• livre trois : chapitre six

    Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

     

    Sujet :                                                    Derisor 

    Section :                                                histoire générale

    Références extrait(s) :             tome 122, pp. 452 et suivantes ; tome 9, pp.          174 et suivantes 

    Sources générales :                tomes 8 et 9

    Annexe(s) :          102 (xénozoologie), 958 (xénogéologie), 27 (systèmes                               stellaires périphériques) 

        

       

    …/… Par la suite, des traces d’une vie relativement évoluée furent retrouvées en 891 rc sur la planète Derisor (système de Rigel, 2ème quadrant), en réalité des fossiles de vertébrés rappelant parfois ceux des temps anciens de Terra nommés dinosaures ou grands sauriens en raison de leur allure reptilienne. Si certains caractères peuvent effectivement être rapprochés des représentations numériques de cette période terrestre encore en notre possession et des restes retrouvés par la suite lors de la réalisation des réseaux souterrains de Terra (par exemple, une certaine forme de gigantisme, l’antériorité des espèces marines, etc.), les fossiles identifiés sur Derisor relèvent de lignées animales très différentes, éteintes depuis plusieurs milliards d’années. Cette découverte relativement tardive souleva l’enthousiasme des scientifiques mais la méfiance des autorités religieuses qui …/…

     

    …/… puisque c’était la seule planète de l’univers connu ayant abrité une Vie relativement évoluée. Il n’est donc pas étonnant que, à partir de la mise au jour des « fossiles dorisoriens », la planète elle-même ait été associée à cette immense découverte : c’est la raison pour laquelle, dans certains endroits, elle est plus connue sous le nom de « planète scientifique (ou des scientifiques) ou « planète de la science ». Progressivement, une importante infrastructure fut localement mise en place, d’abord uniquement pour assurer l’observation et le décryptage des fossiles dérisoriens mais par la suite également dans des domaines n’ayant que très peu à voir avec la paléontologie ou la xénozoologie. Par exemple, en 794rc, les autorités de tutelle en charge du développement de la planète encouragèrent la création d’un département de xénogéologie afin…/…

     

    …/… un lieu d’échanges scientifiques important qui, dans certaines disciplines, arrive presque à concurrencer les départements correspondants de Terra ou de Vargas. De fréquents congrès, séminaires, symposiums, etc. sont à présent organisés par les autorités de Derisor dont la majorité d’entre eux ne concerne pas - ou seulement de très loin - la paléontologie exotique. C’est dans cette optique très spéciale que bien des scientifiques cherchent à venir sur la planète au moins une fois dans leur vie, de préférence le jour de la tenue d’un point d’information concernant leur domaine, afin d’y rencontrer collègues étrangers et amis, mais aussi pour y envisager des vacances studieuses qui…/…

     

      

     

    6

      

     

    Rogue sortit de la réunion avec Garendi et ses comparses d’encore plus mauvaise humeur que lorsqu’il y était arrivé. Il se promit de ne plus jamais participer à ce genre d’opérations, lui qui n’était qu’un soldat et certainement pas un politique ou un diplomate. Il en parlerait au plus tôt à la Troisième Assistante, il se le jura. A contrario, Velti ne partageait pas son point de vue : elle était tout simplement soulagée d’avoir accompli cette mission qui l’avait tant inquiétée. Elle avait essayé de mémoriser un maximum des informations délivrées par le Vargassien qui, il faut bien le dire, avait passé les près de deux heures de leur entrevue à pérorer, rarement interrompu pour une précision de l’un ou de l’autre de ses compagnons, à l’exception notoire du soldat confédéré plongé dans un mutisme réprobateur. Garendi était dans son élément, à tourner en rond, faire semblant de réfléchir pour asséner ensuite des informations assez disparates et plutôt difficiles à retenir. Heureusement pour elle, bravant les interdictions pourtant fort claires de l’odieux personnage, Velti n’avait pas hésité à solliciter son ordiquant de poignet pour y enregistrer ou y inscrire à l’aveugle ce qui lui semblait incompréhensible, le bouclier de confidentialité ne désactivant heureusement pas les dispositifs inclus dans son périmètre de couverture. Elle arriverait certainement à reconstituer tout cela et elle espérait fermement que Rogue en avait fait de même car de cette façon, à eux deux…

              - Non, je n’ai pas directement enregistré ce que nous a raconté le bonhomme, argumenta-t-il. J’étais trop persuadé qu’il y aurait une espèce de contrôle a posteriori, ou je ne sais pas, moi, un dispositif espion ou un truc du genre mais, apparemment non. Alors, bravo, vous avez certainement eu le nez fin et, moi, j’ai eu tort. Mais, ne vous inquiétez pas, Velti, j’ai quand même noté les références chiffrées qu’il a évoquées… Pour être sûr.

    La jeune femme haussa les épaules sans répondre.

              - Par contre, poursuivit le stenek, vous avez vu que son adjoint, là, Gard, il a…

               - Gord. Gord pour Gordan-Manir.

             - Oui Gord. Quand il m’a pris à part, à la fin, eh bien, il m’a… il nous conseille de rester quelques jours sur Soulika… pour donner le change… parce que si quelqu’un nous surveille, un aller-retour trop rapide peut sembler suspect et…

             - Ça vous va bien à vous de dire ça !  le coupa Velti. Vous avez votre machin spécial pour communiquer direct avec votre chef…

               - le dagbad ?

            - Oui, vos infos seront tout de suite diffusées à qui de droit mais moi je…

             - C’est vrai, Velti, le dagbad me simplifie la tâche mais rappelez-vous que ce n’est pas comme dans le Kha, ce n’est pas direct comme vous dîtes mais… d’accord, vous avez raison, c’est quand même très rapide et… Écoutez, je vous propose quelque chose. On reste ici, disons, deux-trois jours. On profite des festivités locales… pour ne pas paraître suspects, pour donner le change en somme, et puis, vous vous faîtes rappeler par votre hiérarchie au plus vite… Un truc urgent, n’importe quoi. Et moi, comme je ne veux pas rester seul ici, eh bien, je pars avec vous. Qu’en pensez-vous ?

    Velti marchait de long en large dans le cube de vie, comme plongée dans une profonde réflexion. Le stenek suivait la mince silhouette dans sa combi noire et argent et il ne pouvait s’empêcher de constater combien la jeune femme à présent comptait dans sa vie. Il était absolument certain que ce n’était pas seulement une simple aventure agréable : il y avait autre chose entre eux, il avait du mal à définir quoi. Elle releva la tête, ses yeux bleus étincelant de malice, et se planta devant lui avec ce sourire qu’il aimait tant chez elle..

          - Vous savez quoi, lui lança-t-elle, c’est d’accord, on va faire comme ça.

    Il lui rendit son sourire.

     

     

         Elle n’en revenait toujours pas. Trev avait beau se rejouer encore et encore la scène dans sa tête, elle ne comprenait pas comment elle avait pu se laisser berner de la sorte. Il est vrai que le commando avait été affaibli par la mort de Swann que la mine flottante avait pulvérisé alors qu’il franchissait en rampant l’entrée du deuxième shorpe[1]. Un épouvantable coup du sort. Malgré ses années d’entraînement et son endurcissement durant tant de combats, elle avait senti les larmes - de rage, de chagrin, de regret, elle ne savait pas vraiment - lui couler sur les joues, derrière le métal transparent du casque intégral qu’elle portait, heureusement aveuglé pour l’extérieur. L’incompréhension et la colère. La tristesse, ce serait pour plus tard. Repli quelques dizaines de mètres en arrière pour faire le point avec le reste du commando. Deux hommes et deux femmes dont elle évidemment. Les communications avec l’autorité centrale formellement interdites ne facilitaient pas la prise de décision. Cette décision - Continuer ? Se replier ? Attendre d’hypothétiques renforts ? - ce n’était pas à elle de la prendre mais à Vernisse, leur chef de groupe. Elle se souvenait s’être un bref instant détournée des autres afin d’ouvrir son casque et essuyer ses larmes : il ne fallait certainement pas, en plus de tout ce grand désordre, qu’on s’aperçoive de son petit moment de faiblesse. Vernisse était un excellent soldat qui avait fait ses débuts sur Alba-Malto, puis, par la suite, toute sa carrière dans les rangs des sarpes de Carsus. Il avait sa pleine confiance. Relevant la tête, Vernisse s’était rapproché des trois autres et donné ses ordres : on oubliait le shorpe qu’on allait contourner pour rejoindre le front d’attaque qui suivait l’avancée des droïdes. Agir, en somme, comme cela avait toujours été prévu : on pleurerait la mort de Swann plus tard, lorsque la mission qui avait coûté la vie à leur camarade serait achevée. En dépit de la fatigue et du désarroi moral, il fallait continuer, à nouveau escalader des ruines, contourner les ouvertures béantes laissées par les bombes-laser, franchir les flaques d’eau croupie abandonnée par une quelconque rupture de canalisation sur un sol à présent rendu inégal. Elle faisait tout particulièrement attention à ces pièges banals mais elle n’avait pu s’empêcher de glisser sur le bord d’une de ces flaques et, voulant reprendre son équilibre un peu trop brutalement, avait basculé en sens inverse, dévalé une sorte de petite pente de végétation visqueuse et atterri tête la première sur un mur de soubassement. Elle était restée interdite quelques secondes mais sans jamais perdre connaissance, le casque ayant largement amorti le choc. Et c’était ça, le problème : le casque avait été sérieusement endommagé puisque sa visière était devenue muette ; impossible de savoir où étaient les autres ! Elle avait remonté en catastrophe la petite pente mais, arrivée en haut, elle avait dû se rendre à l’évidence : elle était seule. Elle avait contemplé son environnement qui était particulièrement insignifiant et avait décidé d’avancer dans la direction que les autres avaient probablement prise. Mais pourquoi ne l’avaient-ils pas attendue ? Étaient-ils en train de la chercher ? Elle releva la visière de son casque, inutile de toute façon, et tendit l’oreille. Au loin, un bruit étouffé rappelait le roulement du tonnerre sur Efim, sa ville natale de la planète Vargas mais en plus sourd et en plus monotone : assurément les échos de l’offensive confédérée. Rien de proche néanmoins. Elle avança lentement, à moitié courbée, se cachant d’abord parmi les débris des constructions, puis allant de plus en plus vite au fur et à mesure que son angoisse s’accroissait d’être seule au sein de ce chaos. Ensuite elle se disait qu’elle faisait une trop belle cible pour le cas relativement improbable où des soldats ennemis se seraient risqués au sein de leur offensive ; elle ralentissait alors ses mouvements pour un temps mais abandonnait à nouveau sa prudence les secondes passant. C’est arrivée près d’un manège, oui d’un manège pour enfants encore relativement préservé, qu’elle avait entendu la voix de Vernisse et, d’un coup, un immense soulagement avait envahi tout son corps. Sauvée. Les autres étaient tout proches. Le manuel de la sarpe expliquait que, dans une action collective d’assaut, un soldat isolé et sans repères ne peut pas espérer survivre plus de six minutes. En fait, elle avait survécu plus longtemps que ça et elle était toujours opérationnelle !

                    - Par ici, la haie, là, devant vous, lui cria Vernisse. Sous le cillypenda, il y a une ouverture !

        Elle s’avança, se pencha sous l’arbre aux feuilles palmées, bondit par-dessus un mince obstacle de verdure et se retrouva face à un droïde. Pendant un très court instant, désorientée, elle resta immobile. Que faisait ce droïde… Qu’est-ce que…

            - Allez, venez par ici, reprit la voix mais ce n’était manifestement pas la voix de son chef.

         Elle se retourna vers la haie qu’elle venait de franchir. La tenant en joue avec un éclateur, une mince silhouette en combi bleu-marine lui fit signe d’approcher de sa main libre. Trev avait immédiatement reconnu un biocyborg impérial et, sans qu’on le lui ait demandé, elle tomba à genoux. L’esprit en totale confusion, elle ne pouvait que se répéter : comment ai-je pu être si stupide ? Comment ai-je pu être bernée si facilement ? Elle n’en revenait pas.

                      - Remettez vos armes au citoyen droïde et approchez.

         Sentant la peur s’emparer d’elle peu à peu, presque tétanisée par le retournement si inattendu de sa situation, elle ne bougea pas.

                    - Allez, relevez-vous et approchez, reprit le biocyborg. Il ne vous sera fait aucun mal, je m’y engage.

         Trev releva la tête. Son ennemi n’avait pas l’air particulièrement agressif, ni même irrité par son apparente apathie. Grand, brun, le visage halé et les yeux gris, il semblait presque amusé par la situation. Mais que peut-on déduire de l’attitude d’un biocyborg, impérial ou pas ? Peu de choses. Rien en fait. Ce qui était certain, c’est qu’elle était prise, seule avec ces soldats ennemis sortis de nulle part et elle ne pouvait certainement pas compter sur le reste de son commando évaporé elle ne savait où. Elle frissonna comme au sortir d’un cauchemar, se releva lentement, attentive à gérer au plus juste l’absence de provocation de ses gestes et elle jeta son paralysant, son fusil-laser et, pour faire bonne mesure, son couteau-tremble que le droïde aurait de toute façon trouvé. Sur des jambes flageolantes, elle s’approcha de l’Impérial et se campa devant lui. D’une voix qui prenait de l’assurance au fil des mots, elle se mit à réciter ses titres selon le code de procédure militaire en zone de combat.

              - Je suis le soldat-éclaireur Trev Alern, matricule 128AA53BX, Sarpe Bel-Digor,  planète Carsus, membre de la Confédération des Planètes Indépendantes et, en tant que tel, selon le traité de Mez-Antelor, je demande…

         Le biocyborg, impassible, la laissa s’exprimer sachant parfaitement que ce qu’elle égrenait d’une voix à présent monocorde n’avait pas la moindre importance. Même elle ne pouvait l’ignorer. Elle se tut après avoir présenté ses titres une deuxième fois et un court silence s’installa.

            - Je sais ce que vous pensez, reprit l’officier impérial. Vous vous dîtes : si je gagne suffisamment de temps, mes camarades vont venir me tirer de ce mauvais pas. Et, sinon eux, d’autres soldats amis. Vous avez faux sur toute la ligne ! Il n’y aura pas de patrouille confédérée miracle, vos appuis sont trop éloignés, je puis vous le garantir. Quand à vos trois camarades, j’ai le regret de vous apprendre qu’ils ont été neutralisés par le groupe d’intervention que je dirige. Eux étaient géographiquement très proches et il n’aurait pas été prudent de notre part…

         Trev s’était à nouveau mise à trembler de tous ses membres tandis que la boule qui lui serrait la poitrine était revenue, gagnant chaque seconde en intensité. Elle se savait au bord d’un malaise réel et se laissa à nouveau tomber sur ses genoux, tête baissée et respiration saccadée. Le groupe détruit… Ses camarades… Tout ce qu’elle avait de réel, d’authentique dans ce conflit… Elle peinait à réaliser l’étendue du désastre et l’intensité de son propre chagrin encore à venir. Toutefois, à présent, elle le savait avec certitude, elle était perdue.

          -  … ce qui amène la question suivante : que va-t-on faire de vous ?  poursuivait le biocyborg. Normalement, puisque vous avez évoqué Antelor et décliné votre identité, il me suffirait de vous considérer comme captive de mon unité afin de vous adresser secondairement à un centre de rétention… Mais voilà où se situe mon problème et accessoirement le vôtre : ici et maintenant, nous avons l’ordre de ne faire aucun prisonnier. Aucun. Officiellement, nous ne sommes même pas là. Mais puisque, d’autre part, vous nous avez vus et identifiés, il ne saurait être question de… Vous comprenez à présent la réalité de mon dilemme ?

       Elle releva la tête et dévisagea son ennemi pour y reconnaître une empreinte sarcastique voire sadique mais non : l’Impérial paraissait sincère sur sa présence qui le gênait manifestement dans l’accomplissement de sa tâche. Une tâche qu’elle ne connaissait pas, qu’elle ne voulait pas connaître, dont elle se moquait absolument. Mais elle n’arriverait certainement pas à les en convaincre. En conséquence, elle savait parfaitement ce qui allait lui arriver : le droïde - ou peut-être même le cyborg - allait la « terminer ». Le hasard. Au mauvais endroit, au mauvais moment et voilà tout ! La simple malchance. C’était ça qui allait faire basculer sa vie dans le néant. Cela aurait été bien le moment de s’en remettre à la religion et à ses sauveurs mais elle n’était pas croyante. Elle soutint quelques instants le regard de son ennemi puis détourna les yeux presque nonchalamment pour observer aux alentours les feuilles des arbres qui bruissaient doucement. Elle repensa au jardin de la famille à Efim qui ressemblait un peu à ça. Elle n’avait presque plus peur et reportant son regard sur la silhouette qui lui faisait face, elle se jura que jamais, jamais, elle ne supplierait. Quoi qu’elle fasse elle était perdue, alors elle ne lui donnerait pas ce plaisir : ce serait sa petite victoire sur le sort contraire.

             - Je vais vous demander de vous asseoir la tête complètement baissée avec vos mains par-dessus, lui ordonna son ennemi. Voilà, c’est ça. Ne bougez surtout pas, c’est bien compris ?

       Recroquevillée sur elle-même, elle avait fermé les yeux mais elle les rouvrit en comprenant que, de toute façon, il lui était impossible de voir ce que faisaient les deux soldats. Les yeux grand ouverts même fixés sur du vide ! C’était cela qu’on apprenait sur Vargas ; on y prétendait que, quoi qu’il se produise, on ne meurt jamais les yeux fermés ! Elle attendait le coup, probablement de triglon, qui allait venir en sachant que ce serait si brutal qu’elle n’aurait même pas le temps de se rendre compte… Elle tremblait de tous ses membres mais ce n’était pas vraiment de peur. La tension, l’adrénaline probablement. Et il était vrai que… Mais que c’était long, ces ordures faisaient durer le plaisir ! Tant pis car, quoi qu’il en soit… Elle releva la tête, écarquilla les yeux : le biocyborg avait disparu. Elle se retourna. Elle était seule. Se pourrait-il que … ? Elle se releva, fit quelques pas comme dans un état second. Oui, vraiment seule. On aurait pu croire que rien de ce qu’elle venait de vivre ne s’était produit. Elle se retrouvait dans l’état où elle était juste avant de tomber dans le piège, ses armes en moins. Alors, c’était vrai, en définitive, il l’avait épargnée. Sans doute avait-il jugé qu’elle n’était qu’un pion tout à fait secondaire ou qu’elle n’avait rien appris sur leur présence et encore moins sur les raisons de cette présence. Tout de même, il aurait pu neutraliser un soldat ennemi mais il n’avait pas jugé bon de le faire. Pourquoi ? Par miséricorde ? Un biocyborg impérial ? Elle n’y croyait pas et pourtant elle était là, vivante. Elle ramassa son casque, secoua ses cheveux et, encore incrédule, se mit en marche en direction des lignes confédérées, vers la sécurité.

      

     

       Elle chercha à se relever mais, au tout dernier moment, renonça. Pour ce qu’elle en savait le monstre gluant qui la pistait depuis des heures n’était pas loin mais, s’il ne possédait pas un excellent odorat, il avait en contrepartie une des visions les plus perçantes de cette partie de l’univers : il était sensible au moindre mouvement sur des kilomètres. Plus encore, il paraissait capable d’identifier ceux de la proie qu’il avait prise en chasse parmi des milliers d’autres. Velti porta sa main lentement vers sa poche fémorale droite à la recherche de son triglon. Rien à faire. La poche était vide et elle devait se rendre à l’évidence : elle avait perdu son arme lors de sa dégringolade vers les égouts de Majoric, la ville qu’elle et son groupe étaient censés pacifier. Pacifier, tu parles ! Dès le début, ça avait mal tourné, avec ce cargueur si lent à les déposer et surtout l’absence de réception au sol. À se demander ce qu’étaient devenus les commandos d’initialisation… Désintégrés par une force hostile ou occupés déjà à commencer le nettoyage ? En tout cas, on ne les avait pas vus et il avait fallu improviser. Enfin, commencer à improviser… Parce qu’ils n’avaient pas eu le temps de faire plus. Les espèces de torpilles huileuses les avaient immédiatement attaqués et, à présent, elle s’en traînait une. Et ces… choses ne lâchaient jamais prise. Jamais. Bon, on ne s’affole pas. Elle rampa sur sa droite, vers le plan incliné d’où elle avait chuté pour espérer remonter vers ses appuis. La chose était à cinq mètres d’elle et la regardait de ses six yeux qui, tous, la fixaient. Elle pouvait même voir leurs réflexes d’accommodation pour trouver le meilleur angle d’attaque. Son cœur s’arrêta. Foutue. Elle était foutue. Elle vit la chose se mettre à trémuler, son corps oblong se préparant à sauter sur elle. Velti savait que cela irait vite. Elle ferma les yeux mais un chuintement les lui fit rouvrir. Une sorte de rayon jaune venait de frapper la chose - elle pouvait en voir la rémanence sur la peau visqueuse de son prédateur - et l’avait immobilisée. Temporairement ? Ou destruction définitive ? Elle ne se posa pas la question et, se relevant d’un coup, elle se jeta sur sa gauche, à l’aveuglette. Elle sauta par-dessus divers débris, contourna un pan de mur puis un arbuste qui la gifla brutalement au passage, se mit à courir aussi vite qu’elle pouvait compte tenu de son équipement sur une sorte de trottoir rapide relativement libre d’obstacles longeant un mur d’un blanc éblouissant, tourna à nouveau sur sa gauche dès qu’elle le put et se trouva face à un édifice bleuté. Pas de fenêtres, une simple porte du même métal bleuté qu’elle poussa. Contre toute attente, la porte s’ouvrit et, toujours conscient que d’autres choses gluantes pouvaient être à ses trousses, elle avança.

              - Vous n’auriez pas dû, lança le droïde qui, à présent lui faisait face. Trop imprudent, vous savez.

       L’homme mécanique n’hésita pas. Il leva son bras droit et la visa au thorax. Le rayon laser frappa Velti de plein fouet alors qu’elle s’y attendait le moins. La douleur, différée d’une à deux secondes fut abominable, atroce, excruciante. Sa respiration s’arrêta net et elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Sa tête heurta violemment le sol mais elle était déjà presque morte. Sa vision du sol et d‘un mur vitré se brouilla, passant curieusement en noir et blanc avant de progressivement s’estomper. Puis le noir absolu. Définitif. Elle n’existait plus, n’avait jamais existé.

       Puis, d’un seul coup, la nuit profonde disparut pour laisser place à une pâleur intense au sein de laquelle peu à peu des couleurs apparurent. Puis des formes et la présence d’un droïde qui la guidait gentiment vers l’aire de repos. Elle était morte et voilà qu’elle était vivante. Quelques secondes encore et son cerveau embrumé s’éclaira. Elle était sur Soulika et tout ça n’était qu’un jeu. Oui mais si réel, si réel ! Rien à voir avec un passage en virtualité, immobile sous le contrôle d’un droïde captif. Dans ce jeu insensé, elle avait couru, sauté, plongé, s’était débattue en tous sens mais chaque fois sans le savoir sous le contrôle attentif d’assistants droïdes qui la surveillaient attentivement. Elle avait discerné le plus petit choc sur son corps, senti sur sa peau le moindre contact, respiré mille odeurs étrangères, vécu chaque seconde comme totalement réelle. Et surtout, contrairement à une virtualité holographique où on reste toujours quelque peu en retrait, où on sait à chaque instant qu’on vit des scènes artificielles, ici, elle avait totalement adhéré aux scènes haletantes proposées. Tous ses souvenirs, sa façon d’anticiper les événements, même ses réflexes, ses automatismes si longtemps travaillés avaient été présents à chaque instant… Tout était réel, connu depuis toujours à la seule exception du motif de sa présence. C’était hallucinant, totalement prenant. Elle en tremblait encore.

       Velti était toujours sous le choc de son jeu lorsqu’elle retrouva Rogue un peu plus tard dans le salon de détente de leur section ludique. Il l’attendait patiemment et écouta avec intérêt les explications dithyrambiques sur ce qu’elle venait d’expérimenter. Lui avait choisi un tout autre exercice : une partie de borqual sur une planète périphérique où il devait affronter une équipe de droïdes plus ou moins télépathes qui arrivaient à anticiper la plupart de ses actions. Frustrant mais parfaitement dépaysant.

             - C’est cette sensation de mort, Rogue, vous comprenez, qui était si terrifiante, chuchota Velti. La douleur. La tristesse. Partir de façon si inopinée. Un déchirement…

       Le stenek se rapprocha de la jeune femme et la prit dans ses bras. Elle tremblait imperceptiblement et il pouvait ressentir son désarroi : il la serra contre lui. La voix les fit sursauter et ils levèrent brusquement les yeux vers la silhouette qui s’était approchée sans être vue.

           - Alors, vous aussi, vous profitez de cette extraordinaire interface de jeux. C’est bien, non ? Moi, j’ai choisi un truc bizarre…

       Gordan-Manir, l’assistant de Garendi, se tenait devant eux, les mains derrière le dos, balançant sa grande silhouette légèrement d’avant en arrière.

              - Imaginez, poursuivit-il. On me propose de piocher dans mes souvenirs et de me faire revivre certaines scènes de mon passé, revoir des gens qui ont disparu, des gens qui sont morts, des situations qui m’auraient marqué mais que je pourrais revivre différemment si je le désire. Aucune conséquence psychologique, aucune dérive comportementale. Promis ! Juré sur les têtes de Krisjesou, Budda et les autres. Enfin, c’est ce qu’ils disent mais, je dois vous l’avouer, j’ai une grosse appréhension, j’hésite. J’hésite vraiment.

       Gordan-Manir s’avança vers eux et, sans y être invité, s’assit sur le biodiv à côté de Rogue. Il soupira.

              - Non, je ne reste pas. Monsieur Garendi m’attend. Précisément pour cette stimulation onirique distanciée. C’est comme ça qu’ils nomment le truc bizarre… Enfin ce dont je viens de vous parler. Il se pencha vers eux. Mais il faudra qu’on se revoie… Je voudrais vous parler aussi d’un autre truc. Sa voix était devenue presque imperceptible. Un truc qui est arrivé sur Drefel 2. Le biocyborg du groupe 107 dont vous avez trouvé le cadavre. Près de la gare de l’aérotrain. Vous vous rappelez, n’est-ce-pas ? Non, non, ne dîtes rien. Je reprends contact sous peu. Il se leva. Eh bien, c’est d’accord, on se voit plus tard et on choisit un jeu à trois. Mais un bon, un vrai, un de ceux qui font vraiment peur, d’accord ? Il était déjà parti laissant Rogue et Velti sans voix.

      

     

       C’est curieux mais, parfois, on attend durant un temps infini quelque chose - un endroit, une situation, une rencontre - quelque chose pour laquelle on donnerait des années de sa vie pour qu’elle se produise réellement et puis… Et puis, la réalité rejoint la fiction tellement désirée. L’événement attendu avec tant de force et d’impatience arrive : il est là. Enfin ! soupirez-vous. Vous êtes plongé dedans, littéralement immergé dans tout ce que vous espériez si intensément mais vous réalisez aussitôt que c’était une erreur. Vous regrettez immédiatement votre implication présente. Pour un peu, vous prendriez vos jambes à votre cou pour vous enfuir, pour échapper à ce que, à présent, vous redoutez le plus au monde. En mettant les pieds sur Derisor, Bristica s’était mise à trembler ce qui ne lui arrivait pas souvent. Elle s’était sentie vulnérable comme jamais auparavant et ce n’était pas seulement dû à sa longue captivité forcée au sein du navire impérial, non, ça, elle l’avait anticipé. Elle avait travaillé sur son retour à une certaine indépendance, à une certaine liberté. Non, c’était bien autre chose. C’était cette plongée dans l’inconnu, une situation qui avait fait l’objet de son déni jusqu’à maintenant. Elle comprenait enfin pleinement qu’elle était devenue une cible évidente, un enjeu entre des gens qu’elle ne soupçonnait même pas, qu’elle avait été transformée tout à coup et par sa faute en une espèce d’abstraction sacrificielle. Une morte en sursis, plutôt, et cela… si on ne lui réservait pas pire. Elle s’en voulait absolument d’avoir été faible, d’avoir été lâche. Et elle en voulait aussi à Vliclina de l’avoir écoutée, de lui avoir cédé, de ne pas avoir su lui dire non. À présent, il lui fallait assumer ce qui, à ses yeux, ressemblait à une sorte de suicide. La chronique d’une mort annoncée. Une folie.

       Bristica regarda autour d’elle. Le cube de vie modeste, le mobilier rudimentaire et quelconque, l’environnement médiocre. Tout cela tranchait avec le luxe insolent du navire spatial dont elle avait été l’hôte quelque peu forcé durant de si longs jours. Un luxe auquel – elle devait bien l’admettre à sa grande honte – elle s’était facilement habituée. Justement, la banalité de son habitat actuel était la meilleure réponse à son besoin d’anonymat, à la nécessité pour elle de se perdre, ignorée, dans une foule de scientifiques standardisés. Ça et le fait éminemment rassurant que les droïdes grésiques avaient transformé son apparence au point qu’elle ne se reconnaissait plus elle-même. Par l’inhalation d’une substance dont elle n’avait jamais entendu parler, la nuance violette de sa peau (dont elle pensait à juste titre que cela faisait partie de son charme) avait été transformée en une teinte crème orangé qu’elle trouvait très quelconque… ce qui était bien le but recherché. Les traits de son visage avaient été subtilement modifiés et jusqu’à sa silhouette qui avait été astucieusement retouchée. Elle ne souhaitait qu’une seule chose : retrouver ses traits d’avant lorsque son aventure dans l’inconnu serait terminée, ce qui lui avait été formellement assuré. En réalité, et à y bien réfléchir, en dehors des probables fonctionnaires en immersion autour d’elle mandatés par le troisième assistanat pour assurer sa sécurité, et cette bonne vieille Galène, personne, absolument personne ne pouvait savoir qui elle était vraiment. La panique du début s’estompa vaguement. Bristica savait qu’il suffirait de peu pour qu’elle revienne impitoyablement mais pour l’heure… Allez, il ne lui restait à présent plus que l’essentiel, ce pour quoi elle avait fait tout ce chemin : le plaisir de participer à l’aventure de Derisor. Une récompense bien méritée pour quelqu’un qui avait comme elle tant donné à la connaissance scientifique.

       Un bourdonnement léger la tira de ses réflexions. Bristica se retourna vers la porte de son cube de vie. L’écran qui en recouvrait la partie supérieure venait de s’animer, affichant grandeur nature le visage de son assistante. La quanticienne l’effleura d’un revers de la main pour s’identifier à son tour.

            - On vous attend dans le hall d’entrée, déclara Galène sans attendre. Vous savez, cet après-midi, avec le groupe, on a décidé de repérer les endroits qui nous intéressent… Venez vite parce que, comme vous savez, les places pour les conférences sont comptées et les premiers arrivés seront les premiers servis. Enfin, je veux dire qu’on pourra discuter les choix qui… Vous venez ?

                - Je suis en bas dans deux minutes !

       Galène avait déjà coupé le contact. Elle paraissait surexcitée et Bristica qui jusqu’à présent était plutôt apathique s’en sentie toute ragaillardie. C’était son assistante qui avait raison : elles étaient sur Derisor pour se distraire. Des conférences, des visites dans différents striamirs [2] mais aussi des restaurants, des spectacles divers, bref tout un monde distinct de leur quotidien spatial. Des occasions à ne certainement pas manquer ! Elle s’empara de son ordiquant de bras négligemment abandonné sur le petit biodiv qui faisait face au lit escamotable et se précipita vers la porte de son appartement qui s’ouvrit en chuintant à son approche.

      

     

       La pièce n’était pas très grande pour une salle de réunion. Son mur qui faisait face à la grande baie vitrée voyait ses couleurs et sa forme sans cesse se modifier mais sans ostentation : des nuances de gris qui se chevauchaient jusqu’à former des figures nouvelles apparues presque sans qu’on n’y prenne garde, accompagnées de faux-reliefs qui donnaient une impression de fuite vers d’autres horizons, et, au bout du compte, une sensation d’infini relatif. L’étroitesse du lieu reculait alors sous l’emprise des trompe-l’œil. Luoi ne percevait rien de cette salle de réunion où elle se trouvait, seule, isolée, depuis la fin de la conférence du triumvirat deux heures plus tôt. Elle ne pouvait penser qu’à une seule chose. Une seule ! Elle était coincée. Elle n’arrivait pas à envisager le moindre moyen de s’en sortir. Il n’y avait personne pour l’aider ou pour ne serait-ce même que l’écouter. La comprendre. Partager un peu sa peine infinie. Un trouble intense qui n’était pas un chagrin profond ou un grave désarroi comme ceux qui peuvent s’emparer d’un bionat confronté à une situation sans issue, quand celui-ci, perdu, désespéré, se jette contre les grilles de sa prison et cherche à se fracasser la tête pour mettre fin à une souffrance absolue. Non, Luoi était un biocyborg, quelqu’un qui, face à une situation extrême, réagissait de façon contrôlée, raisonnée. Enfin, en principe parce que pour la première fois de  sa vie, elle doutait des capacités de son cerveau à appréhender son vécu actuel. Elle était même un biocyborg de la dernière génération - appellation qu’elle détestait - mais qui signifiait aux yeux des autres qu’elle était sortie il y a peu de la Maison Du Père où elle avait été conçue. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle avait été choisie pour s’occuper de la carrière de Groal. Ce que ses employeurs lui avaient présenté comme une mission mais qui, à ses yeux si raisonnables, était tout simplement un travail. La directrice du triumvirat dont les membres représentaient la division ID (Investigation et Discipline) de la CFS avait néanmoins insisté lourdement et à plusieurs reprises : elle avait « failli à sa mission ». La pire chose qui pouvait arriver à un agent spécial de la CFS comme elle. Plus qu’une trahison, de l’incompétence. Et Luoi savait exactement ce que cela signifiait : l’effacement définitif. Sans autre forme de procès. Elle ne discutait pas la sentence. En un sens, c’était vrai, elle avait échoué mais elle ne comprenait ni où, ni pourquoi et ce mystère la taraudait.

       Immédiatement déchargée de l’enquête qui avait suivie la mort de « l’Ange », elle avait quand même pu se tenir globalement au courant de l’avancée des choses grâce aux quelques amis proches qui lui étaient restés dans l’organisation. De chercher à savoir l’avait un peu soutenue durant les quatre jours qui avaient précédé son passage en commission de discipline. Le prédicateur Groal avait été « implosé » par une sarvie, cet horrible petit robot, pas plus grand qu’une plume d’oiseau-lyre qui, une fois introduit dans la circulation générale d’un bionat (ou d’ailleurs d’un biocyborg) entraîne une soudaine et extraordinaire hypertension artérielle qui, la plupart du temps, provoque, en même temps que l’arrêt cardiaque immédiat du sujet, l’issue fulgurante de la masse sanguine par tous les orifices naturels donnant alors cette image insupportable d’implosion globale (en réalité une explosion). On lui avait présenté l’hologramme du corps du prédicateur supplicié et son cerveau pourtant bien équilibré avait été ébranlé par la vue, sur fond de peau éclatée et couverte de sang séché (tous les vaisseaux sanguins de l’épiderme avaient explosé), des orbites creuses de l’homme puisque ses yeux avaient été éjectés par la force de l’impact interne. Abominable. Mais une question était restée sans réponse : quels étaient les auteurs de cet attentat ? Cela ne semblait pas préoccuper plus que cela ses accusateurs. Eux ne voyaient, ne savaient qu’une chose : les troubles qui avaient suivi l’assassinat du prédicateur avaient déjà entraîné de nombreux morts et l’instabilité dans les systèmes stellaires de Lommis et de ses proches voisins avait été telle que les militaires impériaux avaient été obligés de revenir pour maintenir l’ordre. Un désastre. Les trois membres de ce tribunal plus ou moins improvisé en imputaient toute la responsabilité à elle, Luoi, comme si sa seule présence incompétente avait pu aboutir à la déstabilisation d’une partie de la Galaxie. C’était certainement lui faire trop d’honneur. Mais au delà des critiques en partie justifiées, Luoi comprenait qu’elle n’était qu’un pion, pire un bouc émissaire. En réalité, elle n’avait jamais eu la moindre chance car, elle en était à présent certaine, elle avait été piégée dès le départ.

       C’étaient les raisons pour lesquelles elle savait qu’elle jouait réellement son avenir immédiat. Luoi marchait mécaniquement de long en large et, malgré le calme apparent de son visage, cela traduisait une nervosité extrême pour une biocyborg comme elle. Chaque trente secondes ses pas la ramenaient vers la table haute autour de laquelle s’était réunie la commission : au moment de quitter la pièce, en retard sur les autres qui sortaient, la directrice du triumvirat l’avait regardée avec tristesse comme pour lui signifier que, elle au moins, elle comprenait le sort contraire et le discrédit qui la frappaient, qu’elle aurait sans doute voulu agir autrement mais qu’elle ne pouvait rien. Biocyborg comme elle, la femme avait délicatement posé un coffret translucide bleuté sur un bord de la table haute puis, comme prise de remords, s’était presque enfuie, la laissant seule face à une cloison qui se refermait. Luoi savait ce qu’ils voulaient : qu’elle et elle seule décide de mettre fin à ses jours, prouvant ainsi par cet acte définitif, surtout pour un biocyborg, qu’elle endossait toute la culpabilité d’avoir failli, qu’elle reconnaissait toute sa responsabilité de n’avoir pu empêcher comme elle l’aurait dû le crime abject qui endeuillait cette partie de la Galaxie. C’était injuste et tous le savaient. L’attentat n’avait pu se préparer que de l’intérieur. Luoi avait été trahie, jouée, attirée dans un traquenard et elle devait à présent en assumer les conséquences. Elle s’arrêta devant la table. Le coffret semblait la narguer. Elle savait parfaitement ce qu’il contenait : une capsule de varinium, un neuroparalysant puissant qui, dès qu’absorbé, interrompait toutes communications en détruisant les fentes synaptiques des cellules nerveuses concernées. Il suffisait de broyer entre deux doigts la capsule de produit et de s’imprégner la peau. Facile, indolore et irréversible. Mais elle ne pouvait pas s’y résoudre. Sacrifier une jeunesse quasi-éternelle, un avenir s’étendant peut-être sur plusieurs centaines d’années, tant d’espoirs et de bonheur anticipé, tout cela pour assurer la tranquillité de quelque décideur politique dont elle n’avait jamais entendu parler. Non, elle ne pouvait pas s’y résoudre. C’était pourtant la seule issue qui pourrait lui donner l’impression fallacieuse d’avoir une sorte de choix. De toute façon, on ne la laisserait jamais en vie. La vérité, c’est qu’elle était morte avec Groal. C’était ça la vérité. Alors le varinium… Une solution élégante… qui arrangeait tout le monde… Mais elle ne pouvait pas s’y résoudre. Elle reprit sa marche.

      

     

       La confirmation d’un projet de contact entre Bristica et un universaliste important fut effectivement transmis à Vliclina par Vora Lickner mais l’Impériale avait déjà pris sa décision : elle avait autorisé plusieurs jours auparavant Bristica à se rendre sur Derisor afin d’y réparer son enthousiasme émoussé. Elle savait qu’elle jouait gros : si l’inconnu finissait par « retourner » la Farbérienne (peu probable) ou arrivait à la soustraire par un moyen quelconque au contrôle de l’Empire, elle risquait tout simplement sa carrière, voire pire. Toutefois, Vliclina n’hésita pas longtemps. Prendre au piège un ennemi appartenant très certainement au premier cercle des Universalistes était plus que tentant : nécessaire. Parce que, il fallait bien l’admettre, les services d’éclairage qui étaient sous ses ordres étaient fort mal renseignés sur ces ennemis dont certains, peut-être, la rencontraient et la saluaient chaque jour. Le jeu en valait donc la chandelle. Bien que source de préoccupation réelle et permanente, ce n’était toutefois pas cela qui tourmentait le plus l’esprit de l’Impériale. En réalité, elle s’interrogeait surtout sur les contacts potentiellement établis entre son agent stenek spécial sur Soulika, notamment l’approche des éléments du groupe 107 qu’il lui avait rapportée. Cette éventualité la laissait perplexe et elle se demandait s’il ne fallait pas qu’elle intervienne plus directement avec des professionnels de l’éclairage de son département : toutefois, le duo formé par Rogue et la représentante de la CPI « minoritaire » avait été choisi par ces étranges correspondants et c’était peut-être là que résidait l’éventuel aboutissement des contacts. Beaucoup de questions sans réponses. Un casse-tête. Et puis, outre les multiples dossiers qu’elle devait gérer au quotidien, voilà que venait se greffer depuis peu l’assassinat d’un prédicateur de Lommis Gamma, planète d’administration quadrantale des plus banales. Elle n’avait jusqu’alors que suivi d’assez loin l’agitation en question mais, depuis la mauvaise humeur d’Alzetto forcé de redéployer quelques troupes d’active là-bas, elle soupçonnait que l’affaire n’était pas aussi simple qu’il y paraissait. Contrairement à son projet initial de rencontrer discrètement sur Mars certains dignitaires religieux qu’elle savait dignes de confiance, elle préféra se consacrer à une prise de contact avec ses principaux chefs de groupe afin d’en savoir un peu plus sur les dossiers stratégiques en cours mais surtout une façon pour elle de se rapprocher d’un terrain qu’elle avait négligé récemment. Ces chefs de groupe étaient au nombre de cinq et, délaissant l’habituelle approche holographique, elle décida de les recevoir en chair et en os dans son appartement de travail personnel au central du 3ème assistanat. Ce fut son troisième varig[3] qui lui fit comprendre combien elle avait eu raison de bousculer son emploi du temps.

     

      

       Au premier décroché du minicargueur, malgré son entraînement accompli, Silovan rentra la tête dans ses épaules ce qui, en raison de son lourd équipement, ne fut heureusement pas perçu par son entourage. Comme à chaque fois qu’il s’apprêtait à vivre une expérience stressante, il avait mal à sa main droite, une sorte de rhumatisme psychosomatique qu’il connaissait bien. Il se pencha pour regarder à travers le hublot. Rien à observer à part l’obscurité de l’espace à peine tachée de quelques rares étoiles. Indifférentes les étoiles. Des minicargueurs comme celui qui le transportait, il devait pourtant y en avoir une bonne douzaine et, de les savoir si près mais totalement invisibles, le rassura un peu. Le vaisseau de ligne ennemi, cible de leur opération, se trouvait certainement devant eux et donc non visible de son siège. Et c’était tant mieux car son immense silhouette l’aurait sans doute fortement impressionné. La visière de son casque affichait en superposition l’état d’avancement de la mission : dans deux minutes, ils seraient sur zone et… La noirceur extérieure s’illumina tout à coup quand, dans le même temps, il sentit un nouveau mais plus intense hoquet du véhicule de transport. Durant une milliseconde, il pensa que c’en était fini avant même qu’ils n’aient commencé mais ce n’était que les contremesures destinées à couvrir leur avancée qui venaient d’être détectées par la défense automatique du vaisseau ennemi. Il regarda ses compagnons. Il ne pouvait pas voir leurs visages et c’est à leur immobilité de statue et à leurs bras comme soudés à leurs genoux qu’il saisissait leur angoisse partagée. À l’exception, évidemment, de Rascoal qui, affalé en arrière sur sa banquette, voulait donner un exemple de décontraction totalement surfait. Normal : le gars venait de Preston [4] et se croyait obligé de marquer sa différence. D’ailleurs, il avait toujours… La visière de Silovan venait de passer au rouge. Vingt secondes avant l’arrimage. Vingt secondes ! Il sentit son harnais de maintien se rétracter et comme les autres commandos, il se leva, attrapant de sa main droite la poignée haute correspondante. Le cargueur allait s’arrimer à la coque du vaisseau impérial, la cloison isolante de proue se collant à la paroi ennemie tandis que les puissants faisceaux-laser de la déchiqueteuse commenceraient immédiatement leur travail de percement. Encore quelques instants à attendre – cela dépendait de la résistance de la paroi – et la cloison qui les séparait du compartiment avant et de la déchiqueteuse s’effacerait, leur laissant le champ libre pour pénétrer dans le vaisseau ennemi.  C’était à cet instant que les choses sérieuses débutaient.

     

     

       La déchiqueteuse avait pris comme repère d’effraction des sas de maintenance du vaisseau dont la résistance était forcément moindre. Le premier obstacle que rencontra, dès l’ouverture, le groupe de Silovan furent les droïdes de surveillance heureusement vite neutralisés par un kochevi [5] habilement manié par leur lieutenant. La suite fut moins facile : deux des commandos furent proprement hachés par une mitrailleuse sentinelle automatique s’activant aux mouvements non autorisés et dont la présence fut une réelle surprise. Deux grenades à étouffement judicieusement lancées en eurent raison mais cet obstacle imprévu leur avait fait du mal… Ne pas réfléchir, avancer. La tâche de Silovan était simple : s’aventurer dans les entrailles du vaisseau ennemi le plus loin et le plus longtemps possible ; si tout se déroulait comme anticipé, de nombreux autres groupes d’assaut comme le leur devaient s’introduire en ce même instant mais seuls quelques uns d’entre eux avaient pour mission de s’emparer ou au moins de neutraliser le commandement général du navire de guerre de l’Empire : tous les autres n’étaient que diversion. Cela ne plaisait guère à Silovan d’être considéré comme un outil de diversion, lui qui, en rejoignant les troupes confédérées bien avant le changement de régime, avait longtemps attendu de prouver sa réelle valeur. D’un autre côté, être une force d’appoint présentait l’avantage, en théorie du moins, d’être moins exposé. Il fallait avancer.

       Une mauvaise sueur coule le long du corps de Silovan, heureusement immédiatement neutralisée par la climatisation de sa combinaison de combat et sa main droite lui fait vraiment mal mais cela ne l’inquiète pas : quand il aura besoin d’elle, elle ne faillira pas. Le lieutenant réorganise ses cellules d’assaut puisque les deux morts n’étaient pas affectés ensemble et qu’il faut donc refaire les binômes. Silovan, lui, depuis le début, sait qu’il est en binôme avec Rascoal, le Prestonien. Il attend, immobile, anxieux, raide comme un grajane devant un tournier agressif, que leur chef leur donne l’ordre de séparation. Rascoal se rapproche de lui et lui indique le fond de la salle d’entrepôt : c’est bien par là qu’ils doivent commencer leur progression. Le lieutenant est déjà parti et les autres binômes se dispersent. Sur sa visière, Silovan suit sa progression sur une carte en superposition mais il s’agit d’un plan général de ce type de vaisseau ennemi et rien ne dit que celui-ci n’a pas été modifié. La vigilance est donc de mise, à chaque seconde, à chaque mètre parcouru, nul besoin de le lui rappeler. Il a laissé Rascoal ouvrir la marche mais il le suit de près, attentif à tout. Des couloirs, des escaliers, des coursives, des salles désertes à l’exception de quelques droïdes d’entretien qu’ils prennent soin d’ignorer : le décor est bien celui d’un vaisseau de guerre, tout à fait semblable à celui qui les a amenés. Seule différence, l’emblème du globe terrestre phosphorescent sur fond bleu-nuit entouré de ses deux éclairs d’argent qui semble les narguer un peu partout. Première alerte. Rascoal crie quelque chose dans son casque et se laisse tomber à terre. Silovan n’a rien compris mais se laisse tomber lui-aussi. Une décharge de triglon vient d’éroder la cloison derrière lui : il l’a échappé belle. Rascoal rampe et il le suit. Son compagnon lui fait signe de s’écarter sur la droite et d’être particulièrement attentif. Silovan lève son pouce gauche puis positionne son fusil-laser d’assaut. Rascoal fait un roulé-boulé en tirant n’importe comment avec son incandescent. Sa ruse réussit : l’ennemi, caché à l’angle du couloir, s’est avancé et Silovan lui éclate la tête. Quelques secondes d’attente. Rien. L’homme devait être seul. Rascoal se redresse et Silovan le rejoint. Ils reprennent leur progression.

       À plusieurs reprises, ils ont senti le vaisseau vibrer profondément comme s’il était touché par des projectiles et c’est certainement bien le cas. Les forces confédérées défendront Mez-Antelor jusqu’au dernier de leurs soldats a seriné la cellule de communication de leurs forces armées, encore et encore. Les impériaux se casseront les dents sur leurs défenses, Silovan en est convaincu et il en est d’ailleurs une preuve vivante puisqu’il est lui-même à bord d’un vaisseau ennemi pour y faire un maximum de dégâts. Enfin s’il le peut. Ils avancent dans un long couloir puis une grande salle oblongue parsemée d’un côté par des alvéoles hyper-éclairées. Sa visière ne l’a pas trompé : ils atteignent un poste de combat, des canons, des lance-torpilles, des tubules-laser sont devant eux mais aussi des dizaines d’ennemis… Ils entendent des détonations, les chuintements grésillés caractéristiques des éclateurs de poing, des cris divers : certains des leurs ont déjà engagé le contact. Ils s’avancent, demi-courbés, prêts à s’aplatir si besoin. L’explosion est si intense que, au début, Silovan, sourd tout à coup, se laisse tomber à terre mais presque aussitôt l’enfer se déclenche. La lumière omniprésente jusque là disparait à l’exception de grandes flammes orange et bleues qui ne durent pas. Une force incroyable attire Silovan vers l’avant, vers le poste de combat dont les alvéoles sont à présent aveuglées. Il tente de résister, d’appeler Rascoal. Il voudrait attraper sa lampe ventrale pour comprendre ce qu’il se passe mais il est comme aspiré par cette force inconnue. Il crie, se débat, essaie de s’accrocher au moindre objet fixe et il comprend soudain. Le vaisseau a dû être touché par une torpille magnétique ou un truc du genre qui a explosé une partie de la coque d’où la décompression soudaine. Il sait que ces énormes vaisseaux spatiaux sont compartimentés et que, déjà, des portes automatiques ont condamné l’endroit où il se trouve. Durant quelques brefs instants, il arrive à s’accrocher par la main droite à une espèce de rampe mais la pression est terrible et il sent qu’il ne pourra pas se retenir longtemps. Toutes sortes d’objet prennent de la vitesse autour de lui pour s’échapper vers le vide. Dans sa trajectoire folle, une caisse vient lui heurter le genou gauche avant de disparaître dans la nuit. La douleur remonte jusqu’à sa hanche et lui fait pousser un cri étouffé dont il sait qu’il ne sera pas entendu car ses liaisons radio avec les autres, avec Rascoal sont coupées. Contre la rampe, son gant se comprime, il est sur le point de se déchirer peut-être. Silovan, au bord de la panique, repère un autre point d’attache, un trépied de décharge qu’il lui faut saisir par une de ses trois barres d’ancrage. Là, il pourra attendre l’égalisation des pressions lorsque tout l’air aura évacué l’endroit. Il peut tenir : sa combi a pris le relais, trente minutes d’oxygène, une dizaine de minutes dans le froid absolu. Suffisamment pour trouver un moyen de quitter le compartiment ou, au pire, d’attendre dans un quelconque endroit protégé qu’on vienne le chercher, ami ou ennemi. Il ferme les yeux, les rouvre, prend son inspiration et lâche la rampe. Le trépied est à deux mètres. La force l’attire vers lui. Il tend sa main gauche pour le saisir. L’extrémité de son gant cogne contre le métal et sa main rebondit. Il n’a pas le temps de lancer son bras droit, le trépied est dépassé et, avant même qu’il ne l’ait réalisé, il est éjecté par le trou béant. Cette fois, il voit enfin toute la masse de son ennemi. Le vaisseau semble intact mais il n’est pas seul : toute une flotte composée de vaisseaux impériaux et confédérés s’affronte au large d’une planète qu’il n’a jamais visitée, qu’il n’a même jamais vue en talide - ou, en tout cas, il ne s’en souvient pas - mais c’est pour la défendre qu’il va mourir. Car il va mourir, il le sait. Il a parfaitement conscience de son insignifiance dans ce capharnaüm gigantesque. Il est tout seul. Nul ne sait ce qui lui est arrivé. Une bouffée de haine l’envahit mais qui ne dure pas. Une demi-heure. Il a une demi-heure à vivre. Ses trente dernières minutes. Comment va-t-il les passer ?

     

      

       Lorsqu’il entreprenait une opération, fût-elle de peu d’importance, Gilto en devenait presque obsessionnel, repassant en mémoire encore et encore tous les tenants et aboutissants de la dite-opération. Compte-tenu de son importance, l’approche de la quanticienne Glovenal l’obnubila intégralement durant plusieurs jours jusqu’à en devenir presque paranoïaque. Le service de renseignement de la CFS lui ayant appris par l’intermédiaire de leur agent spécial Vora Lickner que la scientifique devait se rendre incognito sur Derisor, il ne lui restait plus qu’à organiser une rencontre grâce à un contact sur place qui n’était autre que la propre assistance de la Farbérienne. Il planifia en conséquence sa « disparition » du monde des vivants, ne laissant à personne, pas même à Valardi, le moindre indice. Sa première action consista à changer totalement son apparence au moyen de procédés qui rappelaient les techniques grésiques des bionats mais évidemment adaptés au biocyborgs ce qui, au demeurant, était plus facile. En anonymat complet, il contacta des droïdes spécialisés dans ce type d’intervention qui s’intéressèrent à tous les aspects possibles de son apparence. Ils ne purent jouer sur sa taille mais, lui qui était un individu plutôt mince, voire maigre pour certains, il devint presque corpulent. Son visage anguleux fut arrondi, sa peau éclaircie d’une simple nuance mais qui faisait toute la différence et ses cheveux teints en blond pâle et coupé courts. Lorsqu’il se regarda dans un miroir, il dut se rendre à l’évidence : il ne se reconnaissait plus du tout. La deuxième partie de sa transformation consista à apprendre – et parfois se faire mentalement implanter – des gestes et des attitudes propres à son nouvel aspect tandis qu’on chercha à lui effacer certains comportements trop spécifiques acquis au fil des années. Il s’étonna d’arriver à un résultat aussi complet en moins d’une dizaine de jours. Satisfait de sa nouvelle apparence, il entreprit sa deuxième action : contacter sur Mez Antelor l’unique correspondant qu’il avait choisi, le Professeur Drimed, spécialiste reconnu et respecté de Prospective générale qui présentait l’immense avantage d’être un universaliste convaincu. Gilto devint alors son troisième « aide technique », un poste actuellement vacant à l’École de PG spécialisée de Mez Antelor où officiait normalement Drimed. Compte tenu de l’occupation confédérée et des combats s’en rapprochant, on risquait peu d’y enquêter. Il ne lui restait plus qu’à se rendre sur la lointaine Derisor pour y rencontrer celle qui était la responsable de ses transformations physiques et mentales : selon ses informations, il était parfaitement dans les temps puisque la quanticienne venait de débarquer sur la planète pour des vacances studieuses. Il restait à présent à la convaincre. Avec un peu de chance et beaucoup de persuasion, Gilto estimait que son dessein avait de bonnes chances d’aboutir.

    suite ICI 

     

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    [1]  Shorpe : sorte de casemate mobile souvent enfoncée dans le sol et que les unités du Génie peuvent déplacer en fonction des opérations en cours. Elle est en principe défendue par des droïdes.

    [2] Striamirs : sorte de musées interactifs thématiques. Certains d’entre eux ont fait la notoriété de Derisor.

    [3] Varig : responsable en premier d’une division opérationnelle du 3ème assistanat impérial

    [4] cinquième des planètes composant la confédération (par ordre d’importance : Vargas, Alba-Malto, Rhesis, Carsus, Preston, Xang)

    [5] Kochevi : système de neutralisation de la majorité des modèles de droïdes par émission d’ondes de très haute fréquence



     


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