• livre un : chapitre deux

     

    Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

     Sujet :                                    droïdes 

     Section :                                histoire générale

     Références extrait(s) :         tome 7, pp. 14-513

     Sources générales :              tomes 3 à 112, 

     Annexe(s) :

      

    …/… fondé sur une notion dynamique de ce qu’on appelle « l’intelligence », du moins selon l’acceptation humaine du terme. Sommairement, il est classiquement reconnu quatre approches complémentaires du concept : a. analytique : l’élaboration de raisonnements par interférence, c’est-à-dire le passage logique d’une opération à une autre au moyen des processus de déduction, induction puis généralisation, toutes notions inspirées des modèles d’exploration cognitifs ; b. dynamique : la faculté d’adaptation aux changements du milieu ambiant, condition nécessaire mais certainement pas suffisante ; c. descriptive : la possibilité de projeter l’avenir probable et de s’y situer, soit, en d’autres termes, une mentalisation de l’activité cérébrale et, enfin, d. collective : la prise en compte d’une intelligence communautaire, chacun des individus restant en deçà mais l’ensemble de leur activité produisant une réponse adaptative adéquat, comme on peut l’observer chez certains groupes d’insectes sociaux. Il est probable que « l’intelligence » est globalement la somme de ces différents aspects dont l’importance relative demeure variable suivant les groupes et les milieux étudiés…/…

      

    …/… L’hypothèse de travail ayant conduit à la création des populations droïdes reposait sur l’idée simple que l’intelligence peut être la résultante des capacités de calcul et de mémoire du processeur central de l’être artificiel. Il s’agissait là d’une approche essentiellement calculatoire. On estime que l’intelligence humaine se manifesterait vers cent à cent cinquante mille milliards d’instructions par seconde et il fallut attendre la première moitié du second siècle pour obtenir des processeurs susceptibles d’égaler ces performances. Toutefois, les performances cognitives et/ou idéatoires des êtres ainsi créés ne furent jamais en mesure d’égaler – sauf dans des domaines hautement spécialisés – les performances générales humaines. Seuls les biocyborgs ont par la suite réussi à atteindre ce résultat mais leur procédé d’éveil à la conscience est totalement différent puisque obtenu, par génie génétique, à partir de tissus biologiquement humains. Quoi qu’il en soit, les scientifiques pensent que « l’intelligence spécialisée » des droïdes est à relier à l’insuffisance de leurs stimuli biologiques. En effet, il est aujourd’hui admis que le cerveau n’est pas seul à intervenir dans ce qu’on appelle l’intelligence, même s’il en est le pivot central. Il est nécessaire, en effet, qu’entrent également en ligne de compte toutes les informations périphériques (nerveuses, endocriniennes, hémato-lymphatiques, etc.) et, plus encore, leurs corrélations symbiotiques. Cela explique…/…

      

    …/… D’un point de vue éthique, les autorités impériales ont décidé, après d’âpres débats, que devaient entrer dans l’analyse globale des droits des citoyens, leurs possibilités « potentielles » dans le domaine de la pensée. De ce fait, tout être pensant est reconnu citoyen impérial de droit, même si les performances de chaque individu sont éminemment variables. Dans cette optique, les droïdes jouissent des mêmes droits fondamentaux que les biocyborgs ou les humains. C’est en tout cas le sens de la loi du 23 septembre 416 rc qui reconnaît…/…

      

    …/… Statistiquement, la population droïde est – et de loin – la plus nombreuse de la Galaxie et leur présence totalement indispensable au bon équilibre de la société moderne. Rien que sur Terra, ils représentent, à des degrés divers, plus de 90 milliards d’individus, contre moins de deux cent millions d’humains et encore moins de biocyborgs…/…

      

     

     

     

    2 

     

     

     

           Située à l’écart de la Grande Antichambre du Protocole, la pièce ne payait pas de mine. Comparée aux autres salles de la tour géante, elle était singulièrement petite et à peine meublée d’une table demi-lune en bois de Virna entourée de quatre chaises très ordinaires. Ses murs étaient totalement nus, d’une couleur grise qui n’inspirait pas l’optimisme, et, par les encadrements du sol et du plafond, des thermotubes à fréon diffusaient une lumière tamisée à dominante orangée. Si ce n’avait été le panneau de droite qui s’ouvrait sur la ville et ses milliers de tours lumineuses, on aurait pu se croire dans un quelconque réduit de maintenance.

         Seul des quatre personnes présentes, le Conseiller-Ministre impérial Alveg Birko était debout, arpentant d’une démarche saccadée la moquette grise. Tête baissée, les mains derrière le dos, il présentait pour ceux qui le connaissaient bien tous les symptômes d’une profonde colère. Sans prononcer la moindre parole, il écoutait pour la quatrième fois en moins de deux jours le discours dépassionné du biocyborg Gestua, Rapporteur impérial spécial. Le Conseiller-Ministre était un homme d’une centaine d’années[1], plutôt petit mais extraordinairement mince. Ses cheveux blancs et son visage aquilin donnaient à la stéréovision une impression de grande bonté que démentait, pour ceux qui pouvaient l’approcher, l’éclat glacé de ses yeux pâles. Il était autant craint que respecté. Il tourna soudainement vers le biocyborg Gestua un regard acéré sans que cela, bien sûr, ne perturbe son interlocuteur en aucune manière.

              - C’est alors, poursuivait Gestua, que les premiers rapports du Kazin 128 J [2] nous sont parvenus, Citoyen-Ministre, et immédiatement, je peux vous l’assurer, nous l’avons transmis à votre attaché personnel, le Citoyen Flex.

         Le biocyborg arrêta quelques instants son discours et, devant l’absence de réaction de ses auditeurs, il poursuivit :

              - Ce rapport est assez peu explicite car, s’il nous signale bien la découverte d’un important gisement de Xantinum et s’il précise qu’il s’agit d’une opération conjointe des Farbériens et de la Compagnie du Fret Stellaire, il ne nous dit ni la teneur exacte du minerai, ni sa localisation précise sur la planète Alcyon B, ni surtout quels sont les représentants que nous avons sur place dans les structures locales  et les moyens dont nous disposons pour…

              - En somme, vous ne savez rien, le coupa Birko. Vous ne savez, nous ne savons rien ! Et vous voudriez que je me contente de cette bouillie pour grajanes [3]! Vous pensez vraiment que le Premier Conseiller [4] va se satisfaire de ça, lui ? Bon, bon, allons au fait, que proposez-vous ? conclut-il en se tournant vers un des deux personnages restés silencieux.

         La femme à laquelle s’adressait le Conseiller-Ministre se pencha en avant. Sa longue chevelure brune tranchait avec la peau très claire de son visage, une rareté pour l‘époque où une grande partie des ressortissants de l’Empire arborait une carnation plus ou moins cuivrée. Il se dégageait d’elle une apparence aristocratique qui seyait parfaitement à sa fonction d’Assistant en Premier du Conseil impérial. Au cours d’une soirée mondaine, on aurait facilement pu la confondre avec une quelconque amie de la maîtresse de maison, une riche oisive, une dilettante vaguement artiste même. Cela aurait été une erreur profonde car elle était l’un des personnages les plus puissants de l’Empire, un de ceux qui, dans l’ombre, décident, organisent et, en fin de compte, agissent sans même qu’ils s’en doutent sur la destinée de millions d’êtres. Elle jeta un regard presque distrait sur ses vis-à-vis, sembla un temps réfléchir à un sujet connu d’elle seule avant de répondre d’une voix étonnamment grave :

              - C’est bien là le problème. Compte tenu des informations… disons fragmentaires dont on a bien voulu nous gratifier, je ne vois guère quoi proposer d’autre que de chercher par n’importe quel moyen à en savoir plus. A mon sens, il est impératif que nous puissions rapidement cerner le problème. Pour cela, il nous faut bouger. Activer nos agents à la CFS [5] certainement. Neutraliser les velléités de Farber assurément. Entreprendre une opération sur le terrain afin d’en savoir un peu plus peut-être. Mais, mon cher Conseiller-Ministre de la Sécurité, tout cela vous y avez assurément pensé et je suis même certaine que ces quelques broutilles ont déjà été décidées et sont en cours de réalisation. Non, l’essentiel, disais-je, est ailleurs. D’abord il est nécessaire d’informer Sa Majesté avant le prochain conseil ordinaire qui est, je vous le rappelle, dans trois jours. Mais de cela, je me charge personnellement. Je m’en occuperai même dès la fin de notre réunion. Toutefois, à mon sens, le point capital, l’étape décisive, c’est d’utiliser toutes les capacités de notre diplomatie pour… disons, geler la situation. Gagner du temps si vous préférez. En conséquence, je vous demande, Citoyen-Ministre, d’intervenir auprès de vos collègues du gouvernement pour agir dans ce sens. Je vais quant à moi, immédiatement après mon passage chez Sa Majesté, approcher les différents membres du Conseil et même, ajouta-t-elle dans un soupir, donner des ordres pour avertir, avec les précautions d’usage cela va sans dire, notre chère Opposition Globale. Reste…

              - Reste l’aspect plus spécifiquement militaire.

         L’homme qui venait pour la première fois de s’exprimer était extraordinairement jeune pour la fonction qu’il occupait, celle de Généralissime des Armées. Le prince Valer Alzetto avait en effet un peu moins de cinquante ans ce qui en faisait le plus jeune chef des armées impériales depuis plus de trois siècles. Sanglé comme à son habitude dans un uniforme noir à la coupe parfaitement étudiée, sa gapiche [6] sagement posée sur la demi-lune, il arborait un sourire éclatant. Depuis plusieurs jours, et ce sentiment était confirmé par la réunion à laquelle il assistait, il sentait que quelque chose, enfin, bougeait dans l’univers en apparence immuable de la Galaxie. Il s’en satisfaisait profondément car depuis longtemps lassé de la diplomatie de palais et de ses intrigues minuscules. Il se considérait avant tout comme un homme d’action et ne se sentait réellement à l’aise qu’à la tête de ses millions de soldats dont il était adulé. Or la crise politique qui se profilait ne pouvait signifier qu’une chose : qu’elle ne pouvait pas ne pas se doubler d’une dimension militaire. Cette simple idée le réjouissait intensément. Il redressa sa grande silhouette, les boutons de sa veste d’uniforme jetant des éclats rouges chatoyant sous la chiche lumière du fréon.

              - Citoyens, je ne vais certes pas vous ennuyer avec des détails d’organisation militaire. Laissez-moi seulement vous confirmer que, depuis longtemps déjà, nous sommes préparés à toutes éventualités et que rapidement, très rapidement, nos forces dans le système d’Alcyon peuvent être opérationnelles sur le sujet qui nous préoccupe. Histoire de faire monter quelque peu la pression à laquelle faisait allusion il y a quelques minutes la Citoyenne Assistant en Premier. N’est-ce pas ainsi, par un autre moyen, l’occasion de développer tous nos talents de diplomatie ? Je me permets de vous laisser le soin, Citoyenne Premier Assistant, d’organiser nos facilités de détection plus ou moins confidentielles tandis que mon état-major de la cinquième armée organisera notre présence là-bas au mieux de nos intérêts. J’y veillerai personnellement, vous pouvez en être assurée.

               - Je vous en remercie, Altesse, reprit la femme. Peut-être, en effet, comme le suggérait le Rapporteur spécial il y a quelques instants, avons-nous un peu trop tendance à prendre cette affaire au tragique mais… Si réellement la source de Xantinum est aussi importante que le laissent supposer les rapports… Alors, oui, nous ne regretterons certainement pas d’avoir su intervenir rapidement. A ce propos, et contrairement à vous, Citoyen-Ministre, dont la méticulosité et le souci de l’information exacte ont dû vous pousser à vous renseigner immédiatement, j’avoue quant à moi ignorer presque tout de ce système Alcyon. Peut-être le rapporteur spécial… ? Mais avant d’aller plus avant, permettez-moi de vous demander, Citoyen-Ministre, de regagner votre place car j’ai quelque peine à vous suivre dans votre déambulation. Je vous en remercie.

         Tandis que le Ministre se rasseyait, sa colère soudainement retombée, le droïde s’empressa nonchalamment de répondre à la femme.

              - Le système d’Alcyon est situé à une centaine d’années-lumière de la bordure externe du cinquième quadrant. Il s’agit d’une étoile double autour desquelles gravitent neuf planètes, les deux premières seulement ayant été terraformées, encore que tout à fait incomplètement. La planète qui nous intéresse est la deuxième, Alcyon B. Ce système est neutralisé depuis le traité de 707 et placé, comme vous le savez sans doute, sous la protection théorique du CIS [7]. Mais ce qu’il convient de souligner…

            - Veuillez m’excuser, Citoyen Rapporteur, le coupa Valer Alzetto, mais je crois qu’il serait préférable d’en venir immédiatement à l’essentiel.

          - Faites, lui répondit en souriant le Premier Assistant avec un bref hochement de tête.

          - Ce qui complique quelque peu la situation, commença Alzetto, c’est que Alcyon est, dans ce secteur, un carrefour stratégique. Comprenez : le système stellaire le plus proche – à moins de deux années-lumière et demie, ce qui n’est pas grand chose, vous en conviendrez – est le système du Trident dont la troisième planète abrite…

           - La République de Farber.

         - Tout à fait, Citoyenne Premier Assistant. La République de Farber. Mais pour corser le tout, il faut se souvenir que le système voisin de ces deux-là est HW4, c’est-à-dire, pour être précis, deux bases Farbériennes respectivement sur les deuxième et troisième planètes et une grosse mission de la CFP sur la sixième. Quant à nous, nous avons une base de la cinquième armée - une structure de première importance à vocation de maintenance et observation, je le souligne - sur la neuvième planète de HW4. En d’autres termes, nous trouvons en moins de six années-lumière, une concentration redoutable d’intérêts antagonistes, le tout sous l’égide partielle du CIS. C’est dire…

           - Que l’ensemble constitue une poudrière… poursuivit la femme. Je comprends mieux l’agitation de nos Services… La situation me paraît donc sans conteste encore plus brûlante que ce à quoi je m’attendais. A nous en conséquence d’agir. Eh bien, Citoyens, je peux vous l’avouer, je souhaiterais presque que cette histoire de Xantinum soit un leurre… ou mieux encore une erreur ! Je comprends que nous avons par conséquent énormément de travail en perspective aussi est-ce la raison pour laquelle je ne vous retiens pas, conclut-elle en se levant.

        Elle posa l’empreinte de son index droit sur une plaque noire incrustée dans le bois de Virna de la table afin de lever le bouclier d’isolement qui protégeait la conversation et, sans se retourner, se dirigea vers la porte qui coulissa silencieusement à son approche.

     

     

     

         Approximativement au même moment, mais à plus de 3000 km de là, Bristica franchissait les barrages droïdes de l’Institut Impérial de Prospective Politique. Le bâtiment de l’Institut n’était qu’un ensemble de deux tours jumelles ne tranchant guère sur les autres structures de la Cité administrative qui s’étendait de part et d’autre sur des centaines de kilomètres. Lors de sa première visite, deux semaines plus tôt, elle avait d’ailleurs été un peu déçue de ce relatif anonymat mais s’en était vite consolée devant la situation inconnue qui l’attendait. En réalité, tout s’était passé le plus simplement du monde – c’est en tout cas l’impression qu’elle avait ressentie- et, assez rapidement, elle s’était acclimatée à ce qui était, dans le fond, un prolongement de son travail sur Farber. En compagnie d’une trentaine d’autres nouveaux arrivants comme elle, elle avait été conduite dans un amphithéâtre aux dimensions plutôt modestes où un fonctionnaire impérial leur avait souhaité mollement la bienvenue. On pouvait voir à ses coups d’œil furtifs sur l’horloge digitale du plafond que pour lui aussi cet accueil relevait de la corvée. Elle avait en conséquence laissé son esprit vagabonder durant l’écoute de toutes les platitudes et autres messages convenus que le fonctionnaire avait cru de son devoir de débiter. La séance avait duré moins d’une demi-heure à l’issue de laquelle on lui avait donné quartier libre. Elle se fit raccompagner à son hôtel provisoire par un aéroglisseur collectif de l’Institut. Son projet avait été de ressortir explorer la capitale, du moins la partie immédiatement accessible pour elle qui ne disposait évidemment pas encore de moyen de locomotion. Elle avait rapidement dû se rendre à l’évidence : en dehors de centaines de tours de dimensions variables et d’avenues rectilignes et uniformes, il n’y avait rien d’autre et les centres commerciaux qui, elle en était persuadée, devaient regorger des richesses de l’Empire étaient bel et bien hors de portée. Elle avait retrouvé sans joie sa chambre d’hôtel.

         Dès le lendemain, elle fut mise en présence des mêmes ordinateurs que sur Farber et se contenta, comme ses compagnons, de mettre à jour ses bases de données personnelles. Ce fut seulement à la fin de la première semaine que cette ambiance un peu morose se transforma. L’arrivée du Directeur de mission qui devait organiser leur travail la fit enfin entrer de plein pied dans ce pour quoi elle avait signé. La jeune femme d’une quarantaine d’années qui leur fit face ce jour-là lui fut d’emblée sympathique. Grande et mince, elle arborait une coupe de cheveux jaune paille – la mode actuelle de l’Empire – qui contrastait avec sa peau dorée et ses yeux verts pétillant d’intelligence. Elle était vêtue d’une combinaison justaucorps de la couleur de ses cheveux et dont les parements rouges se mariaient harmonieusement avec ses bottes légères. L’ensemble lui conférait une apparence de jeunesse et de pleine santé auxquelles, comme put le constater Bristica, les éléments masculins de leur groupe ne semblaient pas insensibles. Après quelques mots de bienvenue, la jeune femme avait englobé les ordinateurs d’un large geste du bras avant de déclarer :

              - Évidemment, il y a tout ça. Encore que pour des spécialistes comme vous cela doive relever de la pure routine. Mais l’essentiel de notre collaboration est totalement ailleurs. Vous avez accepté de venir nous aider - et je vous en remercie à nouveau - en tant que représentants extérieurs à l’Empire, pour compléter la grande enquête de galacticopolitique que nous avons entreprise. Ne vous méprenez pas : chez nous, la galacticopolitique, la GP comme nous disons, c’est tout simplement de la prospective politique, mais une prospective au sens large du terme. Nous aurons l’occasion d’y revenir par la suite. Chacun d’entre vous, parfois dans des domaines fort différents, avez des compétences qui nous sont absolument nécessaires, je dirais même indispensables, et nous comptons totalement sur vous, soyez en assurés. Evidemment, il ne s’agit pas de vous proposer d’entrer dans le recueil et l’exploitation factorielle des données, ce stade étant d’ailleurs en cours d’achèvement, mais bel et bien de tester la validité des modèles retenus. Des milliers de techniciens, humains et biocyborgs, travailleront, travaillent déjà sur le sujet. Toutefois  – et c’est là que votre présence nous est si précieuse – il nous faut un avis extérieur, un avis… comment dirais-je ?… neutre, détaché des préjugés inhérents à notre formation, à notre culture. En fait…

         La jeune impériale avait continué son discours, toujours avec la même passion, et, peu à peu, Bristica avait pu sentir l’intérêt de son petit groupe grandir. Elle-même qui, quelques heures plus tôt, doutait encore du bien-fondé de son choix, avait senti remonter en elle une curiosité nouvelle pour le travail gigantesque qui leur était proposé. La Directrice de mission (ou plutôt Directeur puisque la tradition des impériaux était de ne jamais féminiser les titres et fonctions) leur distribua des magnets à intégrer dans leurs ordiquants afin de leur expliquer les caractéristiques détaillées des affectations de tâches, affectations à choisir d’un commun accord en fonction de leurs goûts et compétences. Puis la femme avait tapé dans ses mains en souriant :

              - Une des coutumes un peu absurdes, je le reconnais aisément, de notre monde d’ici, est de ne se présenter qu’en fin de conversation et/ou de prestation. Il paraît que cela remonte du fond de notre passé, peut-être même à la Révolution de Cristal… Nos détracteurs disent que c’est par méfiance mais, moi, je crois que c’est par timidité… Quoi qu’il en soit, le moment de vous dire qui je suis est venu : je m’appelle Vliclina Garzelivo-Gradzel mais il vous faudrait à  chacun votre ordiquant pour retenir mon nom, dit-elle en déclenchant quelques rires, aussi pour vous éviter des souffrances indignes, je vous propose de m’appeler Vliva. Je suis originaire du deuxième quadrant, très exactement de la planète Graise qui relève, comme vous ne le savez sûrement pas, du système de Bételgeuse, et j’officie dans cette enquête en qualité de Directeur-Adjoint. J’ai bien l’intention de travailler le plus souvent possible avec vous ce qui indique – tant pis pour ma modestie bien connue - tout l’intérêt que l’Institut attache à votre présence. Mais assez de bavardages ! Je vous invite à descendre maintenant avec moi jusqu’au 87ème niveau où une collation nous attend, collation qui marquera, je le sais, le début d’une collaboration fructueuse.

         Dès le lendemain, Bristica et les autres avaient été introduits dans ce qui allait constituer leur lieu principal de travail, du moins à l’Institut. Au niveau immédiatement inférieur de celui de la salle des ordinateurs s’étendait une vaste pièce sphérique dont la circonférence était divisée en une quarantaine de bureaux indépendants où chacun d’entre eux pouvait ainsi s’isoler mais sans jamais être trop éloigné des autres. Le centre de la pièce était occupé par un cercle de repos comportant cabinets de relaxation, salons, alcôves de toilette et, en son centre, un PAMA [8] des plus classiques mais particulièrement pratique pour accéder au central des ordiquants généraux de l’étage supérieur. On rencontrait partout des écrans de communications ou des terminaux de stéréovision tandis qu’une foule de droïdes attendait qu’on la stimule. L’ensemble respirait à la fois le fonctionnel et un certain degré de luxe. On devinait ainsi tout l’intérêt que l’Institut de Prospective donnait à l’enquête en cours et Bristica, pour la première fois depuis son arrivée sur Terra avait pu se convaincre qu’elle avait eu raison, qu’elle avait fait le bon choix.

         Elle venait de franchir le barrage des droïdes de l’Institut quand elle entendit qu’on l’appelait. Zanora, sa toute nouvelle relation, l’attendait à l’entrée des PAMA centraux et elle s’empressa de la rejoindre.

             - Ben, en définitive, t’es pas si en retard, lui jeta la jeune femme tandis qu’elle s’approchait.

             - Non, parce que je n’y suis pas allé, lui répondit Bristica.

             - Alors ?

            - Alors ça n’a aucune importance parce que je vais me débrouiller autrement. Tu te souviens quand même que je viens de Farber, non ?

            - Oui, mais…

          - Eh, bien mon ambassade a vidéophoné hier à mon hôtel. Ils voulaient savoir comment ça se passait… Parce que, tu sais, nous nous intéressons toujours à nos ressortissants hors de nos frontières… Un type m’a expliqué que, si je voulais, je pouvais aller les voir. Il paraît qu’ils ont des facilités pour obtenir des appartements… J’irai les voir samedi.

           - Ah, c’est pas à moi que ça arriverait ! soupira Zanora. Tu sais, sur Vargas [9], c’est pas le genre d’arguments qui comptent ! Plus vite ils sont débarrassés de toi, mieux ça vaut pour eux.

           - Note que si c’est possible, reprit Bristica après un léger temps de silence, je ne vois pourquoi on ne pourrait pas partager… En tout cas, le temps que tu trouves quelque chose qui te plaise… Si mon truc marche, évidemment…

         La grande porte de verre du PAMA venait de s’ouvrir avec un léger chuintement et les deux jeunes femmes s’avancèrent dans le puits. Elles furent doucement aspirées vers le haut.

     

    suite ICI

     

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    [1]  Au recensement de 969, l’espérance de vie moyenne d’un citoyen impérial humain a été estimée à respectivement 131 ans pour les femmes et 129 ans pour les hommes.

    [2] Kazin : groupe ou bureau de renseignement opérationnel (en fait, les services de renseignement impériaux)

    [3]  grajane : sorte de petit mammifère plus ou moins domestique provenant du système de Zarkass et ressemblant à un chat, très en vogue à cette époque.

    [4]  L’Empereur

    [5]  CFS : Compagnie du Fret Stellaire

    [6]  gapiche : sorte de haute casquette à petite visière

    [7] Conseil Interplanétaire de Sécurité : organisme théoriquement neutre regroupant les représentants de toutes les entités politico-commerciales de l’Univers connu

    [8]  PAMA : acronyme traduit pour « puits d’antimatière ascensionnel »

    [9]  Vargas : principale planète de la Confédération des Planètes Indépendantes


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