• livre un : chapitre onze

    Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

    Sujet :                                     Révolution de Cristal (La)

    Section :                                histoire générale

    Références extrait(s) :   tome 2, pp. 2-412

    Sources générales :         tomes 2 à 5 ; 14, 27

    Annexe(s) :                          Révolution de Cristal (63 à 69)

     

     

     

    …/… Le terme de révolution est en fait impropre – quoique couronné par l’usage – puisqu’il s’agit d’une authentique guerre civile mondiale, à connotations tant politiques, ethniques, religieuses qu’économiques. Ce conflit, qui devait durer plus de 20 années, aboutit à la destruction totale de l’ordre préexistant. On situe généralement la fin de cette période de troubles intenses à la création de la Fédération mondiale, très rapidement remplacée par l’Empire terrien lors de la prise de pouvoir, en l’an 3 rc, de Lawrence Karbilov, alors principal responsable des armées fédérales. Sacré Empereur sous le nom de Lawrence Premier, Karbilov n’aura de cesse d’asseoir un pouvoir encore discuté par l’instauration d’un régime autoritaire et fortement centralisé. D’abord centré sur Terra, le nouveau pouvoir devait rapidement s’intéresser aux colonies planétaires restées autonomes par l’interruption des communications (campagne sélénienne de 14 rc, et surtout guerre dite des « deux têtes » commencée en 17 rc et terminée par la reddition des forces « insurgées » martiennes en 21 rc)…/…

     

    …/… Concernant le détail des nombreux événements survenus durant les 20 années cristallines, on se reportera aux annexes 63 à 65 du tome 2 du Codex qui en dresse la liste connue (une grande partie de cette liste étant relativement bien documentée). Nous nous contenterons ici de rappeler un des faits majeurs, souvent présenté comme un des tournants du conflit, à savoir le sac du Palais-Musée qui se dressait à l’emplacement de l’actuel Neopar (hémisphère Ouest-Nord-Ouest de Terra) : il s’agit en effet d’un exemple très symbolique de l’âpreté du conflit. Le 3 mars moins onze avant rc, les bandes armées des « Nihilistes Modernes », après avoir défait le reste des troupes régulières coalisées, devait procéder à la destruction de l’ensemble des œuvres d’art encore préservées par les combats dans cet immense Palais-Musée (secondairement rasé), l’acmé de cette opération de terreur étant l’autodafé de plus de 5000 tableaux dont, à l’époque, la très célèbre « Mona Lisa » du peintre Da Vinci (dont la reproduction est, heureusement, encore consultable par Ordiquant). Il s’agissait pour les auteurs de cet acte de vandalisme de démontrer aux yeux de tous « la disparition irréversible des valeurs surannées de l’Ancien Temps » selon les propres termes des responsables concernés. De tels actes, presque partout reproduits en ces temps barbares, doivent faire s’interroger l’être pensant d’aujourd’hui sur les excès inévitables des conflits armés et sur la fragilité…/…

     

    …/… l’origine du terme « Révolution de Cristal » étant, au demeurant, inconnue. Pour certains historiens, cette appellation serait à rattacher à l’importance des débris de verre jonchant les cités détruites de cette époque. Pour d’autres auteurs, elle viendrait d’une faction de ce temps qui combattait « pour ramener la pureté dans le monde », le cristal étant le symbole de cette pureté. Pour d’autres encore, il s’agirait d’une connotation religieuse par référence à un groupe de partisans de Critjesou [1], un des prophètes de ce qui allait devenir par la suite l’Eglise de la Refondation. Quoi qu’il en soit…/…

     

     

     

     

     

     

    11

     

         Bristica sursauta en sentant la main du droïde sur son épaule. Un bref instant, comme hallucinée, elle se demanda où elle était puis la mémoire lui revint. L’agression. Leur fuite. Elle soupira en détendant ses bras dans un geste de lassitude mais c’était plus la pression psychologique qu’elle venait de subir – et qu’elle subissait encore – qui l’épuisait. Une fois encore, elle se demanda si tout cela allait enfin cesser. Tant de jours à subir, à se cacher, à avoir peur… Le droïde, penché sur elle, l’observait avec attention et dans ses yeux vigilants elle semblait percevoir comme une lueur de pitié. Elle ébaucha un sourire timide.

               - Je viens de faire un tour chez nos… compagnons d’infortune, murmura Vals. Autant pour les rassurer que pour avoir la certitude de ne pas être exposés à de mauvaises surprises…

                - Et ?

          - Apparemment, tout est en ordre. J’ai présenté mon accréditation des Forces Spéciales de Sécurité afin de… Bref, tout a l’air à présent normal.

         La Farbérienne se redressa, ébaucha un bâillement vite réprimé et se dégagea finalement de son lit-banquette dans l’espoir de se dégourdir les jambes. Le train, dans un chuintement assourdi, filait tranquillement vers NéoPar. Elle se retourna vers le droïde.

              - Combien de temps encore avant de…

            - Justement, lui répondit Vals, il faut que je vous dise… Nous allons en fait nous arrêter avant. Juste le temps pour nous de descendre. Nous laisserons les autres voyageurs à leurs affaires ce qui, je le crois, devrait tout à fait leur plaire…

         Devant l’air alarmé de Bristica, Vals précisa :

              - CG nous attend à la Nécropole. Dans vingt-cinq minutes à peu près… Attendez, attendez, je vous explique : un peu avant NéoPar, peut-être huit cents kilomètres avant, il existe un grand cimetière – jadis, c’était le terme consacré à ce type d’endroits – qu’on appelle la Nécropole souterraine. Un peu oublié de nos jours, je vous l’accorde, où les gens préfèrent la désintégration des corps. Mais ce lieu… spécial n’est, contrairement à ce que vous pourriez croire, nullement désaffecté. Il existe même quelques convois spéciaux pour les familles très religieuses qui ont encore recours à cette ancienne pratique et… mais aucune importance. Ce que je veux dire, c’est que CG pense que nous risquons d’avoir à nouveau des difficultés à la station de NéoPar et que… En résumé, pour mettre tous les atouts de notre côté et aussi par discrétion, il lui paraît préférable de vous prendre en charge dans cet endroit où nos ennemis – à supposé qu’ils y pensent – seraient très repérables. Notre aérotrain ne devrait d’ailleurs pas tarder à ralentir car, comme vous le savez, ces engins anti-g possèdent une grande force d’inertie et doivent décélérer longtemps à l’avance. A propos, avez-vous soif ? Ou faim ? Pourquoi souriez-vous ? Ai-je dit… ?

              - Non, rien. Je suis seulement un peu fatiguée mais… C’est votre expression : vous venez de dire « à propos » pour me parler de boisson alors que vous m’expliquiez l’inertie de notre train…

                - Je ne comprends pas…

             - Rien d’important, Vals, c’est simplement qu’il n’y a pas de relation entre… C’est une manière de s’exprimer typiquement humaine… et dite par vous, c’était amusant.

                - A présent, je comprends, répliqua Vals.

         Mais Bristica était persuadée que le droïde ne comprenait pas ce point de sémantique uniquement perceptible à l’illogisme humain. Sans l’avoir voulu, elle avait mis en évidence les limites de ce cerveau par trop logique et, un peu honteuse de son attitude d’exclusion, elle préféra regagner sa couchette.

         Souvent, au sortir d’une grande tension, après une étude difficile de prospective par exemple, il lui arrivait de réfléchir à des sujets totalement étrangers à son vécu direct. Par un détour compliqué de son esprit qu’elle n’arrivait pas vraiment à saisir, l’angoisse des heures passées, le stress de sa situation présente la poussaient à présent à s’abstraire de ses soucis immédiats pour des pensées étrangères que d’autres, en pareil cas, auraient vite chassées. C’était à la fois une de ses forces qui lui permettait d’acquérir une distanciation certainement nécessaire et, dans le même temps, sa petite faiblesse qui l’exposait à se déconcentrer jusqu’à parfois lui faire négliger sa propre sécurité.

         Les yeux à demi-fermés, elle repensa à ce qui l’avait intriguée chez Vals, quelques jours auparavant, alors qu’elle errait désœuvrée à Iorque : cette quasi-humanité qui en faisait évidemment un droïde différent des autres. Elle observait, le plus discrètement possible, celui qu’elle ne pouvait décidément plus appeler du nom de machine. A quelques mètres d’elle, planté au milieu de la voiture, ses sens probablement aux aguets, Vals donnait l’impression d’une immobilité parfaite. Même les petits mouvements latéraux qui, de temps à autre, affectaient le véhicule, ne le surprenaient jamais : on aurait pu croire qu’il était soudé à la moquette grise, encore tachée du sang de la morte. N’était-il donc qu’une machine ? Un simple droïde ? La Farbérienne savait combien les apparences pouvaient être trompeuses. Possédait-il réellement la totale absence d’émotions de ses congénères ? Ou bien les ingénieurs qui l’avaient conçu avaient-ils enfin véritablement réussi dans leur entreprise sans cesse déçue de rapprocher leurs créatures des humains ou des biocyborgs ? Dénué de toute émotion, vraiment ? Elle en doutait, sans néanmoins pouvoir être sûre. Car les émotions étaient l’apanage exclusif des êtres biologiques, même des plus faibles, même des plus primitifs. C’étaient elles qui – pour partie provenant de leur capital génétique, pour partie issues de leur apprentissage et, chez les humains, de leur vécu culturel - les conduisaient à jauger les différentes situations qui se présentaient à eux, qui les autorisaient à réagir le plus vite qu’il leur était possible, qui anticipaient leurs choix. Pour les êtres biologiques, les émotions, on le lui avait assez souvent répété, étaient une espèce de marqueur des actions à entreprendre. Elles leur permettaient de rejeter d’emblée, et sans aucune analyse consciente, les solutions inacceptables ou, au contraire, de choisir immédiatement l’action jugée gratifiante. Rien de tout cela chez les droïdes dont le cerveau compensait cette carence par une analyse minutieuse et quasi-instantanée de leur environnement qui les amenait à dégager les réponses les mieux appropriées. Mais alors, si certains d’entre eux, comme Vals, possédaient cette faculté supplémentaire… Cela ne ferait-il pas d’eux des êtres très doués, certainement plus doués pour le monde futur que leurs créateurs ? L’idée était terrifiante et, pour un peu, Bristica en aurait frissonné. Mais comment savoir ? La dimension humaine qu’elle avait cru deviner chez son garde du corps n’existait peut-être que dans son imagination ; elle n’était peut-être qu’une impression fallacieuse, conséquence de cette complexification des êtres mécaniques sans cesse plus approfondie. Une simulation assez bien réussie, en somme. A moins que… Creuser ce problème, plus tard, dès que la situation le permettrait, était capital, la jeune femme le sentait bien. Il y allait peut-être de l’avenir de toutes les espèces vivantes de la Galaxie. C’était possiblement un point d’importance à retravailler dans les abaques de la Prospective générale.

         L’aérotrain entama sa décélération d’une façon pratiquement imperceptible mais qui ne trompa pas Vals. Le droïde s’anima ce qui attira l’attention de Bristica. Elle se redressa et, avec cette facilité qui était bien à elle, chassa ses pensées quelques peu théoriques : elle savait qu’elle pourrait y revenir plus tard, à peu près au point même où elle les abandonnait.

              - Dix minutes, CB, commenta Vals. Au moins.

         La jeune femme se prépara mentalement pour l’avenir proche. L’action reprenait.

     

     

     

         A peine le temps de sauter depuis la voiture sur le trottoir magnétique de la station et le train repartait. Une nuée de policiers et de soldats les entoura. Cette-fois, les Impériaux n’avaient pris aucun risque… Un officier en tenue grise de combat s’approchait d’eux d’une démarche souple, vaguement connue de Bristica. L’officier s’arrêta à quelques mètres d’elle et, ôtant son casque d’un mouvement vif, libéra une lumineuse chevelure dorée. Vliclina. La Farbérienne s’élança vers elle.

              - Ca fait du bien de vous revoir, Brissy, s’exclama l’Impériale en la prenant par le bras. Vous devez avoir tellement de choses à me raconter mais ce sera pour plus tard. Nous quittons cet endroit au plus vite. Une spatiofuz nous prend en charge immédiatement. Je préfère vous mettre sous la protection de l’Armée. Le temps de faire le point. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ? Alors, Brissy, on y va.

         La quanticienne emboîta le pas de l’Impériale qui la conduisit jusqu’à un véhicule de transit où elle l’installa à ses côtés. Vals avait disparu mais Bristica savait qu’il n’était pas loin. A présent qu’elle pouvait se détendre, la jeune femme se mit à observer l’étrange endroit. Étrange et même vaguement inquiétant car tout, depuis les murs gris et uniformes jusqu’à la lumière tamisée et au silence omniprésent, donnait au lieu une bizarre apparence d’intemporalité. On se serait cru dans une antichambre conduisant à l’autre monde, celui des morts et des âmes désincarnées, et c’était à l’évidence le but recherché. En dépit de son athéisme, Bristica se sentait impressionnée par la sérénité presque malsaine de cet endroit lugubre. C’était tellement différent de Farber où les cimetières de l’ancien temps s’étendaient à ciel  ouvert, dans une telle débauche de végétation qu’ils en étaient devenus des buts de promenade appréciés… Dans un silence oppressant, les voitures de transit traversaient des allées - d’immenses tunnels plutôt – qui s’étendaient à perte de vue. Parfois, un mouvement lointain trahissait la présence de droïdes d’entretien mais c’était à peu près le seul signe de vie que l’on pouvait percevoir, ce qui au fond était assez explicable pour l’endroit.

         Vliclina reposa son ordiquant qu’elle avait manipulé depuis leur départ et se tourna en souriant vers la Farbérienne.

              - Assez impressionnant, n’est-ce pas, Brissy ? Mais rassurant aussi car on repère les vivants de loin par ici… La Nécropole souterraine s’étend sur des centaines de kilomètres, vous savez. Elle est divisée en quartiers, eux-mêmes organisés en divisions, sous-divisions, etc. Selon l’endroit, vous vous trouvez chez les morts de telle ou telle religion, la majeure partie relevant évidemment de la Refondation. Dans le temps, disons il y a deux ou trois siècles, l’activité était intense ici, autant en raison des inhumations que des visites des proches. A présent – et Vliclina désigna d’un geste ample les murs et les allées qui les entouraient – les morts sont bien tranquilles. Un peu oubliés certainement, un peu abandonnés… Les gens, de nos jours, préfèrent détruire leurs restes corporels et ne laisser à leurs proches que des hologrammes forcément toujours un peu figés. Je me demande souvent si c’est mieux…

               - Mais justement, Vliva, ces morts dont vous parlez, on ne les voit jamais… Où sont-ils ? Comment pouvait-on les honorer, se recueillir ?

             - Ah mais c’est parce que nous sommes dans une des allées centrales. Pour accéder aux tombes, il faut emprunter les contre-allées latérales, ou plutôt les corridors qui en partent. Alors là, c’est impressionnant : toutes ces alcôves murales plus ou moins décorées, ces millions de stèles aériennes dont pas une n’est semblable aux autres… Toutes ces plaques, ces inscriptions… Tant de noms que plus personne ne connaît… Tous devenus aussi anonymes que les vrais. Les vrais anonymes, je veux dire, qui sont regroupés quelque part, dans un endroit que je n’ai jamais vu et qui est, parait-il, assez sinistre… Il faut comprendre : puisque, d’une part, nous sommes sous le niveau de la mer et que la place n’est pas comptée et que, d’autre part, la main d’œuvre droïde ne manque pas, cette cité des Morts comme on l’appelle parfois aurait pu continuer à s’étendre à l’infini si son utilisation n’était tombée en désuétude… Mais, Brissy, c’est un lieu intéressant pour qui aime l’histoire des siècles passés : en réalité, c’est un vrai musée d’architecture humaine ! Et qui remonte, dit-on, presque au temps de la naissance de Ranval. Intéressant, oui. Un peu triste, peut-être, mais beau d’une certaine façon… Allez, laissons les morts à leur paix éternelle… Que je vous dise, puisque nous arrivons. Nous allons prendre une spatiofuz militaire qui nous emmènera jusqu’à une navette. C’est cette navette qui nous conduira au vaisseau-amiral du Prince Alzetto – le Prince Alzetto, vous vous rappelez ? Là-bas, nous serons tranquilles pour discuter et, si vous le souhaitez toujours, pour travailler. Car je suis persuadée que la Prospective Générale vous manque ! Je me trompe ? Non, je vois bien que non. Regardez, là, vous voyez, c’est le terme de notre périple chez les morts.

         Ils arrivaient dans une salle immense où l’activité contrastait complètement avec l’univers sépulcral qu’ils venaient de traverser. Les voitures de transit ralentirent aux premiers postes de contrôle où les soldats de faction les laissèrent passer sans difficulté.

               - Nous sommes dans une base secondaire de l’Armée, reprit Vliclina. Les militaires ont des bases partout et, ajouta-t-elle avec un petit rire, je dois reconnaître que ce sont les seuls qui conservent un semblant de vie à cet endroit. Allez, Brissy, encore un effort. Dans quelques heures, vous pourrez vous reposer autant qu’il vous plaira, je vous le promets !

     

     

     

               - Vous devez comprendre, mon ami, que vous me mettez dans une situation délicate, difficile même… Très difficile.

         Du haut de son grand fauteuil blanc, le Troisième Membre observait sans bienveillance Lansoer Vras. Ce dernier, à la façon d’un jeune étudiant pris en défaut par son Directeur d’enseignement, ne disait mot, perdu dans la contemplation des extrémités de ses bottes civiles. Il savait que cette convocation, en cet endroit, ne signifiait rien de bon pour lui. Il le comprenait et, d’une certaine façon, il l’acceptait. Cela ne l’avait toutefois pas empêché, malgré l’indifférence calculée de ceux qui sont revenus de tout pour avoir quelquefois été trop loin, d’avoir été défavorablement impressionné par le formalisme de l’entrevue. Il sentait bien que, cette fois-ci, on ne lui pardonnerait certainement pas ses insuffisances. En dépit de tout, malgré la froideur de l’immense salle du Conseil d’Administration de la Compagnie et le regard méchant de son fondateur Zad Zad Xiter dont l’image grandeur nature le surplombait, en dépit même de la présence et de l’air méprisant du secrétaire, un vrai birjad [2] qui, aux pieds de son maître, semblait se délecter de son infortune, Vras ne pouvait que se répéter qu’il avait fait de son mieux. Que personne d’autre n’aurait pu faire plus. La quanticienne de Farber qu’il haïssait à présent de toutes ses forces avait bénéficié d’une chance invraisemblable et de concours de circonstances particulièrement favorables comme il en avait rarement rencontrés.

              - Trois tentatives. Trois échecs. C’est au moins deux de trop, poursuivit le Troisième Membre Garendi. Je suis certain que vous partagez mon point de vue, mon ami.

         Garendi attendit quelques instants et, devant le silence de son interlocuteur, il soupira et reprit.

              - Dire que j’avais toute confiance en vos capacités. Dire que c’est moi, personnellement, qui ai défendu votre dossier, qui ai proposé votre nom… Et maintenant que puis-je leur dire ? Comment expliquer au Collègue-président ? Et à Lui ? Comment Lui expliquer ? Lui qui avait placé sa confiance en nous et qui, très certainement et je le comprends, doit s’estimer aujourd’hui trahi… Non, vous nous avez déçus. Vous m’avez déçu. Terriblement déçu. A cause de vous, notre Compagnie a subi un revers. Un sérieux revers dont vous seul êtes responsable… Et tout cela parce que vous n’avez pas pu venir à bout d’une misérable civile, presque une anonyme. Pire encore une amateure ! Elle vous a roulé, mon ami, et de la pire des façons : en se moquant de vous, en se jouant de vous !

         Piqué à vif par la réflexion, Vras releva la tête et ouvrit la bouche pour se défendre mais la voix de Garendi, comme amplifiée par le vide de la salle, l’en dissuada.

              - Rien ! Je ne veux rien connaître de vos échecs ! hurlait à présent le Troisième Membre. Je vous avais donné carte blanche. Vous étiez tenu de réussir. Des centaines de nos agents étaient sous vos ordres et, pour autant que je sache, aucun d’entre eux n’a discuté votre stratégie ! Vous avez mobilisé des Services entiers, du personnel sans compter, des effectifs qui avaient tant d’autres tâches à accomplir, et tout cela pour un résultat nul. Même pas d’ailleurs car les conséquences de votre incompétence font que, à présent, nos ennemis sont sur leurs gardes, qu’ils ont identifié notre action qui devait – vous vous y étiez engagé – rester totalement confidentielle. Un échec sur toute la ligne, je le répète. Et un échec personnel : le vôtre ! Intolérable ! J’ai donc été amené à prendre ma décision et elle est irrévocable : bien entendu, je vous retire le dossier qui sera confié à d’autres dont je veux croire qu’ils seront plus productifs. Mais, vous, mon ami, puisque vous avez manifestement besoin de vous recycler, je vous ordonne de vous rendre sur Rhésis où, dans le cadre de notre Mission locale, vous irez durant quelques années, parfaire votre formation. Avec la solde et les responsabilités en conséquence, évidemment ! Et estimez-vous heureux que je ne vous propose pas la Stigna [3] pour haute trahison… Allez, on vous tiendra informé de votre nouvelle affectation. Maintenant, dehors ! Je ne veux plus jamais entendre parler de vous. Jamais.

         Les deux hommes regardèrent Vras sortir sans un mot puis, le Troisième membre descendit de son fauteuil et s’approcha de son secrétaire au garde à vous.

              - Mon cher Valdor, oublions cette péripétie douteuse et cet abruti dont je suis bien content de m’être débarrassé. Vous comprenez, mon ami, ces gens de la Sécurité n’entendent qu’une seule chanson : la violence. Mais cette affaire est délicate et nécessite le recours à des méthodes, disons, plus douces. Je reste persuadé que cette quanticienne peut nous être utile. Je veux dire directement utile. Car, à y bien réfléchir, lui a-ton demandé son avis ? Ce qu’elle pense de tout cela ? Lui a-t-on expliqué le sens de notre action ? Non, bien sûr que non ! Il aurait pourtant fallu commencer par là parce que qui nous dit que cette Farbérienne veut à toute force collaborer avec les gens de Baldur, hein, qui nous le dit ? Pourquoi eux ? Elle ne leur doit rien à ce que je sais et notre combat, l’avenir de notre Société et, au-delà l’avenir de bien d’autres choses, est tout aussi attirant… A nous de la convaincre de son bien-fondé. Il sera toujours temps par la suite… Alors, je crois qu’il nous faut utiliser d’autres méthodes. Des méthodes plus généreuses, plus séduisantes pour un esprit scientifique comme le sien, un esprit sans doute logique et raisonnable… Par Buda et les autres, heureusement, elle ne peut pas être certaine que ce sont des gens de chez nous qui l’ont persécutée… Une erreur de stratégie. Une simple erreur… J’ai donc décidé de confier l’affaire au collègue-biocyborg Gilto. L’humain de la situation… Je veux le rencontrer, lui exposer les faits, voir avec lui le meilleur moyen de réparer nos… errements présents. Et si tout se passe comme je le crois, nous pourrons lui demander de mettre sur la brèche sa meilleure triade. Avec eux, séduction d’abord, effacement ensuite mais uniquement si on ne peut pas faire autrement. En tout dernier recours. Voilà qui me convient mieux. Allez, mon ami, je vous propose de m’organiser cette entrevue. Suivez la procédure.

     

     

     

          Pour ce qu’elle en savait, elle aurait très bien pu se trouver encore sur Terra. Ou à Carresville. Ou dans n’importe quelle ville de n’importe quelle planète. Sauf que c’était la première fois qu’elle voyait un tel luxe ou, pour être plus précis, qu’elle en bénéficiait directement. Bristica venait de relever la tête de son ordiquant et, pour la centième fois peut-être, elle détaillait son espace de vie. Ses appartements comme l’avait corrigée Vliclina en souriant. Partout ce n’étaient que boiseries rares, tissus précieux et mobilier de style. Invariablement, elle repensait au palais des premiers présidents farbériens, devenu musée républicain, qu’elle avait visité avec son Directeur d’enseignement et quelques privilégiés comme elle, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Sauf que, ici, c’était chez elle. Pour le moment en tout cas.

         Jamais on n’aurait pu penser qu’on se trouvait à bord d’un vaisseau spatial. L’absence totale de bruit d’une quelconque machine, de la moindre vibration (pour s’en convaincre, elle avait longuement posé sa main contre les bois rares de Pollenk et de Virna de la paroi sans rien sentir d’autre que la douce patine des matériaux), et même du plus petit mouvement, était saisissante. Elle s’approcha de la grande baie vitrée qui faisait face à son bureau et en souleva, luxe inouï, la lourde tenture argentine. Elle apercevait un balcon qui donnait sur un immense jardin où tous les arbres paraissaient vivants : il y avait même des oiseaux dont elle devinait les silhouettes gracieuses. Un soleil rouge tombait sur l’horizon et quelques étoiles dessinant des constellations inconnues commençaient à apparaître. L’illusion était si parfaite qu’elle fut presque tentée d’ouvrir la porte-fenêtre pour respirer le parfum de cette délicieuse fin d’après-midi.

         Mais tout, évidemment, n’était que rêve. Elle savait – Vliclina le lui avait dit – que le vaisseau-amiral, entouré d’une partie de sa flotte, faisait route vers une destination inconnue, quelque part en direction d’Aldébaran. Plus loin, à quelques dizaines de mètres d’elle, s’étendait en réalité le froid silence de l’espace intersidéral. Elle laissa retomber le tissu et revint à son bureau.

         Le vaisseau était une ville flottante. Quand sa navette s’en était approchée, elle avait eu du mal à détacher ses yeux de la gigantesque masse d’acier qui occultait une grande partie du ciel étoilé. Elle savait que des dizaines de milliers d’êtres vivaient ici dont certains ne devaient sans doute jamais fouler le sol de la moindre planète. Peut-être n’en avaient-ils d’ailleurs nul besoin puisque tout avait été pensé pour leur confort : magasins, jardins intérieurs (il existait même, à un des niveaux d’agrément, un vrai parc aux essences multiples, lui avait confié Vliclina), restaurants, salons de musique ou de stéréovision, salles de bal ou d’apparat… Loin, bien loin, de ce qu’elle pensait être un bâtiment militaire… Il est vrai que ce bijou volant était l’antre de l’État-major impérial et que, à part le personnel droïde de maintenance et les soldats de la Garde, le lieu n’était fréquenté que par des dignitaires de haut rang et, en temps de paix, leurs familles : n’avait-elle pas été accueillie, à sa grande surprise, par les cris d’enfants d’une aire d’enseignement toute proche ?

         Le droïde militaire préposé à sa garde s’anima soudain. Elle le regarda s’approcher. La machine se campa devant elle et, de sa voix précise, annonça :

              - Mes respects, Citoyenne, navré de vous interrompre. La Citoyenne Gradzel souhaiterait savoir si elle peut vous rendre visite…

         Devant le signe approbateur de la quanticienne, sans ajouter le moindre mot, il retourna à son poste. Quelques instants plus tard, l’Impériale pénétrait et, portant le poing droit à son cœur, s’approcha en souriant.

           - Avec vous [4], Brissy, commença-t-elle. Êtes-vous convenablement installée ? Je voulais m’excuser pour ne pas vous avoir rendu visite depuis notre long entretien d’avant-hier. Vous me pardonnez, n’est-ce pas ?

         La jeune femme faisait ainsi allusion à la séance plutôt pénible que la Farbérienne avait dû subir dès son arrivée, sorte de débriefing imposé par la Sécurité et, elle devait le reconnaître, également par le simple bon sens. Bien que sa seule interlocutrice eut alors été précisément Vliclina, elle s’était quelque peu sentie mal à l’aise car elle n’ignorait pas que leur conversation était écoutée et que ses moindres réflexions, ses plus petites hésitations, ses silences mêmes allaient être explorés, étudiés, disséqués, commentés à l’infini, très certainement par des spécialistes de la Communication et leurs puissants moyens d’analyse. Elle espérait s’en être honorablement tirée car qu’avait-elle à cacher ? Mais sait-on jamais ce que la fatigue et le stress aidant… Avant qu’elle ait pu répondre, l’Impériale enchaîna :

              - Mais je vois que, selon mes conseils, vous vous êtes remise à votre ordiquant. La Prospective, j’imagine ?

         - Effectivement, Vliva, répondit Bristica en repliant précautionneusement son ordinateur en un mince rouleau qu’elle scella de son empreinte digitale. Mais je dois vous avouer que, pour le moment, il ne s’agit pour moi que d’une simple reprise de contact avec l’IPP. Je ne cherche qu’à me mettre au courant des derniers développements de l’Etude. Et retrouver quelques données personnelles. Rien de plus. Pour l’instant. Mais, asseyez-vous, s’il vous plaît. Du café ?

         Vliclina, vêtue de sa tenue blanche de Troisième Assistante, refusa d’un bref geste de la tête.

              - En réalité, au delà du plaisir de vous voir, lui dit-elle, je suis venue vous parler un peu de ça. De l’Étude, je veux dire.

         Bristica, attentive, se cala dans son fauteuil et fixa son regard sur les yeux verts de son amie.

              - Oui, de l’Étude. Mais, auparavant, j’aimerais vous demander… Voilà. Heu… Durant toutes… vos aventures, il vous a sans doute été possible de vous interroger… de faire le point. Le point pour vous, je précise. De vous situer, en somme, dans toute cette affaire. Et je voudrais savoir comment… comment…

                - Comment je vois – ou plutôt je vis – notre… collaboration ?

                - C’est ça.

         La Farbérienne s’accorda quelques instants de réflexion avant de répondre.

              - Voyez-vous, Vliva, lorsque j’ai accepté votre offre, celle de l’Institut plutôt, j’étais assurément loin de me douter de… des implications que mon choix entraînait. C’est vrai, je suis un peu dépassée par l’ampleur de… tout ce remue-ménage. Je ne saisis pas tout très bien. Je ne suis d’ailleurs pas vraiment sûre de vouloir tout comprendre. Et, dans le même temps, je sais bien qu’il le faudra si je veux être d’une quelconque utilité dans l’avancement de cette étude. Alors, je peux vous donner deux éléments de ma réflexion. D’abord, j’ai été recrutée pour mener à bien un travail et, vous le savez si vous me connaissez un peu, j’ai horreur de ne pas aller jusqu’au bout… même si je ne sais pas vraiment ce que peut être ce bout… D’autre part, j’ai rencontré de nombreuses personnes – plus sans doute que durant toute mon existence sur Farber – en si peu de temps que j’en ai parfois le tournis. Certaines de ces personnes étaient tout à fait désagréables, c’est le moins qu’on puisse dire… D’autres… En réalité, les seules nouvelles connaissances qui m’ont aidée, qui ont été un peu compatissantes, bref, avec lesquelles j’ai envie de travailler, sont de votre côté… Et notamment vous, Vliva…

               - Voilà qui est très gentil, Brissy, et je vous en remercie, répliqua l’Impériale avec un large sourire. Mais vous êtes sûre que…

             - Quoi d’autre ? Ou plus précisément qui d’autre ? J’ai abandonné ma planète car je n’y avais plus personne… A part, peut-être, un vieil ami mais… et vous m’avez appris l’autre jour que… Alors…

         Le visage de Bristica s’était assombri et l’Impériale se pencha vers elle pour lui tapoter gentiment le bras.

              - Je comprends, Brissy., je comprends. Je vous remercie sincèrement de votre confiance. Je ne vais pas vous raconter que notre cause est juste ou je ne sais quoi du même genre, quoique j’en sois convaincue. Non, ce que je veux dire, c’est que nous sommes heureux, je suis heureuse, de vous accueillir véritablement avec nous. J’étais d’ailleurs à peu près sûre de votre réaction. Mais… afin de vous permettre de travailler au plus juste, je dois vous révéler quelques données tout à fait confidentielles… Je suis autorisée à le faire si vous en êtes d’accord. Ce sera notre marque de confiance à nous…

         Vliclina se leva comme si elle voulait rassembler ses idées. Elle marcha de long en large quelques secondes puis se retourna vers Bristica.

              - Des données confidentielles que peu de gens, bien peu de gens connaissent. Ah, bien entendu, les documents adéquats vous seront secondairement transmis… Mais pour le moment, je souhaiterais vous résumer comment nous voyons les choses…

              - Je vous écoute.

            - Voilà. La situation politique d’une grande machine comme la Galaxie est forcément terriblement complexe, vous le savez bien. Toutefois, d’habitude, les grandes lignes de la situation politique sont assez faciles à saisir car c’est au fond toujours la même chose : des forces sont en présence, que ce soit des Etats comme, disons, la Confédération, ou des compagnies commerciales comme la CFS, et ces forces ont des intérêts divergents, parfois même contradictoires. On sait dans quel camp on se trouve et voilà tout… Les lignes de séparation sont relativement claires et, même si les actions ont parfois des origines confuses, on s’y retrouve assez vite quand même. Mais aujourd’hui, il semble que nous soyons en présence d’une situation, comment dire ?, plus subtile, plus intriquée.

         L’Impériale s’était rapprochée de la porte-fenêtre dont elle avait écarté la tenture mais son esprit était bien loin du spectacle bucolique qu’elle regardait distraitement. Elle se retourna brusquement.

            - Citoyen Droïde, je vous prie, laissez-nous et fermez derrière vous.

         Elle attendit quelques instants avant de poursuivre.

             - Intriquée est le mot juste, Brissy. Je viens d’avoir une réunion avec le Prince et son état-major rapproché. Plus quelques hologrammes – oh très peu ! – de civils du Palais. Ce qui ressort de notre analyse, ce sont les points suivants : il semblerait que, au delà des habituels problèmes de voisinage avec le monde extérieur, nous soyons en présence d’une force, probablement bien plus puissante, qui recrute ses membres un peu partout…

         Face à l’étonnement de la quanticienne qui s’apprêtait à l’interrompre, elle leva le bras.

             - Laissez-moi terminer, Brissy. Nous sommes à peu près certains qu’un groupe plus ou moins inconnu poursuit des buts qui vont tout à fait à l’encontre de nos intérêts. D’après ce que nous savons, ce groupe recrute ses agents à peu près partout : dans la Confédération, chez les Stellaires, dans l’Église de la Refondation elle-même… et bien entendu, au sein de Ranval lui-même.

               - Vous en êtes sûre ? ne put s’empêcher de s’exclamer Bristica.

              - Certaine. Et au plus haut niveau : chez les dirigeants de ces différentes entités. Leur but ? Ah, si nous le savions exactement… Mais nous avons quand même une petite idée. Il semblerait que ces gens se soient mis d’accord pour tenter de changer complètement l’équilibre politico-économique de la Galaxie. Pas moins ! Oui, je vous vois sceptique. Moi aussi, au début… En tous cas, il est possible – mais nous ne sommes sûrs de rien – que leur but ultime soit la réunification de tous les êtres vivants de la Galaxie. Ils auraient même un nom pour ça : ils parlent de « l’Universalité ».

              - Impossible, c’est impossible, s’écria Bristica. Comment voulez-vous… Et où trouveraient-ils les moyens…

           - De mener à bien  leur entreprise? C’est là où intervient l’importance, l’influence de ces gens. Leurs dirigeants seraient tous haut-placés. Tous à des postes clés… Chez nous, chez les Confédérés, chez les commerciaux, les Religieux, les mondes indépendants, tenez, même sur votre République de Farber, qui sait ? Partout ! Et l’intérêt de tout cela, allez-vous me dire ? Probablement le commerce, le pouvoir, comme toujours. Imaginez : une galaxie unifiée, sans frontières, sans états… C’est là où nous trouvons ce projet mortel. Non pas tant dans la disparition de Ranval tel que nous le connaissons et pour lequel, soit dit en passant, je combattrai jusqu’à mon dernier souffle, mais surtout dans le fait que les compagnies de commerce seraient toutes puissantes, à commencer par le Fret Stellaire, je suis prête à le parier. Il faut empêcher cela, martela Vliclina. L’empêcher absolument. Mais nous avons peut-être de la chance. Oui, de la chance car nous sommes à présent au courant de ce que j’appelle un complot à l’échelle galactique et puis… il y a vous, Brissy. Vous qui avec votre nouvelle approche de la Prospective générale pourrez peut-être nous permettre d’y voir plus clair, plus vite… Vous voyez, je ne vous cache rien. Nous comptons indiscutablement sur vous…

              - Je n’arrive pas à le croire, murmura la Farbérienne. Mais dans l’Etude, jamais je n’ai…

              - Une étude, même si elle est parfaitement bien menée, dépend toujours des données qu’on y introduit… Et, jusqu’à présent, ces données étaient incomplètes. Un exemple : le Xantinum – et donc la reprise de l’Expansion – est certainement un des points clés et vous vous en êtes servie mais saviez-vous que la succession de l’Empire pose problème ? Que sa Majesté est très souffrante alors que son successeur, la future Impératrice, Algrisa, est encore si jeune ? Non, bien sûr. Evidemment, dans un premier temps, on ne tenait pas à communiquer une information de cette importance… Mais il y a bien d’autres données, au moins aussi importantes… Par exemple encore : la Guilde a un assez grave problème avec… Ah, excusez-moi, mais il semble qu’on ait besoin de moi, s’interrompit l’Impériale en portant la main à la poche abdominale de son uniforme. Mais, vous aurez toutes les données, ne vous inquiétez-pas… Allez, je vous vois perplexe, Brissy.

            - Ahurie plutôt devant tout ce que vous venez de me dire…

            - On pourra en rediscuter plus tard mais je dois… A très bientôt, j’en suis sûre.

         Bristica regarda l’Impériale s’éloigner de sa démarche féline. Elle reporta son regard vers son ordiquant qui l’attendait tranquillement sur son bureau. Inutile d’y revenir, pensa-t-elle, avant d’avoir ces nouvelles fantastiques données… Elle soupira en envisageant – si tout cela se révélait exact, ce qu’elle avait encore quelque peine à croire – l’immense travail d’analyse et de synthèse qui l’attendait en incorporant tous ces nouveaux paramètres. Mais pourquoi avoir attendu pour les communiquer ? Les commanditaires de l’étude ne pouvaient ignorer que, sans eux, les résultats seraient sinon faux du moins imprécis… Pourquoi maintenant ? Et où se situait-elle dans tout ça ? Dire qu’elle avait suggéré des hypothèses de progression prédictive, jeté les bases d’une préméta-analyse, avancé une date pour un point de convergence  et que… tout était entièrement à revoir ! Plus que des données chiffrées, sa méthodologie et sa nouvelle approche de la PG, c’était cela qui avait intéressé ! On ne lui avait pas jusqu’à maintenant réellement fait confiance puisque qu’on avait occulté des critères de première importance. Et à présent ? Etait-ce à présent que commençait vraiment son travail ? Pourrait-elle d’ailleurs se permettre de…

              - Excusez-moi, Brissy, de vous déranger encore mais j’ai oublié de vous dire…

         Vliclina était revenue sur ses pas sans même qu ‘elle s’en soit rendu compte.

            - J’ai oublié de vous dire… Pensons aussi aux choses moins sérieuses : il y a une soirée de réception pour des militaires du 4ème quadrant qui sont en visite ici. Dans le grand salon d’apparat du 14ème niveau. Et le Prince Alzetto souhaite que vous soyez à ses côtés… A sa droite, pour être précise, ce qui n’est pas si courant, vous pouvez me croire, ajouta-t-elle avec un clin d’œil malicieux.

         L’Impériale définitivement partie, Vliclina, encore abasourdie par ses révélations, s’approcha de la baie vitrée. L’image du parc sous la nuit s’étendait devant elle. Une lune rousse illuminait le ciel et donnait à toutes choses une apparence étrange. Elle se demanda quelle pouvait être la planète qui avait donné vie à ce mirage. Elle aurait aimé s’y promener. Cela devait être délicieux de musarder sous la tonnelle de plantes aux couleurs vives, à présent assombries, qu’elle devinait sur sa gauche. Le parfum des essences inconnues devait être enivrant. Barnove nulle, cria-t-elle soudain en farbérien, et comment je m’habille, moi, pour cette réception ? Puis une autre idée la frappa : le point de convergence ! Il devait être tout près. Bien plus qu’elle ne l’avait précédemment pensé. Aurait-elle le temps… Elle secoua la tête, nerveuse tout à coup. A nouveau, l’avenir s’emballait.

     

         

    Fin de la première partie

     

    suite ICI

     

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    [1]  cristal s’écrit kristel en Fried

    [2]  Birjad : injure en usage dans la Confédération qui désigne un jeune individu antipathique et plein de morgue. La traduction la plus proche pourrait être « gommeux », quoique cette expression soit, dans notre langue, moins vulgaire.

    [3]  Stigna : service interne de contentieux de la CFS, en fait une sorte de cour martiale.

    [4]  Formule de politesse assez courante dans la Galaxie. Littéralement, l’expression « Sag-ader valt », utilisée ici, signifie en Fried : « avec vous, civilement » (NdT)


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