• Livre un : Bristica / chapitre un

     ­Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     Sujet :                                    Empire galactique (origine) 

    Section :                                histoire générale

    Références extrait(s) :         tome 3, pp. 3-239 

    Sources générales :            tomes 3 à 112. 

    Annexe(s) :                        1012 (physique quantique), 714 (composants supramoléculaires) 

     

     

     

    …/… Si l’origine de l’Empire peut être confondue avec les années suivant immédiatement la Révolution de Cristal, et donc le début de ce qui est considéré comme l’ère moderne, il n’en reste pas moins exact que son essor véritable peut être précisément daté de la mise en circulation du premier moteur Waldenstein (cf. annexes) qui permit les voyages interstellaires. Il s’agissait, en réalité, de la mise en pratique d’une approche théorique déjà ancienne. En effet, pour franchir les espaces incommensurables séparant les systèmes solaires (ou stellaires suivant la terminologie en vigueur de nos jours) dans une durée de temps qui soit compatible avec une vie humaine normale d’environ 130 ans, il fallait trouver le moyen de dépasser la vitesse de la lumière : c’est ce qui fut fait dans les années précédant la révolution de Cristal grâce à la mise en pratique des lois issues de la Théorie Unifiée de la Physique (permettant notamment d’associer physique quantique et relativité générale) mais aussi grâce aux progrès considérables effectués à cette date dans la connaissance des composants supramoléculaires. Il devint ainsi possible de « profiter » de la courbure de l’espace-temps, notion connue depuis fort longtemps, pour permettre des déplacements spatiaux à une vitesse colossale. Ajoutons que l’exploitation quantifiée des « nouveaux territoires » ainsi conquis n’aurait jamais pu avoir lieu sans la mise au point des procédés de terraformation [1] par le Professeur-Conseiller impérial Ricker Belar quelques années plus tard…/…

     

    …/… La première organisation de l’Empire galactique est à mettre au crédit de l’Administration existant sous le règne de l’Empereur Darek  IV le Sage (189-198 rc), organisation fortement centralisée et autoritaire (qui devait perdurer jusqu’à la tentative avortée de coup d’Etat perpétrée par le Général Bredus Varvid, à la tète d’une partie des troupes révoltées de la troisième armée impériale). Grâce au rétablissement d’une autorité centrale incontestée, l’Administration de Darek le Sage a fortement contribué à l’accélération de la conquête stellaire par une colonisation intensifiée des nouvelles planètes terraformées.

    En effet, en 191 rc, la superficie restant à coloniser étant immense, il fut décidé de diviser virtuellement l’espace accessible en huit parties, de façon concentrique à partir de la Terre, siège du gouvernement impérial, à l’époque seule autorité légale. Ces régions furent dénommées « quadrants » (Il n’en existe plus que six aujourd’hui, décision prise à la suite du traité des trois axes de 707 rc reconnaissant l’indépendance de certains nouveaux territoires). L’opération de colonisation fut conduite de la manière suivante : huit expéditions furent envoyées aux extrémités des quadrants. Leurs directives étaient d’entreprendre un maximum de terraformations sur les planètes colonisables en revenant progressivement vers le centre du cercle impérial. La durée de cette opération, la plus importante jamais entreprise par une population humaine, devait se dérouler sur 80 ans. Elle dura en réalité près de 150 ans pour aboutir à la terraformation de plus de 10 000  planètes. Cette politique d’expansion se poursuit encore aujourd’hui, même si l’Empire galactique n’en est plus le seul maître d’œuvre (les opérations actuelles débordant d’ailleurs sensiblement les espaces primitivement retenus)…/…

       
     
     
     
     
     

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         La première vision de la planète-ville fut pour elle un choc profond. En ces temps de communication intense et instantanée, mais surtout à cause de sa profession, cela n’aurait pas dû être le cas. Pourtant, la jeune femme ressentit, peut-être pour la première fois de son existence, une extraordinaire impression de puissance et de complexité. Assise dans la salle des secondes, face au panneau vitré géant qui venait de dévoiler l’approche de la planète, elle n’avait pu s’empêcher de s’avancer, comme si ces quelques mètres supplémentaires pouvaient être d’une quelconque importance. Elle se rendait bien compte que son attitude soudaine venait de révéler aux autres passagers tout ce qu‘elle avait si soigneusement cherché à cacher - sa condition de provinciale pour la première fois confrontée à la capitale de l’Empire – mais elle ne put tout simplement pas résister. En dépit de tout ce qu’elle avait vu et appris par l’informatique ou la stéréovision, de tout ce qu’elle avait déjà lu, entendu, traduit ou commenté, l’image gigantesque de la planète lui provoqua un choc qui se répercuta jusqu’au plus profond d’elle même et dont elle savait qu’il resterait à jamais inégalé. Le reste du vaisseau, les gens, les bruits, les mouvements, tout avait soudainement disparu pour elle, la laissant seule avec sa stupéfaction, souffle coupé et yeux écarquillés. Sans même s’en rendre compte, elle s’était imperceptiblement mise à trembler.

         Dans la nuit de sa face obscure, la planète qu’elle contemplait si avidement brillait de tous ses feux, immense boule d’or accrochée sur la profondeur glacée de l’espace. Cette planète n’était qu’une ville infinie, un artifice de la main de l’homme qui, au fil des siècles, en était arrivé à manger toute sa surface. Mais plus que la vision elle-même, c’était ce qu’elle sous-tendait qui éblouissait la jeune femme. Elle pouvait imaginer, presque toucher, les innombrables ramifications, les milliards de bâtiments, de rues, d’ouvrages patiemment accumulés. Elle percevait sans la voir la complexité du monde souterrain qui doublait la vision de surface. Des millions de gens comme elle vivaient et mourraient là. Et encore plus de droïdes et de biobiocyborgs, de véhicules, de multiples machines et objets qu’elle ne pouvait même pas imaginer. Tout un monde d’acier et de béton. Un univers artificiel parfaitement agencé et dont les règles certainement atrocement compliquées faisaient toute la puissance. Un choc. Un choc considérable.

         Elle sursauta au contact de la main sur son bras qui la ramena à la réalité. Un steward souriant se tenait à ses côtés. Il eut la gentillesse de ne pas se moquer. « C’est vrai que c’est assez impressionnant, murmura-t-il [1]. Mais, Citoyenne, il faut vous préparer à l’arrivée et pour ça, vous devez maintenant regagner votre cabine. Vos effets personnels, la douane, tout ça, enfin, vous savez bien… ». Assuré d’avoir été compris, il s’éloigna, avec toujours le même sourire amical aux lèvres et la jeune femme secoua la tête, comme pour s’arracher enfin à la vision féerique. Autour d’elle, les passagers s’étaient faits plus rares et elle s’empressa de regagner le pont inférieur.

         Les premiers instants de son arrivée sur le sol de Terra furent assez éprouvants pour la jeune femme. Ballottée au sein d’une énorme cohue, elle prit la décision de suivre les quelques passagers qu’elle avait repérés durant le voyage. Elle se retrouva ainsi conduite presque malgré elle dans un hall d’arrivée gigantesque où, en regard de comptoirs multicolores où s’affairaient des droïdes, d’interminables files d’attente stagnaient en deçà de cercles lumineux incrustés dans le sol de marbre. La jeune femme avait pris soin de tenir à la main, bien en évidence, son sauf-conduit impérial mais sans que, en apparence, celui-ci ne semble la dispenser de l’interminable délai. Ce fut un droïde vérificateur qui vint la tirer d’affaire. La machine avait, semble-t-il, fini par repérer sa carte magnétique et, de sa voix douce, elle lui recommanda de ressortir sur l’asphalte du spatioport pour se diriger vers un autre accès, celui-là spécialement réservé aux « transferts identifiés ». Elle entra donc d’une démarche hésitante dans une salle plus petite mais également plus luxueuse où, dès ses premiers pas sur l’épaisse moquette, un droïde d’une espèce inconnue d’elle l’intercepta. La machine avait un aspect presque humain, si l’on exceptait sa complexion violette et les yeux rouges qui la jaugeaient. Elle attendit calmement que le droïde ait terminé son inspection silencieuse. Au bout de quelques secondes, la machine lui demanda, de cette même voix douce, de passer sa carte en regard de son épaule gauche et, immédiatement après, sembla s’incliner vers elle en chuchotant :

              - Bienvenue sur Terra, Citoyenne Bristica Glovenal. Votre venue m’a été annoncée et soyez assurée que je ferai tout mon possible pour faciliter votre arrivée. Un aéroglisseur vous attend au sas 128 A et il vous conduira à l’hôtel Grabers Multi où une chambre a été retenue pour vous. Veuillez me suivre, Citoyenne, mais d’ores et déjà, laissez-moi-vous souhaiter un excellent séjour sur notre sol.

         Plus que l’apparente facilité des formalités, ce qui surprit surtout la jeune femme fut que le droïde s’était adressé à elle en un Farbérien parfait. Elle lui répondit en Fried [2] :

               - Je serais enchantée de vous suivre mais mes bagages…

            - Ils ont été transférés dans l’aéroglisseur, lui répondit le droïde, adoptant lui aussi immédiatement le Fried.

         Déjà la machine s’éloignait et elle s’empressa de la suivre.

     

     

         Par la vitre sans tain de l’aéroglisseur, Bristica voyait défiler sous et autour d’elle des milliers de bâtiments illuminés. Par moment, un subtil décroché ou quelque placette reculée laissaient apercevoir les ombres d’arbres et de plantes terrestres mais, pour l’essentiel, tout n’était que verre, métal et béton. Certains bâtiments grimpaient si haut vers le ciel qu’elle ne pouvait même pas en deviner les cimes, d’autres comparativement plus modestes offraient la vision de leurs toits où s’affairait toute une humanité, probablement biomécanique. Partout une lumière intense où dominaient le jaune orangé et le bleu. Là, peut-être, résidait la principale différence avec Carresville, la capitale de sa lointaine République de Farber, où les éclairages, certainement moins nombreux, étaient toujours blancs. Pour le reste, et en dépit d’un style monumental quelque peu singulier, elle n’était dépaysée que par la pensée de l’immensité de la capitale impériale. Car, elle comprenait que, ici, chaque centimètre carré de surface était occupé, exploité, valorisé. On disait même que les plus hautes montagnes, les cours d’eau et jusqu’à loin sur et dans les océans de cette planète, l’homme avait installé son domaine. Sans compter le monde souterrain dont elle savait que, immense fourmilière, il grouillait aussi d’activité. Il y avait également les millions de véhicules spatiaux, de ligne ou simples cargos, nécessaires à l’entretien quotidien de la capitale, l’énergie – même quantique – qu’il fallait y consacrer, la débauche de sociétés, d’organismes d’état, de centres de contrôle et autres structures diverses qui constituaient tous ensemble la capitale administrative d’un Empire qui rayonnait sur des dizaines de milliers de systèmes stellaires, les trois-quarts en réalité de l’univers connu. C’étaient ces pensées qui étaient dérangeantes, inhabituelles, et lui faisaient, pour la toute première fois, entrevoir combien Farber, en dépit de ses insuffisances, avait su ou pu rester à son échelle humaine. Mais cette ville-planète… Saurait-elle quand même s’y adapter ? Tout à coup, elle en doutait.

         Son aéroglisseur suivait une route aérienne encombrée, s’arrêtant par instants selon les indications de son tableau de bord puis repartant sans prévenir pour sa destination lointaine. Mise à part, de ci, de là, la perception d’inscriptions rédigées en Fried, rien de bien original en somme. Elle chaussa ses lunettes informatiques et connectant l’ordinateur miniature qui ne quittait jamais la poche intérieure de son costume à la coupe évidemment très Farbérienne, elle se renversa en arrière sur la banquette moelleuse et se projeta à nouveau les quelques indications très générales sur Terra obligeamment fournies par la compagnie de transport galactique.

         974 ans après la Révolution de Cristal [3], en dépit ou à cause de conflits innombrables – guerres civiles et/ou commerciales -, sous le règne de l’Empereur Baldur II d’Aldane, l’Empire galactique étendait sa domination sur des milliers de systèmes stellaires. Seuls échappaient à ce carcan parfois étouffant, la Confédération des Planètes Indépendantes créée lors d’une scission meurtrière plusieurs siècles plus tôt et quelques systèmes autonomes, d’envergure plus modeste, comme la République Logique de Farber. L’Empire avait divisé administrativement son immense territoire en 587 precinctes, unités administratives d’importance variable, et elle se trouvait en conséquence sur la première, la plus puissante, qui recouvrait le district de Terra et ses proches environs. Chacune de ces entités avait à sa tête un Gouverneur et un Général impériaux, dépendant du seul empereur et de son Conseil. Evidemment, la precincte où elle se trouvait échappait à cette règle immuable puisque c’était ici que se trouvait le palais de l’Empereur. Une fois de plus, elle s’étonna que la cité immense qui défilait autour d’elle ne soit peuplée que d’une centaine de millions d’habitants humains – à peine plus que la population de Farber - mais l’essentiel de la maintenance et des tâches subalternes relevait bien entendu du domaine exclusif de l’humanité mécanique. Des courbes, des chiffres, les vues 3D de bâtiments plus ou moins connus, des interventions de fonctionnaires impériaux se succédaient devant ses yeux mais tout cela était connu, rabâché et ne la passionnait guère. Elle murmura à l’ordinateur de se concentrer sur ce qui l’intéressait plus, et qu‘elle avait déjà consulté à maintes reprises, à savoir l’Institut Impérial de Prospective Politique qui lui avait fait l’honneur de la contacter. L’Institut, situé quelque part dans l’hémisphère nord-ouest de la capitale, paraissait être une grande structure employant des milliers de biobiocyborgs spécialisés et autant de droïdes. Son rôle essentiel consistait à faire de la prospective politicocommerciale, plus spécialement orientée sur les rapports existant entre l’Empire et ses voisins, la CPI notamment [4]. La CPI surtout. En tant que ressortissante Farbérienne, elle n’était pas directement concernée par les relations parfois tumultueuses des deux grandes puissances et c’était objectivement cette neutralité qui intéressait les Impériaux. Et sa compétence certaine en informatique quantique sans laquelle aucune prospective convenable n’était véritablement envisageable. On lui avait donc proposé d’intervenir en qualité de « consultant supplétif étranger » (c’était le terme exact utilisé par la proposition de contrat impériale) et, en raison de ses antécédents professionnels, elle était pratiquement certaine de parvenir à satisfaire ses nouveaux employeurs. Elle n’avait en réalité que très peu hésité à accepter puisque plus rien à présent ne la retenait à Farber et qu’elle voyait dans cette proposition le moyen inespéré de découvrir d’autres horizons tout en complétant son cursus professionnel à la meilleure source. Sans oublier, évidemment, les émoluments en rapport qui n’étaient pas négligeables. En résumé, une excellente affaire pour les deux parties concernées. Et puis, qui sait ? L’avenir était plein de promesses… Elle coupa le discours lénifiant de l’ordinateur qu’elle n’écoutait plus depuis plusieurs minutes et laissa son esprit vagabonder. Elle en saurait plus le lendemain lors de sa première entrevue avec les fonctionnaires de l’Empire.

         Bristica se pencha vers le droïde pilote, sorte de caisse métallique assez disgracieuse soudée à l’avant du véhicule et, pour la première fois, l’interrogea :

            - On en a encore pour longtemps ?

           - Exactement neuf minutes, Citoyenne. Puisque vous m’interrogez, permettez-moi de vous faire savoir qu’on m’a demandé de rester à votre disposition pour vous faire visiter n’importe quel endroit de votre choix sur Terra. Pour le cas où vous souhaiteriez vous reposer, il vous suffira de présenter votre Fiduce [5] provisoire au comptoir de l’hôtel et on vous conduira à votre chambre.

           - C’est bien ce que j’ai l’intention de faire. Me reposer, je veux dire. Merci, Citoyen droïde [6].

         La jeune femme se renfonça dans son siège. Elle ne se sentait nullement fatiguée mais le bon sens lui dictait de s’octroyer une plage de tranquillité. Elle ne se voyait guère se lançant dans une expédition aventureuse dans l’univers inconnu qu’elle venait d’intégrer, expédition dont les aléas ne manqueraient sans doute pas de revenir aux oreilles de ses employeurs que, en aucun cas, elle n’aurait voulu déjà décevoir par une attitude incontrôlée. Dès ses premier pas sur cette planète – et très certainement bien avant – elle s’était sue observée : on ne la prendrait pas pour autre chose que la stricte professionnelle dont elle voulait donner l’image. Ce qu’elle était, elle n’en doutait pas un instant.

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    [1]  Afin de rendre compréhensible ce récit, il a été décidé que, dans la mesure du possible, les expressions et concepts de cette époque seraient remplacés par les mots les mieux appropriés de notre langue, seuls ceux réellement intraduisibles restant en l’état (NdT)

    [2]  Fried : langue de l’Empire et, par force, la langue commune des échanges galactiques.  Elle est composée d’un mélange des langues protohistoriques (à dominante d’anglais) parlées sur Terre avant la Révolution de Cristal, point de départ de la période moderne.

    [3]  La plupart des historiens datent le début de la révolution de cristal en l’an 2207 après J.C (NdT)

    [4]  CPI : Confédération des Planètes Indépendantes

    [5]  Fiduce : carte monétaire magnétique permettant toutes transactions sur le territoire de l’Empire (dans la limite du crédit alloué) comportant également nombre de renseignements administratifs, médicaux, etc. sur son propriétaire. C’est probablement ce que Bristica Glovenal appelle son « sauf-conduit impérial ».

    [6]  Dans l’Empire galactique, l’ensemble des individus capables de raisonner sont considérés comme des citoyens, biocyborgs et droïdes compris, d’un point de vue formel en tout cas. (NdT)


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