser se dérouler l’échelle proprement dite, échelle étant d’ailleurs une appellation abusive puisque l’engin ressemblait plutôt à une corde à nœuds très spéciale. Un regard de plus sur son environnement puis la descente dans le tunnel de roches inégales. Quatre-vingt cinq mètres de profondeur avait affiché son écran de contrôle et, de fait, moins de vingt secondes plus tard il sentit le sol sous ses bottes. D’un doigt sur sa console de commande, il replia l’échelle qui regagna son socle en haut. Le puits s’étant élargi sur ses derniers mètres, il se trouvait à présent dans une espèce de rotonde qui, bien que  rudimentaire, donnait presque à Joroan une impression d’espace. A la lueur de sa torche mixte à infrarouge, il repéra comme prévu l’entrée du conduit latéral et, avant de s’y engager, entreprit une nouvelle inspection de son équipement. Satisfait, il essaya ensuite une respiration naturelle mais revint à son masque filtrant presque aussitôt : comme il s’y attendait, à cette profondeur et à cet endroit, l’air était plus que rare, conséquence probable d’une terraformation incomplète qui, déjà en surface, posait problèmes aux quelques résidents sur le site. Alcyon B était vraiment  une terre inhospitalière.

    Pour le Stenek, le problème était double. D’une part, il devait progresser dans cet univers hostile jusqu’à l’endroit choisi et, d’autre part, revenir rapidement à son point de départ sans avoir été repéré, l’exfiltration étant programmée douze heures à partir du début officiel de la pénétration. Il avait largement le temps mais se devait d’être prudent : la mine, pour une raison qu’il ne connaissait pas, s’étendait sur des kilomètres par des tunnels tous à peu près semblables. Cela n’inquiétait pas réellement Joroan qui avait connu une aventure de ce genre bien des années auparavant ; il s’agissait alors d’une petite planète d’un lointain système stellaire où il avait gardé un très mauvais souvenir d’un périple dans les fondations d’une citadelle ennemie aux souterrains certes moins étendus mais truffés de droïdes vindicatifs : ici, au moins, s’il ne commettait pas d’erreur, il ne verrait aucun droïde de combat… Il intégra son point de départ théorique sur son ordiquant et s’engagea dans le conduit. Chaque trente mètres, il abandonna à même le sol une capsule de repérage, minuscule microprocesseur indétectable car de trop faible portée mais que son programme informatique reconnaîtrait sans peine lors de son retour. On avait même envisagé la malfonction ponctuelle d’un de ces marqueurs, anomalie qui resterait sans conséquence car compensée par la capsule suivante. L’objectif était facile : l’APG choisirait lui-même l’endroit le plus propice à son espionnage discret. Ce que feraient des renseignements ainsi glanés ses supérieurs n’était plus de son ressort. Il estimait à moins de deux heures son voyage souterrain, retour et sortie du puits vertical compris.

    Alcyon B, une planète jusque là oubliée de tous excepté des représentants locaux de la république de Farber et de quelques bureaucrates du cadastre impérial quelque part sur Terra, était devenue du jour au lendemain un nom célèbre : imaginez, une des trois ou quatre réserves connues de xantinum ! Et peut-être même la plus importante, qui pouvait savoir ? Il y avait certainement là de quoi aiguiser l’appétit de bien des gens… Officiellement, la découverte était confiée à une organisation suprastellaire, le CIS [4], mais tout le monde savait bien que des luttes sournoises avaient opposé pratiquement tous les intervenants majeurs de la galaxie, système politiques ou économiques, voire les deux à la fois, avant que le conflit généralisé ne s’installe. Pour l’heure, la guerre avait paru reléguer la petite planète triste aux confins d’un oubli provisoire mais si personne ne l’évoquait vraiment, tous y pensaient puisque, en somme, il faudrait bien également gagner la paix.

    La mine proprement dite s’organisait autour de trois puits principaux, un seul d’entre eux, le deuxième, s’étant révélé positif en xantinum. Ce minerai indispensable au transport bon marché à très grande vitesse avait été une découverte fortuite et pour tout dire totalement inattendue dans cette banale mine de nickel d’une planète de quatrième catégorie. Joroan savait par conséquent que sa mission était importante, qu’elle était vraisemblablement de celles qui, anodines en apparence, pouvaient secondairement donner à l’avenir une trajectoire différente. N’aurait-il pas été un Stenek qu’il aurait de toute façon multiplié les précautions pour la mener à bien. Sa progression fut rapide malgré le souterrain malcommode où de temps à autre sa grande taille l’obligeait à se pencher. Parfois, un conduit latéral s’ouvrait sur une obscurité anxiogène trahissant alors un lacis de couloirs souterrains dont Joroan n’arrivait pas à comprendre les raisons pour lesquelles les droïdes farbériens les avaient creusés. L’atmosphère était étouffante, presque brûlante par moment, ce qui contrastait vivement avec la surface de la planète qu’il venait de quitter, habituellement glaciale, même en plein jour. Bientôt, les entrées latérales se firent plus nombreuses puis l’APG se mit à palpiter de plus en plus vite : Joroan comprit qu’il touchait au but. L’instrument déciderait alors de lui-même le meilleur emplacement pour sa dépose et le Stenek n’aurait plus qu’à faire demi-tour pour les trois ou quatre kilomètres souterrains de son retour.

    Dans sa main gauche, la soudaine minuscule vibration de l’APG le surprit car l’endroit où il se trouvait était en tous points semblables à ceux qu’il venait de parcourir mais, bon, c’était la technique qui décidait ! Il observa les deux extrémités visibles – quelques mètres à peine – du conduit, deux entrées latérales presque côte à côte juste sur sa gauche, la saillie d’une roche au milieu du passage. Rien que de très banal. Il s’accroupit et entreprit la dépose du minuscule engin à présent inerte. Il le cala contre la paroi à l’aide d’une petite pierre, s’enquit de l’absence de toute humidité encore que cela n’eut pas été réellement préoccupant et se redressa. Dans ses blooks spéciaux, la torche infrarouge éclairait vaguement les parois du souterrain mais l’APG, pourtant à ses pieds, se confondait parfaitement avec la paroi. Il haussa les épaules. Sa mission était accomplie mais pas de quoi en tirer une fierté démesurée tant elle lui avait paru facile : presque un travail de droïde !

    Sur le retour, à deux reprises, il se félicita d’avoir jalonné son chemin : il lui aurait été impossible de choisir tant les conduits se ressemblaient et se mélangeaient dans la lumière atténuée de ses lunettes infrarouge. Tout se ressemblait et il avait beau creuser sa mémoire, il lui semblait impossible de décider avec certitude – malgré le soin porté à essayer de tout noter mentalement à l’aller - quel était le bon conduit, celui qui conduisait au puits où l’attendait son échelle, son unique chance de salut. C’est alors que l’ordiquant arrêta brutalement de le renseigner. Il y avait bien le signal de la microbalise qu’il venait de dépasser mais, face à lui, c’était le désert, le vide, l’obscurité. Il avança de quelques mètres - heureusement pas de boyau latéral donc pas de chance de se tromper - puis rebroussa chemin : il tenait à tester l’ordiquant sur la dernière balise rencontrée. L’appareil paraissait fonctionner normalement et affichait le numéro de la sonde : VG606. Quelques mètres encore en arrière et VG605 re mplaça le chiffre précédent. Tout était normal. Pourtant au delà de la balise 606, il ne captait plus rien. Cela voulait dire qu’au moins deux balises ne répondaient pas. Et peut-être même trois car il aurait dû intercepter un écho même lointain de celles qui se trouvaient en amont. Comment cela était-il possible ? Il secoua la tête et, à proximité de la 606, décida de faire un point sommaire. Bien que peu fatigué par sa marche, il s’assit sur le sol inégal et ferma les yeux pour recouvrer son calme.

    Bon, pas de raison de s’inquiéter, pensa-t-il. Il me reste encore beaucoup de temps avant l’heure fixée pour le regroupement et mon autonomie en air filtré et en lumière reste plus que suffisante. Reste seulement à savoir ce qui se passe avec ces saloperies de balises : une panne matérielle ou une contre-mesure inattendue ? Dans les deux cas, je suis quand même mal, conclut-il.

    Il dépassa à nouveau la balise 606 dans l’espoir un peu fou d’avoir précédemment mal effectué ses relevés mais il dût se rendre à l’évidence : plus loin, c’était le silence. Joroan décida de ne pas se laisser démoraliser. Il s’était déjà sorti de situations autrement compromises. Ce qu’il lui fallait, c’était compenser l’absence de repères par la mise en place progressive d’un nouveau réseau. Il lui restait suffisamment de balises opérationnelles pour recréer un chemin. Evidemment, pour avancer, il devrait se fier si possible à ses souvenirs mais peut-être surtout à son intuition. Il estima qu’il devait être à mi-parcours de la sortie, soit un peu moins de deux kilomètres. De ce fait, il lui fallait semer ses balises vers l’avant à partir de la 606 et, s’il ne trouvait rien, y revenir pour essayer un autre itinéraire. Et avec un peu de chance faire la jonction avec les microprocesseurs encore en service en amont s’il en existait. Fastidieux, probablement éprouvant mais au bout du compte certainement efficace. Il ne chercha pas à envisager une nouvelle panne de signalisation car, en pareil cas, il le savait, sa situation deviendrait quasi-désespérée.

    Ses premières tentatives restèrent infructueuses : il reprit les balises abandonnées au sol à l’exception de la première d’entre elles qui marquait ainsi le chemin qu’il ne fallait plus prendre. Heureusement, les micropuces se recalaient d’elles mêmes sur la précédente ce qui lui facilitait le travail. Toutefois, même comme ça, il comprenait toute l’immensité de la tâche qu’il lui restait à accomplir : tant de tunnels à explorer, tant de possibilités offertes, tant de routes se terminant en impasse, ou le ramenant vers son point de départ, preuve qu’il avait tourné en rond, ou bien se poursuivant, au delà des deux kilomètres prévus, vers l’inconnu et la mort quasi-certaine. C’était en définitive un labyrinthe et Joroan se demanda parfois si ce n’était pas cela l’explication de cette profusion de souterrains qui l’avait étonnée au début de son parcours. Mais pour tromper qui ? Pour compliquer l’exploration de quel ennemi ? Pourquoi protéger ainsi sur cette insignifiante planète une mine jusqu’il y a peu sans importance ? Décidément, les Farbériens étaient un peuple plutôt incompréhensible.

    Ce fut à la quatorzième tentative qu’apparut une lueur d’espoir. Il était temps : épuisé par l’angoisse et ses marches ininterrompues, il se sentait exténué. Il lui sembla reconnaître le passage et, de fait, arriva enfin au puits de sortie, dans ce qu’il appelait la rotonde. Il se positionna au centre de l’espèce de petite pièce et appela son échelle magnétique. Rien ne se passa. Au bout de plusieurs tentatives, il dût se rendre à l’évidence : soit son ordiquant ne commandait plus le matériel, soit celui-ci avait été retiré mais comment cela aurait-il été possible ? Il lui fallait donc s’élever à la force des poignets. C’était très risqué mais envisageable. D’ailleurs, avait-il le choix ? Dans l’axe exact du puits, il éclaira sommairement le conduit au dessus de lui et crut remarquer… Il redonna la lumière et sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale : aucun doute, le conduit était bouché à mi-hauteur. Il parcourut de sa lampe à infrarouge les parois de la rotonde. A présent qu’il faisait attention, il percevait les différences. Cet endroit n’était pas son conduit de sortie. Tout à sa joie d’avoir cru trouver la bonne issue, il s’était volontairement fourvoyé. Il avait tellement eu envie de réussir ! Il se laissa tomber contre la paroi, découragé. Pour un peu… Non, un Stenek ne renonce pas face à l’adversité. Il faisait partie des forces spéciales les mieux entraînées de la Galaxie et lutterait jusqu’au bout. Le seul moyen d’y arriver, c’était de recommencer. Encore et encore. De ramasser à nouveau ses balises. De les repositionner à nouveau selon un schéma différent et, si cela ne marchait toujours pas, de recommencer. C’était cela la solution. L’unique solution. Sa confiance à nouveau revenue, il se releva et alla même jusqu’à sourire sans s’en rendre compte en imaginant la tête de ses collègues quand il leur raconterait ses frayeurs rétrospectives. Joroan reprit sa route d’un pas volontaire, presque enjoué à présent, et se mit en quête d’un chemin de sortie qu’il ne trouva jamais.

     

     

     

                   - Alors, voilà ce que l’on sait, commença Vliclina. Vous me direz si vous êtes d’accord avec mon analyse ou si vous pensez que je me trompe.

    L’Impériale se pencha vers l’écran de l’ordiquant sécurisé. Elle l’activa tactilement, comme pour se rafraîchir la mémoire mais abandonna aussitôt la lecture des différents rapports multimédias qu’il affichait et se retourna. Elle observa Taler Areska, immobile un peu en arrière d’elle.

              - Nous savons à peu près avec certitude que notre Universaliste est sincère dans ses affirmations. Personne n’aurait pu résister au déconditionnement que nous avons utilisé et qui, au passage, lui a probablement coûté sa santé mentale mais c’était son choix. Personne ! Ce qui me ramène à mon observation : il n’a pas pu consciemment nous mentir. Par ailleurs, c’est, semble-t-il, quelqu’un d’élevé dans leur hiérarchie. Pas un sous-fifre qu’on sacrifie au hasard. D’où mon interrogation de départ : soit nous avons affaire à quelqu’un qui détient une information effective – et c’est plutôt mauvais pour notre quanticienne et dramatique pour nous -, soit il s’agit d’une entreprise de désinformation de haut vol dont on peut assez facilement percevoir le but et les implications. Qu’avons-nous comme éléments pour nous permettre de trancher ?

    Taler s’était silencieusement portée au côté droit de Vliclina et observait à son tour l’écran. Bien que son attitude fût parfaitement banale, cette présence si proche mit cette dernière mal à l’aise sans qu’elle puisse se l’expliquer. Elle s’écarta et décida de s’asseoir sur le biodiv. Se renversant légèrement en arrière, elle croisa les jambes et, fixant la jeune militaire avec attention, poursuivit.

                   - L’information rapportée est isolée, c’est vrai, mais de qualité. Isolée cependant. D’ailleurs, s’il y avait eu tout à coup d’autres remontées du même genre, cela me serait apparu comme particulièrement suspect et je suis certaine que nos ennemis – s’ils sont derrière tout ça – l’ont forcément compris. Reste la pertinence de l’information. L’individu interpellé, comment se nomme-t-il déjà… Galomba, oui… l’a été semble-t-il par hasard. Parce qu’il a rencontré sans le savoir un de nos agents cryptiques et qu’il en est tombé passionnément amoureux… C’est aussi bête que ça.

                     - On en est sûr ? Je veux dire, cet agent cryptique, on peut avoir confiance en elle ?

                       - Sa hiérarchie le pense et je n’ai pas de raison de mettre en doute leurs affirmations. J’ai bien sûr fait procéder à une enquête relativement approfondie sans résultat tangible. Mais vous la connaissez puisque vous l’avez reçue avec moi. Vous avez pu vous faire une idée.

    Taler haussa les épaules sans répondre.

                     - Vous avez raison, poursuivit Vliclina. On ne peut jamais savoir avec certitude mais pour le moment… En tout cas, j’ai demandé à ce qu’on la suive de près mais c’est bien tout ce que je peux faire. Revenons au principal. Si la citoyenne Glovenal est un agent infiltré, je vous laisse deviner la panique… notre analyse prospective à reprendre, certainement dans sa totalité… sans compter les choix déjà arrêtés… les décisions parfois difficiles mises en pratique… un désastre. Un désastre dont les conséquences n’apparaîtraient, hélas, qu’au fur et à mesure des mois à venir. Mais… je ne veux pas y croire et d’ailleurs je n’y crois pas. Non, je ne crois pas à cette hypothèse et cela pour plusieurs raisons. La première étant que je connais à présent Bristica… Bristica Glovenal depuis des mois et que rien, je dis bien rien, ne vient étayer une éventuelle trahison de sa part et j’ajouterais ni même une manipulation à son insu. Je m’empresse de préciser que la Première Assistante partage mon analyse et vous connaissez sa méfiance. De plus, Bristica a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat dont elle s’est sortie presque miraculeusement et… Non, tout cela me semble absurde. Et remarquablement bien joué de la part… des gens d’en face. Cela étant, je reconnais volontiers qu’il s’agit d’une opinion personnelle qui n’est guère étayée par des faits très précis.

                   - Humm, cela ne me paraît pas de nature à emporter la conviction de Son Altesse : vous savez combien il aime s’en tenir aux faits, aux faits seuls, remarqua Taler.

    Elle était venue s’asseoir à côté de Vliclina et donnait l’impression d’être perdue dans ses pensées. Après un moment de silence, l’Impériale reprit la parole.

                    - Je le sais, Taler, je le sais bien. C’est la raison pour laquelle j’ai d’abord pensé lui adresser un rapport faisant état d’éléments tangibles de nature à disculper la quanticienne. Et face au regard désapprobateur de son interlocutrice, elle s’empressa d’ajouter : si je vous en parle, c’est précisément parce que nous pensons que ce serait une grave erreur. Non, je vous propose de présenter la situation au Prince Alzetto telle qu’elle nous apparaît actuellement. A savoir que nous ne pouvons conclure ni dans un sens, ni dans l’autre mais que… il lui faut nous faire confiance. A moi, à la Première Assistante et évidemment à la citoyenne Glovenal. Du moins pour l’instant… Vous savez, Taler, je me faisais la réflexion ce matin que le monde est étrange. Nous sommes entourés d’une technologie omniprésente, nous confions nos destins à des machines dont certaines sont perfectionnées au delà de l’entendement et pourtant… pourtant, au bout du compte, c’est le facteur humain qui l’emporte. Nos impressions, notre perception de l’Autre, c’est cela l’important. Je ne sais pas s’il faut s’en réjouir ou s’en alarmer mais c’est ainsi.

    Les deux femmes restèrent côte à côte, silencieuses. Puis Vliclina se leva, interrogeant du regard la militaire toujours assise avant de déclarer :

                     - Bien, je pense que nous avons fait le tour de la question. Pour le moment. A vous revoir, Commandant.

    Elle s’éloigna de sa démarche féline.

     

     

     

     Le major-général Catermeler activa la gov [5] de sa combi militaire ce qui entraîna le relâchement de l’ensemble du tissu synthétique. Il se sentit immédiatement soulagé : il savait que la bouffée de chaleur qui le laisserait moite de transpiration viendrait quand même mais il pourrait ainsi mieux la subir. C’était un geste qu’il ne se permettait que lorsqu’il était certain d’être seul. Il se laissa tomber sur le biodiv de son cube de commandement et observa une fois encore, mais plus distraitement, les données qui dansaient sur le mur lui faisant face. Catermeler était un homme grand mais corpulent et fier de l’être, même si son apparence physique ne correspondait pas aux critères en vigueur à l’époque dans la Galaxie. Cela lui était indifférent. A l’image de son père trop tôt disparu, il tenait à cette silhouette inhabituelle et avait toujours refusé l’aide des ordimédics lui proposant les régimes – et les médications - appropriés. Il se sentait bien ainsi, un point, c’est tout.

    Il soupira imperceptiblement mais ce n’était pas l’inconfort physique qu’il ressentait qui était en cause. Les rapports et les données qu’on venait de lui soumettre, voilà quelle était la raison de son incertitude. Car ils étaient formels, ces rapports : le Service de Documentation du Premier Quadrant lui signalait sans erreur possible des troubles à venir au sein de plusieurs unités opérationnelles d’active et là résidait le désagrément véritable de sa situation. Catermeler savait que le Contre-espionnage militaire se trompait rarement. Il était donc nécessaire d’opposer promptement une réponse au problème. Et si action il y avait, c’était à lui, major-général de la Première Armée, donc décisionnaire sur le sujet, de trancher.

    Or Catermeler était universaliste. Il l’avait toujours été. De tout son être et par tous les pores de sa peau. Universaliste comme son père avant lui et même comme la plus grande partie de sa famille. Il était absolument convaincu de la justesse de cette idéologie : c’est la raison pour laquelle il avait très tôt adhéré à l’organisation secrète, rendue presque sectaire en réalité par la traque dont, de tout temps, elle avait été la victime. Mais être Universaliste dans l’Empire de Baldur II était loin d’être facile, surtout pour un fonctionnaire de haut rang comme lui. Il avait durant des années été obligé de feindre, de mentir, de donner des gages à l’administration, de prouver à ses supérieurs, à ses collègues, à tous, qu’il était un farouche adversaire de la pensée galactopolitique qu’il chérissait en secret. Cela lui avait été dur, éprouvant au point d’en être meurtri et d’en devenir par moment presque mentalement instable. C’était le prix à payer pour la victoire finale.

    Agir. Quoi qu’il lui en coûte, il lui fallait agir, c’est à dire définir une position. Mais agir dans quel sens ?

    Agité intérieurement mais ne le montrant guère, il se leva et, sans se presser, alla se verser une liqueur ambrée du nom poétique de lansea, [6] sorte de décoction très peu alcoolisée – mais très sucrée – de glork. Il revint au biodiv, son verre à la main et croisa les jambes en un geste de décontraction qu’il était loin de ressentir. Il se mit même à chantonner un air à la mode, histoire de donner le change. Il était pourtant certain de ne pas être observé mais c’était une règle qu’il ne transgressait jamais : ne jamais quitter la défensive. Jamais. C’était cela la grande force qui lui avait permis de franchir tant de vicissitudes.

    Agir donc. Bien entendu, il y aurait une réunion pour définir une décision finale, peut-être même plusieurs et avec du beau monde : il verrait défiler tout le gratin de la hiérarchie militaire plus quelques civils d’importance. Mais il ne fallait pas s’y tromper : c’était à lui et à lui seul d’indiquer le sens de l’action. Il hésitait néanmoins car le problème était complexe : s’il ordonnait l’élimination des meneurs – une purge pour parler simplement – au sein des unités combattantes, il y aurait des dizaines de mises aux arrêts, des rétrogradations et, pourquoi pas, quelques exécutions pour l’exemple. Ce n’était pas du tout cela qui le gênait. D’abord, ces gens étaient des ennemis pires que les autres puisque, en somme, ils se révoltaient parce qu’ils trouvaient que les choses n’allaient pas assez vite au sein des armées impériales. Ils voulaient en découdre, ces crétins. Et en découdre avec ceux là même dont il faisait partie, lui, le major-général Catermeler. Ensuite, qu’on le veuille ou non, ces soldats étaient des rebelles prêchant la désobéissance, des traîtres en réalité. Oui, mais, laisser les troubles s’amplifier, c’était accroître sérieusement les chances militaires universalistes : certes, on finirait bien par réagir mais le plus tard serait certainement le plus violemment, donc avec un maximum de dégâts. Tandis qu’intervenir dès à présent… Il imaginait les agents universalistes infiltrés dans l’armée qui devaient faire leur possible pour amplifier le mécontentement, certains d’entre eux manifestement au risque de leurs vies. C’était un comble que ce soit lui qui mette un terme à cette action ! Pourtant… Il s’était résigné à prendre discrètement contact avec l’Universalité, sous la forme de son agent traitant du plus haut niveau. Son correspondant, une femme au visage sévère, lui avait répondu plutôt sèchement que sa position était plus importante que les militaires à sanctionner… Observation que Catermeler avait trouvée absurde. Cela ne répondait pas à la question et ne lui était d’aucun secours. Il aurait absolument préféré qu’on lui dise de laisser faire. Au risque de se découvrir par son inaction mais…

    Il claqua des mains pour réactiver son ordiquant central et demanda rêveusement la présence de son ordonnance. La chaleur qui avait envahi précédemment tout son être s’estompait lentement. Il avait presque pris sa décision : il allait probablement suivre les conseils de sa correspondante universaliste. Au fond, l’Universalité avait peut-être d’autres projets pour lui et puis il était avant tout un soldat. Et un soldat, ça obéit.

     

     

     

     Lorsqu’elle avait reçu l’ordre de l’État-major de regagner le Quartier Général de son unité « le plus diligemment possible et par tous moyens appropriés » selon l’expression exacte du droïde estafette qui était venu la trouver dans la forteresse souterraine (un droïde, même pas un bionat ! avait-elle remarqué avec colère), Velti avait rapidement eu l’impression que quelque chose se tramait. La procédure n’était certainement pas habituelle mais, plus que cela, c’était l’ordre lui-même qui lui posait problème : si quelque chose, un début d’explication, un indice pouvaient être trouvés sur la raison profonde de l’existence du bâtiment souterrain dont on lui devait la découverte, ce n’était pas sur Lommis Gamma, siège de l’Autorité conjointe quadrantale (c’était ainsi qu’était appelée la structure locale censée organiser l’homogénéité d’action entre forces impériales et confédérées « non universalistes ») qu’elle le pourrait. Bien qu’elle ne fût pas officiellement relevée de son commandement, cet éloignement soudain y ressemblait. Du coup, la jeune femme se demanda ce qui se complotait : il était exclu – en tout cas, c’était son analyse – qu’on lui reproche quoi que ce soit. N’avait-elle pas du mieux possible fait face à une situation complexe pour laquelle on lui avait demandé d’agir selon sa conscience. Alors, pourquoi cette convocation ? Disposait-on d’éléments nouveaux ? Velti aurait bien aimé en discuter avec Rogue mais le Stenek avait disparu, prétextant une demande subite du service dont il dépendait. L’Impériale blonde sans doute. Jamais là quand elle avait besoin de lui, avait-elle soupiré avec amertume. Ou bien lui aussi ?

    La navette spéciale qu’on lui avait affectée semblait n’être venue que pour elle : isolée dans le salon d’accueil de l’appareil, entourée par une foule de droïdes ordonnances lui proposant qui une talide, qui une stéréoviz voire quelque boisson plus ou moins élaborée, elle rongeait son frein. Plus le temps passait, moins sa situation lui inspirait confiance. Peu habituée à ce type de confort habituellement réservé aux militaires de haut rang – ce qu’elle n’était assurément pas – elle se sentait mal à l’aise. Elle décida de se plonger dans son ordiquant perso et passa en revue les éléments dont elle disposait sur la forteresse inconnue puis développa son rapport sur sa visite dans la virtualité de Vargas-la-ville jusqu’à en faire une espèce de journal de voyage dans lequel elle chercha à n’omettre aucun détail, décidant même d’y intégrer quelques impressions personnelles, une chose que la militaire qu’elle était avait en horreur. Au moins, pensa-t-elle, j’aurai ainsi une version courte et une version longue de toute cette pagaille. Même ainsi, son voyage n’en finissait pas : le pilote, un biocyborg plutôt sympathique, était venu lui expliquer en personne qu’ils devaient effectuer plusieurs détours en raison de la « situation de belligérance ». Enfin, lasse de tout ce temps perdu, elle se replia sur son programme de Gaétane qui, lui au moins, lui rappelait un univers connu. Fatiguée par le voyage qui avait duré près de dix heures, elle posa un pied hésitant sur le stermire rutilant de l’astroport militaire de Lommis Gamma puis, se reprenant, elle secoua sa lourde chevelure noire et, découvrant ses dents très blanches, s’avança en saluant vers le petit groupe de soldats venu l’accueillir. On lui rendit brièvement son salut. Il s’agissait de militaires inconnus d’elle. Des militaires, vraiment ? Pas si sûr. Des Impériaux, évidemment, à en juger par leurs uniformes « qui n’étaient pas de chez elle », pensait-elle en suivant ses mystérieux réceptionnaires, mais plutôt des membres d’un quelconque service spécial. Elle demanda poliment où on la menait mais, puisqu’on ne lui répondait pas, elle décida de se réfugier dans un mutisme salvateur. Elle n’était pas encore inquiète mais cela en prenait le chemin.

    Velti ne broncha pas tandis qu’on la transférait d’un engin amphibie typiquement militaire jusqu’à un aérotrain des plus civils. Par la fenêtre de la voiture, elle regarda défiler le paysage plutôt monotone de Lommis Gamma, une planète administrative comme il en existait des milliers. Son regard paraissait suivre les bâtiments furtivement rencontrés mais son esprit était à l’affût de la moindre possibilité de se soustraire à cette expédition inquiétante qui, de plus en plus, ressemblait à une arrestation en bonne et due forme mais effectuée par des gens qu’elle ne connaissait pas, qui n’était pas de son bord, des gens en qui elle n’avait aucune confiance. L’aérotrain s’arrêta enfin alors qu’elle commençait à désespérer. Une station anonyme, sans aucune indication particulière. Aucun nom, notamment, que, de toute façon, elle n’aurait pas été en mesure d’interpréter. Était-elle même seulement sur Lommis Gamma ? Qu’est-ce qui le lui certifiait puisqu’elle n’était encore jamais venue ici ? Le pilote de la navette spatiale ? Certainement aux ordres, lui aussi. Son ordiquant ? Il était peut-être manipulé à son insu. On l’introduisit dans un bâtiment anonyme mais sérieusement gardé par une escouade de droïdes en tous genres. S’il fallait s’enfuir, c’était maintenant mais pour aller où ? Un PAMA ascensionnel, d’autres couloirs sécurisés. Encore des droïdes de surveillance. Ca n’en finissait pas ! Enfin, une grande salle circulaire aux murs totalement transparents donnant sur la ville triste en contrebas. On était au sommet de la petite tour. Un homme lui tournait le dos, apparemment perdu dans la contemplation de ce panorama insipide. Elle sut qu’il s’agissait de Rogue avant qu’il ne se retourne.

                 - Cette fois, vous allez m’expliquer, murmura-t-elle d’une voix sourde de menace.

              - Velti, Velti, mille excuses ! s’exclama le Stenek en se dirigeant vers elle, le poing sur le cœur. C’était le seul moyen valable pour…

                   - Je viens de vous demander de vous expliquer…

                - Oui, bien sûr. Toutefois, nous serions mieux dans le local adjacent. Je ne vous ai fait venir ici que parce que…

                   - De vous expliquer tout de suite…

    Rogue soupira imperceptiblement et lui désigna le biodiv central. Velti hésita puis, haussant les épaules, s’assit sur le bord du biodiv. Elle était si tendue qu’un geste maladroit, une parole malencontreuse auraient suffi à faire exploser la colère, la rage plutôt, qui l’avait envahie.

              - Alors, voilà, commença-t-il. Notre service de contre-espionnage a fait procéder à une contre enquête suite à notre…

                    - Quel service, dîtes-vous ?

                 - On l’appelle l’Interface d’Éclairage mais, en réalité, c’est une émanation de la Douba [7] qui est…

                    - Je sais ce que c’est…

                 - Donc, ces gens m’ont informé que nous devions subir une déprogrammation qui…

                    - Nous ?

                   - Tous ceux qui ont participé à l’exploration de la structure souterraine…

                    - Tous ceux qui… Pourquoi ?

                   - Parce que… C’est assez difficile à expliquer… Je veux dire, assez difficile à croire mais…

                - Allez-y. Je suis prête à tout mais, cette fois, je vous suggère d’être convaincant parce que… laissa en suspens Velti, secouant la tête avec un léger sourire. Elle donnait l’impression d’être calme, réceptive, prête à accepter l’explication de tous ces mystères, pourtant ses yeux brillants démentaient son apparente tranquillité. Elle se renversa en arrière mais se redressa dès que Rogue s’approcha pour s’asseoir près d’elle. Ce dernier l’observa attentivement comme s’il doutait de pouvoir librement lui dire ce qu’il avait en tête puis il se lança.

                   - Autant vous le dire d’emblée : tout ce qui nous est arrivé sur Drefel 2, je veux dire, arrivé dans le sous-sol, dans la forteresse, tout ça est faux… ça n’a jamais existé… Enfin, je veux dire…

                    - Ça n’a jamais existé ? Rogue, vous êtes devenu fou. Jamais existé ? Vous croyez que je vais avaler ça ? Qu’il n’y avait pas de passage secret, pas de droïde. Que nous n’avons jamais rencontré ces gens ?

                  - Non, c’est à dire si mais… Pas comme vous… comme nous croyions…

                  - Rogue, Rogue, je ne comprends rien à ce que vous dîtes. Qu’est-ce que c’est que ce charabia, cette…

                     - Ce n’était pas ce qu’on croyait !

                     - Pas ce qu’on…

    La confédérée s’immobilisa soudain comme si elle avait été frappée par une idée subite.

                   - Attendez. Attendez. Vous voulez dire que tout n’était qu’un conditionnement hypnotique, un… Comment dit-on déjà ?

                       - Un programme d’hallucinations hypnagogiques.

                     - Et vous dîtes que… Non, ridicule. Grotesque. Je ne vous crois pas.

    L’attitude de Velti démentait ses dénégations. L’idée faisait son chemin en elle et, petit à petit, elle commençait à entrevoir la faisabilité de l’opération et à en apprécier les conséquences. Le Stenek la laissa réfléchir et ce fut elle qui rompit le silence.

                       - Alors, ça expliquerait pourquoi on n’a jamais rien trouvé malgré tous nos efforts. Oui, oui, je commence à comprendre. J’imagine que vous êtes certain de ce que vous avancez ? Bien. Mais dans quel but… pourquoi cette mise en scène ? N’était-ce pas plus simple de… Attendez, ça veut dire que tout le monde, tous les intervenants ont été… ont été conditionnés… C’est impossible.

                         - Au contraire, c’est la seule explication et…

                         - Alors, nous avons été manipulés de bout en bout…

                    - Une remarquable prouesse technique, souligna Rogue. C’est peut-être cela le plus préoccupant.

                    - Attendez, Rogue, il y a quelque chose qui ne va pas. Conditionnement, dîtes-vous ? Donc programme établi à l’avance… Or, c’est bien là-bas, vous vous souvenez, que vous avez reçu le message de votre 3ème assistante, que nous avons réfléchi en fonction des données qui nous avaient été communiquées… par nos propres services. Personne ne pouvait savoir, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Alors, comment cette manipulation aurait-elle pu avoir lieu ? Impossible.

                        - Sauf – et c’est semble-t-il bien le cas – si le programme n’a été mis en place que dans la petite salle où nous avons trouvé… cru trouver ce droïde. Très peu de monde concerné. Quelques participants, en réalité… Et, rappelez-vous aussi, dans cette base, jamais de droïdes opérationnels. Ca nous étonnait, vous vous souvenez ? Vous l’aviez remarqué : tout se passait comme si les droïdes n’existaient pas. Il leur était impossible d’interagir avec la structure… seuls les bionats… Parce qu’un programme de ce type devait nécessairement exclure les droïdes qui n’y auraient pas été sensibles… Oui, dans cette petite salle… Et tout ça n’a pas duré si longtemps. Deux heures, pas plus. Ca a été vérifié par l’ordiquant central. Un conditionnement modulé et…

                        - Attendez voir. Et le magnet ? Il existait bien lui.

                    - Disposé à l’avance. C’est le programme qui en donnait l’accès.

                        - Et pourquoi tout ça ? Dans quel but ?

                        - Que voulez-vous que je vous réponde, Velti. Je n’en sais pas plus que vous. Une expérimentation grandeur nature ? Le désir d’impressionner nos forces ? Un moyen de communiquer plus directement et sans passer par certains canaux ? Tout ça à la fois ? Quoi qu’il en soit, j’ai tenu à vous le dire personnellement et en priorité. Dès que je l’ai moi-même su.

    Velti se leva et se mit à marcher de long en large, tête baissée et mains derrière le dos. Rogue se leva à son tour mais s’approcha du mur translucide. Dans le jardin en contrebas – une sorte de cour semi-circulaire plutôt – une armée de droïdes s’évertuait à remplir un porte container avec des sortes de caisses en acier. Malgré l’aide de tractopelles anti-g, la progression de l’affaire paraissait laborieuse. Il sentit la jeune femme se porter à ses côtés. Sans tourner la tête, il l’interrogea.

                        - Ça vous ennuie ? Le déconditionnement, ça vous ennuie ?

    La confédérée se contenta de hausser les épaules en un geste difficile à interpréter.

                          - Çà devrait bien se passer, vous savez, poursuivit Rogue. Je vois mal quel aurait été l’intérêt de ces gens de nous… de nous conditionner pour je ne sais quoi. Une simple précaution en somme.

    Il tourna la tête en même temps qu’elle. Dans la lumière cendrée de Lommis, le visage de la jeune femme semblait plus bronzé qu’à l’habitude mais le bleu de ses yeux était si incroyablement lumineux que le Stenek en eut le cœur serré.

     

    suite ICI

       tous droits réservés / copyright 943R1K2


    [1]  Pour une meilleure compréhension, les appellations natives ont évidemment traduites en celles couramment utilisées de nos jours.

    [2]  Secaviz : dispositif ordiquant destiné à générer des images holographiques pouvant être secondairement enregistrées

    [3]  imprégner le sourrat : transformer l’essai

    [4]  CIS : conseil interstellaire de sécurité

    [5]  Gov (une) : puce électronique incluse dans certains vêtements et permettant leur paramétrage.

    [6]  Lansea-tel ou lansea : à peu près « opaline cendrée »

    [7]  Douba : service de contre-espionnage et d’exfiltration de l’armée impériale


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :