• Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

     

    Sujet :                                    L’Universalité 

    Section :                  histoire générale, histoire des philosophies, politique       générale et stratégie,

    Références extrait(s) :        tome 24, pp. 128-161 ; tome 104, pp. 26-97,  212-281 et 427-432 ; tome 108, p.921-923

    Sources générales :           tome 24, chapitre 2 ; tomes 101-108 ; tomes                    283-284

    Annexe(s) :      échanges interstellaires, droit interstellaire, droit  sociétal, routines spéciales 

     

     

    …/… fait officiellement remonter l’origine formelle de l’Universalité (alors encore dénommée « Globalité ») à l’année 541 rc lors de la parution du manifeste conjoint « Globalité et structuration galactique » par Ravin Djecoul (Terra) et Aldrin Loz-Gart (Gavelor du Cygne). Après des débuts modestes, vite complétés par une diffusion active sur le kha de l’époque, cette nouvelle approche quasi-philosophique des rapports interhumains dans la Galaxie réussit à séduire de nombreux intellectuels et scientifiques si bien que…/…

    …/… représentée notamment au sein du pouvoir impérial par plusieurs hauts représentants de « l’Opposition Globale ». Combattue par les tenants d’un pouvoir impérial centralisateur, l’Universalité s’imposa dans plusieurs systèmes planétaires comme une alternative crédible à la gestion de l’Empereur Zeld III l’Ancien puis à celle de son successeur, l’Impératrice Zelia I. C’est cette dernière qui, en 549 rc, décida de mettre un terme à l’expérience universaliste, notamment présente dans le système de Procyon et dans celui de Capella. La situation se résolut sans conflit majeur ce qui explique…/…

    …/… resta en définitive relativement confidentielle jusqu’en 927rc lors de ce que l’on baptisera par la suite les « les Événements d’Olphiecor » (voir sujet dédié) qui déboucha sur une répression de la part du pouvoir central, une répression aux allures de guerre civile…/… s’étendant sur plusieurs systèmes planétaires (notamment Algol, Gagino et, dans une moindre mesure, Vargas), cette « révolte » universaliste s’appuyait sur des éléments militaires en provenance de la Confédération des Planètes Indépendantes ainsi que sur des forces paramilitaires recrutées sur place, souvent fortement armées ../… reprise en main par les éléments d’active de la Première Armée Impériale qui …/… donna lieu à de nombreux procès pour haute trahison …/…

    …/… dans un contexte de dérégulation complet qui s’appuie principalement sur la disparition de tout « prélèvement » (impôts, taxes, droits de douane, de péages, etc.) en rapport avec le commerce interstellaire, l’Universalité prône un « Empire bienveillant s’appuyant sur une liberté retrouvée » (Aldrin Loz-Gart) qui, de fait, s’oppose forcément aux structures en place. C’est la raison pour laquelle …/…

     

     


    8

     

      

                 - Citoyenne Glovenal, j’ai besoin de vous parler, commença sans hésiter Gilto. Il se savait pressé par le temps et avait décidé de se dévoiler d’emblée.

       Bristica eut l’extraordinaire sensation que tout son sang se figeait dans son corps. Pétrifiée, tétanisée, elle resta sans voix, immobile, en perdition. Prenant peut-être son attitude pour une sorte de réserve qu’il convenait d’apaiser ou comme une attente tout à fait compréhensible d’en savoir plus et ayant la certitude qu’elle avait bien compris ce qu’il venait de lui chuchoter, Gilto jeta un bref regard vers Drimed qui, à deux vitrines d’où ils se trouvaient, était en grande conversation avec Galène, avant de reporter son attention sur Bristica, figée comme une image fixe de talide.

               - Oui, vous comprenez, j’avais besoin de vous entretenir d’un projet… reprit-il de sa voix douce et pondérée. Mais il ne faut certainement pas vous effrayer… Ce que je veux vous faire comprendre, c’est que je suis en relation, en fait presque par hasard, avec des responsables haut placés de votre discipline, la prospective générale bien sûr, qui désirent vous rencontrer, oh de façon tout à fait informelle… Face au mutisme de la Farbérienne, Gilto poursuivit : … en réalité des gens dont je suis certain que vous les connaissez – au moins de nom – et qui meurent d’envie de vous entendre sur votre nouvelle approche qui... Parce que, vous savez, vous êtes célèbre à présent dans l’ensemble de la Galaxie… et c’est vrai qu’il est dommage que, à cause du conflit actuel, on ne puisse pas facilement échanger… Qu’en pensez-vous ? Vous ne croyez pas que ça vaudrait vraiment la peine de rencontrer des spécialistes de votre niveau et d’échanger vos vues sur… Je peux arranger ça très facilement, vous savez.

       Bristica sortit enfin de sa torpeur pour immédiatement regretter son imprudence car, elle en était certaine, son interlocuteur représentait ceux qu’elle ne devait sous aucun prétexte approcher, Vliclina le lui avait suffisamment rappelé à maintes reprises. Comment avait-elle pu un seul instant croire que… D’une voix peu assurée, elle se lança :

              - Bien entendu, c’est le professeur Drimed qui vous a appris qui j’étais… Mais, citoyen… monsieur, heu, Zer-Dag, je n’ai aucune envie de… et, d’ailleurs, je ne le peux tout simplement pas…

                - Allons, allons, il ne s’agit que d’une conversation, une simple entrevue avec des gens qui… pour tout dire, sont vos admirateurs et j’avoue que je ne comprendrais pas vraiment pourquoi…

                 - Désolé de vous décevoir mais c’est non. Définitivement non.

             - Vous êtes sûre, insista Gilto, absolument sûre. Rien ne pourrait vous faire changer d’avis ? Vraiment rien ?

       Bristica haussa les épaules sans répondre et tenta de s’éloigner du biocyborg pour rejoindre les autres lorsqu’il se passa une chose qui dépassa son entendement : l’humain la saisit par le bras et l’empêcha d’aller plus avant. Totalement surprise, la Farbérienne essaya de se dégager mais la poigne de Gilto était bien trop puissante. Elle se tourna vers Drimed et Galène pour appeler à l’aide mais ils avaient tout bonnement disparu. Au contraire, d’une porte dérobée centrale qu’elle n’avait pas repérée, deux droïdes venaient d’émerger et se dirigeaient vers eux. Au comble du désespoir, Bristica se rendit compte qu’elle était tombée dans un piège et qu’elle n’avait aucune chance de s’en sortir.

                - Allez, venez, murmura Gilto, je puis vous assurer formellement qu’il ne vous sera fait aucun mal. On va suivre les deux droïdes. J’ai un carel [1] tout près : on discute avec mes amis et puis, c’est fini, vous rejoignez votre hôtel. Ni vu, ni connu, qu’en dîtes-vous ?

       Bristica était persuadée que le cyborg lui mentait pour s’assurer de sa relative neutralité. En fait, c’était bel et bien un enlèvement et elle n’avait rien vu venir, barnove nulle ! Résister ne servait à rien. D’autant que les droïdes qui s’approchaient et dont elle n’avait jamais vu un tel modèle, n’avaient pas l’air d’être particulièrement dociles.

         C’est alors que tout bascula.

         Les deux droïdes inconnus étaient à peine à moins de deux mètres de Bristica, bien décidés semblait-il à prêter main forte à Gilto, que le plus proche s’arrêta brutalement comme frappé de paralysie soudaine. Pour le deuxième, ce fut pire : il s’écroula sur le sol dallé avec un bruit répugnant de succion molle. C’est seulement à ce moment que la Farbérienne remarqua que le magasin de présentation le plus éloigné d’eux s’était ouvert et qu’une silhouette bien reconnaissable s’en était extrait.

                 - Vals ! hurla-t-elle tant son soulagement était réel. Je ne savais pas…

       Mais le grand droïde, soudain extraordinairement mobile, ne s’arrêta pas à sa hauteur occupé qu’il était à poursuivre Gilto lequel, face à l’échec patent de sa tentative, avait pris la fuite dans le corridor où avaient déjà disparu Drimed et Galène. Après un instant d’hésitation, Bristica se résolut à lui emboîter le pas. Elle n’eut pas à courir bien longtemps. Plusieurs miliciens aidés de droïdes-policiers n’avaient eu aucune peine à intercepter les fuyards. Sauf Gilto qui n’était nulle part visible. Essoufflée plus par la grande peur qui l’avait submergée que par sa course relativement modeste, Bristica se porta à la hauteur de Vals qui inspectait l’endroit avec une intensité soutenue. La jeune femme n’eut pas le temps de l’interroger qu’il était reparti en direction de la paroi controlatérale. Après une brève inspection, il leva son bras gauche et, effectivement, comme par une sorte de magie, un pan de mur bascula sur une ouverture extérieure expliquant la mystérieuse disparition de leur ennemi. Sans attendre, le grand droïde s’engouffra dans le passage ainsi révélé.

     

     

     

       Depuis son enfance, en réalité du plus loin qu’il s’en souvienne, Tritze s’était senti proche de Dieu[2]. Proche ? En communion plutôt. Comme s’il était habité par lui. Dès ses premières années en ce bas-monde, ses parents, disciples intraitables de la Seconde Religion, lui avaient fait comprendre l’honneur suprême de faire partie des Vrais Élus. À peine savait-il vaguement lire qu’il commençait à apprendre par cœur les préceptes de la Tayorka[3], à les recommencer encore et encore tout au long de son apprentissage. Jusqu’à pouvoir les répéter sans la moindre erreur. Mais pas les ânonner stupidement comme certains faux disciples, non, lui, il en comprenait la moindre ligne, le moindre signe, la plus petite virgule. Cent-vingt-sept chapitres, des milliers de pages énoncés par le prophète du Début des Premiers jours. On pouvait lui poser n’importe quelle question, lui citer n’importe quel passage, il n’était jamais pris au dépourvu. Il savait les textes absolument par cœur et, parfois, il avait presque l’impression de faire lui-même partie du Livre des Révélations, la Tayorka. Il avait bien ri avant de se fâcher lorsque des détracteurs stupides lui avaient suggéré que cet apprentissage sévère lui avait carbonisé le cerveau, l’avait formaté au point de ne plus être qu’une sorte de perroquet savant et qu’il avait définitivement perdu sa liberté de penser. Quelle liberté ? Quoi d’important pouvait-il exister en dehors de la Tayorka ? C’étaient eux les carbonisés du cerveau, eux et pas lui qui défendait la Vérité. La seule et unique Vérité. Tritze aurait pu devenir un éminent religieux portant la Bonne Parole, voire un spécialiste, un authentique exégète de la Tayorka. Le destin en avait décidé autrement lorsque le Telior[4] avait convaincu ses parents qu’il serait bien plus utile à la vraie foi en occupant une place importante dans la société civile, de préférence au sein de l’administration impériale. Tritze n’avait pas discuté cette recommandation. Il ne discutait jamais les avis de ceux qui savaient, les avis des vrais croyants. Jamais. Il se lança à corps perdu dans des études de systématique stratégique comme l’avait suggéré le Telior. Il avait été remarqué très tôt pour ses capacités de mémorisation et de déduction tant et si bien qu’à trente-deux ans à peine, il occupait le poste envié de vice-directeur des Opérations au Département-Ministère de la Planification Locale. Un travail certes fastidieux mais qui lui laissait du temps pour prolonger sa foi et, surtout, pour signifier au Tout-Puissant sa totale soumission.

       En ce matin glorieux de juin 956rc, Tritze s’apprêtait à entrer dans l’Histoire. La Grande Histoire, la seule qui comptait, celle de Dieu. Depuis plusieurs années déjà, il savait son époque mauvaise, maudite même. Le sursaut était nécessaire. Et il était un de ceux qui avaient été appelés pour faire comprendre à cette humanité en perdition qu’elle avait emprunté un mauvais chemin, une route infernale, celle du déshonneur et de l’athéisme. Tous ces gens unis par une absence de morale, par le partage d’intérêts contraires à l’esprit de sacrifice religieux, les voilà qui se faisaient à présent la guerre pour d’obscurs avantages économiques. Sans souci de tous ceux qui périssaient en chemin sans même pouvoir être sauvés. Les décideurs de ce temps de désespoir devaient être châtiés, même au prix de vies innocentes. D’ailleurs, il n’y avait pas de réels innocents car, enfin, tous acceptaient les choix de leurs dirigeants, voire les anticipaient. Pas d’innocents. Tous coupables à un degré ou à un autre. Quelques rares élus avaient saisi l’horreur de la situation. Tritze était l’un de ceux-là et il comptait bien le faire comprendre.

       Il salua ses quelques rares collaborateurs présents d’un bref signe du bras et méprisa comme à son habitude les stupides droïdes qui s’étaient mis au garde-à-vous en l’apercevant. Son carré pro était un des plus grands du 185ème étage – celui des services de direction – de la tour Grozen. Par beau temps comme aujourd’hui, on pouvait apercevoir les contreforts boisés du palais impérial mais il ne tourna certainement pas son regard vers cet endroit qui n’était digne que de son mépris. Il préféra observer ses collaborateurs au travers de la paroi vitrée de son carré, une paroi occultée uniquement de l’extérieur. Il y avait déjà là une dizaine de personnes mais dans moins d’une demi-heure ils seraient plus, bien plus. C’est à ce moment qu’il frapperait. À propos… Son regard se porta vers son planorbe qui renfermait depuis plusieurs jours déjà la bombe à diffusion qu’il y avait cachée. Plusieurs jours de suite, il avait nuitamment rapporté des documents ordiquantiques afin de se faire accepter de la Sécurité qui était plutôt sourcilleuse puis il s’était lancé à transporter le lourd coffret indétectable de la bombe. Aucun problème. Il était trop connu de la Sécurité. L’Universalité – encore de faux prophètes – lui avaient fait parvenir l’arme. Il avait ensuite envoyé paître le représentant de cette secte inepte qui voulait savoir si… Crétins immondes ! Ceux-là ne valaient pas mieux que les bureaucrates impériaux. Eux non plus ne comprenaient rien à rien par manque évident d’esprit sacré. Dieu les punirait aussi un jour ou l’autre ; c’était écrit car Dieu ne pardonnait qu’à ses fidèles.

       Il attendit patiemment. La plus grande partie de son personnel arriva. Pourquoi attendre plus encore sa rencontre avec le Tout-Puissant ? Déjà, il se voyait accueilli par les Térêtres[5] qui le conduiraient au Créateur. Pour qu’il puisse enfin totalement fusionner avec lui. Allez. Il claqua dans ses mains pour ouvrir le tiroir supérieur du planorbe et s’empara de la clé, sorte de petit boitier qu’il n’avait qu’à armer avec l’empreinte de son pouce droit avant de déclencher le dispositif conçu pour ne réagir qu’à sa voix. Dommage qu’il ne puisse pas assister au grand chambardement qui allait emporter au moins trois étages du bâtiment et, avec un peu de chance, tout le reste de la structure si elle se trouvait suffisamment affaiblie. Il regarda une dernière fois les misérables silhouettes qui s’agitaient derrière sa vitre de séparation. Tous coupables. Il présenta son doigt au boitier avant de prononcer la formule magique.

     

     

     

       Gilto se savait perdu. Le sas de maintenance qui lui avait permis d’échapper aux Impériaux n’était qu’un pis-aller, le moyen dérisoire de gagner quelque minutes mais pour quoi faire ? Il se trouvait à présent sur une mince passerelle extérieure qui entourait cette partie du musée mais qui jamais – et c’était sa malchance – ne redescendait vers le sol. Il avait particulièrement étudié les plans de l’édifice et s’il avait retenu ce circuit d’entretien comme fuite possible, jamais il n’avait envisagé qu’il aurait besoin de s’en servir. Il comprenait à présent qu’il avait été trompé. Peut-être ses agents infiltrés avaient-ils été induits en erreur. À moins que l’assistante de la quanticienne ait tout simplement joué les agents doubles. Quelle que soit l’explication, ses ennemis ne tarderaient pas à l’encercler, toute fuite étant impossible. Or, il ne pouvait pas, il ne devait pas tomber entre des mains étrangères qui, en dépit de sa farouche volonté, finiraient par le faire craquer pour remonter jusqu’à Valardi. Aucune issue donc. Gilto ne portait évidemment pas d’armes sur lui ce qui l’aurait certainement fait repérer mais, pire encore, il n’avait plus de microbille inguinale depuis qu’il avait quitté sa triade d’escadron noir bien des années auparavant. De ce fait… Il observa la rambarde qui protégeait la passerelle. Au-delà le vide et le jardin quarante mètres plus bas. Sa seule option était donc de suivre le frêle chemin de polysalte noir sur lequel il se trouvait et de monter progressivement jusqu’en haut de l’édifice où débouchait un accès général, les autres sas rencontrés en chemin étant bien entendu inenvisageables. Il décida de ne pas bouger, que cela n’en valait pas la peine. Le ciel d’un bleu pénétrant et le soleil rougeâtre de Derisor semblaient se moquer de lui. Ils avaient bien raison : comment avait-il pu un instant penser qu’ils pourraient rencontrer la quanticienne sans que les Impériaux ne le sachent ? Valardi avait bien cherché à le dissuader de… Tout cela n’avait plus aucune importance. Plus aucune. Les toits des bâtiments qui, au-delà du jardin du musée, lui faisaient face se teintaient de rouge sous le soleil et il eut l’impression d’avoir déjà vu cette scène paisible. Il fouilla dans sa mémoire mais sans succès. Pourtant, il était certain que… Le palais Louvre de l’autre côté de la rivière Seine ! Quand il était Français perdu dans une virtualité ancienne… Le palais Louvre de la ville Paris rougi par le soleil couchant de Terra… C’était un temps béni. Il avait alors toutes les clés du problème posé par le ralliement de la quanticienne à l’Empire. Il ne doutait pas de trouver une solution. Il était certain d’arriver à lui faire entendre raison et voilà qu’à présent… Il entendit du bruit aux deux extrémités de la passerelle. Les secondes filaient si vite. Il attendit de percevoir le premier mouvement de l’ennemi, encore loin de lui. Alors, il se leva d’un coup, saisit de sa main droite la rambarde et, d’un bond prodigieux, sauta dans le vide. Tandis que l’air épais de Derisor lui giflait le visage, il vit s’approcher le sol synthétique vert et bleu mais n’eut pas le temps de réellement s’en inquiéter avant de rencontrer le noir absolu.

     

     

     

       Pour la première fois depuis bien des jours Vliclina se sentait modérément optimiste. Elle avait eu un assez long entretien avec ses deux « plénipotentiaires » comme elle les surnommait à présent puis avec Rogue seul. Elle s’était convaincue que quelque chose – enfin - bougeait. Oh ce n’était que les prémices d’une possible sortie de crise, et peut-être même de guerre, et il n’était certainement pas question de crier victoire mais… Elle se retourna lorsqu’elle entendit la porte de la salle de réunion coulisser. Précédée par un droïde qu’elle congédia immédiatement, Der-Aver s’avança vers elle, apparemment plus détendue elle-aussi. Les deux femmes avaient décidé de délaisser leurs habituelles entrevues holographiques pour une exceptionnelle entrevue présentielle. Vliclina porta son poing à son cœur en geste de bienvenue puis désigna le biodiv qui entourait une petite table-espace de travail. Ce fut Der-Aver qui parla en premier.

              - Vous êtes sûre, ma chère amie, qu’il ne s’agit pas d’une intox ? D’une manœuvre destinée à nous démobiliser si peu que ce soit ?

           - Je ne vois pas ce que cela apporterait maintenant à nos… adversaires mais, surtout, il s’agit d’une simple demande de prise de contact. Rien de plus. Nous verrons bien alors si… Mais ce que m’ont rapporté mes agents semble sérieux au regard des personnalités requérantes. Comme je vous l’ai dit, il y a tout d’abord une demande provenant d’un très important décideur de la CFS dont nous savons bien tout le rôle délétère que cette organisation joue dans le conflit actuel. Et puis il y a cette seconde source, le groupe 107, dont il semble que son désir de nous rencontrer soit totalement indépendant de la première demande que je viens d’évoquer. Alors oui, il semble que quelque chose bouge chez nos ennemis comme si au moins quelques uns d’entre eux – et non des moindres - n’étaient plus aussi certains de la justesse de leurs opérations.

       Der-Aver se renversa en arrière dans son div et, comme à son habitude lorsqu’elle réfléchissait, elle se mit à lisser pensivement les plis de sa birta noire et du long pantalon de la même couleur que par une coquetterie bien à elle, et contrairement à la mode en cours sur Terra, elle refusait d’entrer dans ses fines demi-bottes en cuir noir de Tiréné[6]. Elle se redressa brusquement, toisa Vliclina d’un œil acéré avant de répondre d’une voix douce mais affirmée.

              - C’est entendu. Il y a là peut-être quelque chose et nous allons nous en occuper… D’autant, ajouta-t-elle après quelques secondes de silence, que les militaires semblent plutôt satisfaits de leurs opérations en cours. Comme si les savants calculs de nos quanticiens aboutissaient enfin à quelque chose de concret mais il s’agit là d’un autre sujet. Et puis il y a aussi cet attentat horrible de la tour Grozen. Deux cent vingt-deux morts et des dégâts considérables. Affreux ! Oui, affreux mais qui me rend paradoxalement modérément – oh très modérément - optimiste… Je vois à votre réaction, ma chère Vliclina, que vous semblez surprise ? Je m’explique alors. Vous vous souvenez des premières attaques de nos ennemis à l’intérieur même de nos terres ? Avant le début réel des hostilités entre militaires ? Une tentative de mise en condition, avions-nous conclu. Puis plus rien. Et voilà que ça recommence ! Eh bien, savez-vous ce que j’en pense ? Je crois que nos ennemis commencent peut-être à perdre pied, qu’ils sentent le vent tourner. Et pas en leur faveur. Ce que nous avaient présenté – mais même moi je n’y croyais guère – nos quanticiens comme les premières signes de l’approche du point de convergence probable.

       Der-Aver, tête baissée pour une concentration maximale, s’était mise à marcher de long en large dans le petit salon de réception. Elle releva soudain la tête et fixa Vliclina de son regard perçant.

              - À propos de quanticiens, j’ai appris l’échec de notre tentative d’intercepter ce dignitaire de l’Universalité qui s’en était pris à notre quanticienne en chef. Dommage en effet mais on ne peut pas réussir à chaque fois et ça valait le coup d’être tenté. Bon. Revenons à l’essentiel. Comme je prévois que la situation actuelle si elle se révèle fondée dépasse nos simples compétences, il va falloir prévoir une réunion informelle du comité stratégique, évidemment avec les militaires et donc le Prince Alzetto. Revenons sur ce que nous savons, sur ce que vous savez, et expliquez-moi tout en détail.

     

     

     

       En cette région convoitée, le bruit des armes ne s’était jamais tu. L’espace interplanétaire était certainement gigantesque et pourtant il y avait eu continuellement nombre d’escarmouches, de petits combats isolés, voire quelques manœuvres hasardeuses ou apparemment incongrues durant les mois précédents mais, au total, rien de concluant pouvant remettre en cause les positions respectives des belligérants. Toutefois, on sentait bien que cette guerre qui n’était au début que de positions virait peu à peu en des confrontations plus conséquentes, comme si, par quelque malice du destin, se mettait en place une montée en puissance de combats de plus en plus fréquents et de plus en plus généralisés.

       Tout bascula le 6 juillet 976rc, vers quatre heures de l’après-midi, heure galactique du système Grantel de Mez-Antelor. Comme à l’accoutumée, les premiers éléments avancés de la Troisième Armée Impériale s’étaient mis à harceler les avant-postes confédérés mais le fait nouveau était la présence légèrement en arrière d’eux de l’essentiel de la flotte elle-même. Des dizaines de gros porteurs entourés de cargueurs et de milliers d’éléments légers principalement sous forme de spatiocroiseurs individuels dont l’apparente dextérité semblait attester du fait qu’ils n’étaient plus pilotés par des entités droïdes mais bel et bien par des humains. Les premiers éléments de défense confédérés ne s’y trompèrent pas : une opération d’envergure était en cours.

       Le Grand-Amiral Torz-Brilano, localement en charge des opérations de l’Empire, se détourna de l’écran géant et toisa ses subordonnés immédiats.

              - Il va de soi – nous en avons assez déjà discuté – que la partie ne sera pas facile, commença-t-il. Nous avons face à nous les meilleurs éléments spatiogalactiques prestoniens et carsusiens. Ils ne se laisseront pas faire, vous pouvez en être certains. Ce que souhaite le généralissime, ce n’est pas de remporter je ne sais quel avantage sur nos ennemis mais de créer un point d’ancrage sur la planète elle-même. Je ne vous cache pas que la suite sera difficile pour les troupes au sol tant nos ennemis ont eu le temps de fortifier leurs positions ici-bas… Mais cela ne nous concerne pas directement, ajouta-t-il après un léger temps de réflexion. Nous, notre mission comme vous le savez est de faciliter cette opération au sol. Ce qui n’est pas rien. Alors, Messieurs, prenez vos commandements et informez-moi en temps réel de l’avancée de l’opération. Ce sera tout.

       Dans la noirceur glacée entourant Mez-Antelor, les combats faisaient rage. L’immense obscurité habituellement vide était parsemée de brefs éclairs bleutés et de chaude lumière orangée provenant des vaisseaux endommagés et parfois à la dérive, l’ensemble dans un silence absolu qui aurait certainement été déréalisant pour un éventuel observateur extérieur. Les Confédérés se battaient avec l’énergie du désespoir pour empêcher leurs ennemis de débarquer sur la planète. Toutefois, les Impériaux avaient le bénéfice du nombre et, moyennant des pertes assez sévères, progressaient en repoussant petit à petit les vaisseaux de ligne adverses et les myriades d’éléments individuels qui les entouraient. Une contre-offensive prestonienne ayant échouée, les premiers cargueurs impériaux approchèrent du sol de Mez-Antelor dans un déluge de feu adverse mais, en dépit de dégâts conséquents, les assaillants arrivèrent à faire se poser quelques unités susceptibles de constituer le point de départ de la tête de pont tant désirée. Il avait fallu près de quatorze heures de combat pour obtenir ce résultat fragile.

       Grad était un homme encore jeune, à peine 52 ans, et l’armée était toute sa vie. Il se souvenait à peine de ses parents, tués lors des émeutes de Diaphane 4. Lui et sa sœur Lots en avait pourtant réchappé, il ne savait pas vraiment comment. Pour ce que ça avait servi à sa sœur qui n’avait jamais pu surmonter la perte des parents et du domicile familial au point que, quelques mois plus tard, profitant de son absence, elle avait mis fin à ses jours. C’est la raison pour laquelle Grad avait presque aussitôt rejoint l’armée impériale ou, pour être plus précis, l’espèce de légion étrangère (le système stellaire de Diaphane se situait à la périphérie mais en dehors du sixième quadrant de l’Empire) qui recrutait tout volontaire valide et désireux de commencer une nouvelle existence. Après des années de dur entraînement et avec un peu de chance pour avoir été distingué lors d’une insignifiante échauffourée coloniale, il avait été incorporé dans la deuxième Staz-Ret (SR) qui était une force d’appoint des troupes régulières et que Grad, lorsqu’il dédaignait faire quelques confidences ce qui n’était pas souvent le cas, désignait du terme un peu pompeux de « forces spéciales ». Il n’ignorait pas que les SR étaient souvent promis au « ratissage avant », ce qui signifiait que leur participation était souvent sacrificielle afin, en quelque sorte, de préparer le terrain pour les autres. Qu’importe ! Il se sentait bien au sein de son unité et n’aurait pas pour tout l’or du monde souhaité une autre affectation. Oui, on pouvait dire que l’armée était toute sa vie. Il n’avait donc pas eu la moindre pensée négative lorsqu’il avait appris que son groupe allait « sécuriser » le débarquement sur Antelor des éléments réguliers de la division « Combat absolu » de la Troisième Armée. Au contraire : il considérait comme un honneur suprême de combattre pour la reconquête de territoires depuis trop longtemps perdus. Tout comme Zag-Dig, son binôme durant plus de dix ans qu’il ne quittait pratiquement jamais. Zaggy pour les intimes, c’est-à-dire essentiellement lui, était son parfait reflet en peut-être plus vindicatif encore tant il s’ennuyait au bout de deux jours d’inactivité. Ensemble ils avaient connu bien des combats et autant de vicissitudes et s’ils parlaient peu, ils se comprenaient parfaitement. La mise ne place de la tête de pont antélorienne n’avait apparemment pas posé de si grandes difficultés tant les spationautes, durant des heures, avaient écrasé le périmètre convoité. Grad, néanmoins, ne se faisait aucune illusion : l’anéantissement de leur ennemi n’était certainement qu’apparent et il faudrait encore bien des combats pour terrasser tous ceux qui s’étaient réfugiés dans leurs abris probablement profondément creusés sous terre. C’était cette éventualité qui motivait Grad car il n’aurait certainement pas aimé débarquer sur un territoire déjà conquis ! Il se tourna vers leur chef opérateur, responsable des duos composant cette partie des SR. L’homme sous son casque noir semblait hésitant. Pas son genre, s’interrogea Grad mais il attendit patiemment. Enfin, l’officier qui avait réuni une dizaine de ses duos demanda le silence.

              - Les gars, commença-t-il, on va y aller et on procèdera comme d’habitude : dispersion immédiate et silence radio. On neutralise ce qu’on peut mais surtout on observe bien comment se présente la situation. J’insiste, hein ? Neutraliser quelques unes de ces larves misérables n’a d’intérêt que si on comprend comment ils fonctionnent. Bien compris ?

       Grad se tourna vers son ami Zag-Dig, l’air de dire : eh bien, qu’est-ce qu’il lui prend ; on sait bien tout ça ! Il avait l’impression que leur chef devait leur faire part de quelque chose qu’il avait du mal à verbaliser. Comme les autres soldats présents, au garde-à-vous, il attendit. Le chef opérateur se racla la gorge avant de poursuivre.

                - Il y a quelque chose d’autre à prendre en compte. Heu, voilà, nos éclaireurs sont formels et… bref, vous allez sûrement avoir affaire à une unité de Zoldens, c’est-à-dire, comme vous le savez, ces droïdes spéciaux, les droïdes noirs comme on les surnomme, qui ne sont pas connus pour leur bienveillance. J’imagine que vous n’avez pas eu souvent l’occasion de vous confronter à eux mais on les a déjà parfois évoqués. Donc pas de réelle surprise. Pour faire court, ce ne sera pas une partie de plaisir. Désolé. Mais faudra faire avec. Je sais que vous saurez agir comme il faut. J’ai confiance en vous. Voilà, les gars, c’est tout. Début de mission à 5.00. Rompez.

       Il faisait encore nuit lorsque Grad et les autres SR sortirent du minicargueur qui les avait transportés sur zone. Le terrain était relativement découvert mais très accidenté compte-tenu de l’important pilonnage de préparation. Leur cible : la forêt déchiquetée et en partie carbonisée puis au-delà. Tous sautèrent de l’engin de transport et s’aplatirent immédiatement au sol par crainte d’éventuels snipers qui auraient attendu leur sortie. Rien ne bougea. On entendait dans le lointain et dans plusieurs directions les bruits assourdis des combats. Chaque duo avait son objectif géographique. Le chef opérateur donna l’ordre et ils s’égayèrent selon les directives. Grad parcourut les quelques centaines de mètres le séparant du bois en quelques minutes, sans jamais se retourner ; bien que ne l’entendant pas, il savait Zaggy sur ses talons. Les deux hommes étaient parfaitement équipés : des combis de protection ultralégères mais homéothermes, des quantars dont ils ne devaient se servir qu’en cas d’extrême urgence, des radiants intégrés et bien entendu les armes adéquates et complémentaires, incandescent et éclateur pour lui, éclateur et flaster à charges explosives pour son collègue. Et des kits de survie, indispensables. Arrivés à la lisière de la forêt, les deux soldats s’allongèrent derrière une souche, observant les troncs d’arbres encore fumants un peu plus loin. Après quelques minutes d’observation intense, ils se regardèrent et sans faire le moindre geste se comprirent parfaitement. La mission commençait. Grad sentit une giclée d’adrénaline l’envahir et il frissonna imperceptiblement d’excitation contenue. C’était pour ce type de sensation qu’il avait intégré les SR. Il commençait enfin à revivre réellement.

       Les deux hommes avançaient lentement, attentifs à tout : bruit, odeurs, changements de lumière et jusqu’au moindre accident de terrain. L’ennemi – et ses pièges - pouvait être partout. Ils n’étaient certainement pas pressés puisqu’ils avaient quarante-huit heures devant eux avant l’éventuelle récupération sur leur point de départ. Non, observation avant tout et, pour se faire, passer inaperçus le plus longtemps possible. Grad désigna d’un bref mouvement latéral de son casque les constructions presque entièrement ruinées qui se dressaient à quelques centaines de mètres en contrebas de leur position mais Zag-Dig lui aussi les avaient repérées. Ils s’immobilisèrent complètement, bien décidés à observer l’environnement hostile mais on ne pouvait pas y déceler le moindre mouvement. Pourtant, Grad aurait sans hésiter parié que, en temps ordinaire, l’endroit devait grouiller de vie animale, notamment d’oiseaux dont les pépiements enchanteurs faisaient la renommée d’Antelor. Mais c’était un silence absolu qui les entourait, preuve évidente de l’intensité des combats. Ils attendirent plusieurs minutes, scrutant leurs radiants de temps à autre. En dépit du risque non négligeable de se faire repérer, Grad avait réglé le sien sur sa sensibilité maximale mais tout ce qu’il avait alors pu identifier appartenait à de petits mammifères pour la plupart calfeutrés dans le sol. Il restait donc quand même un semblant de vie. Mais rien de plus : pas de bionats ni, surtout, de droïdes dont son appareil très spécialisé arrivait à capter l’activité cérébrale presque aussi bien que celle de chair et de sang des humains. Les Zoldens devaient être occupés ailleurs.

       D’un simple regard, les deux soldats décidèrent de se relever et d’aller explorer ce qui restait des bâtiments. Dès qu’ils s’en approchèrent, l’odeur insoutenable leur fit clore l’aération de leurs casques pour respirer en circuit fermé pour une autonomie d’environ une demi-heure. Ils savaient tous les deux à quoi s’attendre. Effectivement dans l’arrière-cour de ce qui semblait avoir été une sorte de colonie civile, des dizaines de corps en pleine décomposition étaient entassés, hommes, femmes, enfants, individus de tous âges et de tout rang social, l’intégralité d’un groupe de civils qui n’avaient probablement jamais rien demandé à personne mais qui avaient eu le tort de se retrouver piégés et à la merci d’une opération de nettoyage des droïdes noirs. Car c’était bien de cela dont il s’agissait : cette unité si spéciale de la CPI était utilisée pour pratiquer une politique de terre brûlée lorsque l’ennemi était trop proche ou avançait trop rapidement. Les Zoldens ne laissaient aucun témoin, aucun matériel qui auraient pu profiter aux soldats du camp adverse. Zag-Dig examina quelques cadavres, histoire de bien se persuader de à qui il avait affaire mais cela ne faisait aucun doute. D’ailleurs, les troupes confédérées régulières auraient au moins eu la décence d’enterrer les corps dans une fosse commune. Tous les civils avaient été exécutés de la même façon, à l’incandescent sans avoir été torturés car ils ne savaient rien et les droïdes l’avaient parfaitement compris. Non, un nettoyage banal pour eux. Grad serra les poings en contemplant les restes de ces pauvres gens. Facile, pensa-t-il. Les troupes régulières se trouvent ainsi dédouanées par les agissements de leurs auxiliaires mécaniques. Facile.

              - Ça bouge, chuchota Zag-Dig en montrant son radiant à Grad. Des Z qui reviennent. Ils nous ont peut-être repérés. Faut se tirer d’ici. Puis, après un moment de silence : t’as trop tiré sur ton putain de radiant…

       Grad haussa les épaules sans répondre. Tous deux savaient parfaitement qu’ils auraient de toute façon fini par être découverts. Rebrousser chemin n’aurait servi à rien.

                   - On fait comme sur Silane, la première fois qu’on y était, proposa Grad.

       Zag-Dig ne semblait pas particulièrement convaincu mais il n’avait rien de mieux à proposer. Les deux hommes s’élancèrent à demi-baissés vers le seul bâtiment qui paraissait encore tenir debout, une sorte de cube transparent qui devait peut-être servir de salle commune aux civils. Plusieurs cadavres encombraient le sas d’entrée et ils les enjambèrent sans presque les voir. Un comptoir en forme de planorbe, des tabourets et beaucoup d’objets divers abandonnés à la hâte. Grad extirpa de son quantar le transmetteur qui avait jusque là enregistré son parcours et s’apprêtait à en programmer les données à envoyer lorsque son compagnon lui susurra :

                 - T’en auras plus, mon pote, et c’est pas le but de la mission…

               - Restera le tien, rétorqua Grad. On se sert de celui-là seulement pour gagner du temps, j’te rappelle…

       Zag-Dig haussa les épaules.

              - Alors fais vite. D’ailleurs, je vois déjà une de ces saloperies et je vais me la faire.

       Tandis que Grad entrait dans son transmetteur les coordonnées destinées à bien l’identifier, il regarda du coin de l’œil son ami qui, allongé sur le bord du comptoir, réglait son flaster sur sa cible. Grad savait qu’il n’envoyait à son centre opérationnel que des renseignements sans importance mais là n’était pas le but : en laissant l’appareil sur place et en différant l’envoi de cinq minutes, il espérait que les autres seraient persuadés qu’ils étaient encore présents dans le bâtiment alors qu’ils se seraient déjà exfiltrés. Cinq minutes, ça peut paraître peu mais, pour les deux SR, c’était la différence entre la vie et la mort. Ça avait parfaitement fonctionné sur Silane, chercha à se convaincre Grad.

                 - En plein dans la gueule, s’exclama Zag-Dig. Au moins ce droïde-là nous emmerdera plus mais maintenant on se casse et vite.

     

     

     

                 - Il s’agit d’une démarche tout à fait inhabituelle, n’est-ce pas, et je suppose que vous vous en rendez bien compte ? déclara Vliclina d’une vois ferme. Mais la lueur amusée de ses yeux paraissait démentir son ton catégorique.

       L’Impériale marchait de long en large dans la petite salle de réception du Troisième Assistanat. Petite était d’ailleurs à relativiser mais il était vrai que dans cette partie du Palais, tout était plutôt vaste et richement décoré. Avec ce petit air suranné, voire désuet, que Rogue avait déjà eu l’occasion de percevoir et qui, au bout du compte, n’était pas pour lui déplaire. À ses côtés, Velti, quant à elle, n’en menait pas large et arborait une attitude vaguement décontractée qui ne trompait personne. C’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans le centre sacro-saint de l’Empire, elle qui s’était jadis juré de ne jamais composer avec ces « aristocrates » terriens qu’elle n’aimait guère. En sus de la Troisième Assistante qu’elle avait connue sur Drefel 2 par le dagbad, deux autres personnes les accompagnaient dans le grand vide de la salle dont on pouvait supposer qu’en période de cérémonie, elle devait bien contenir plusieurs centaines d’invités. La première était une militaire qu’on lui avait présentée comme détachée par l’Armée – impériale évidemment – pour l’opération dont Rogue et elle-même avaient en somme été les héros involontaires. L’autre, en hologramme, n’en était que plus impressionnante. Entièrement vêtue de noir ce qui mettait en contraste la pâleur inhabituelle de sa carnation, elle avait été introduite aux deux soldats comme étant en charge du Premier Assistanat impérial et Velti avait immédiatement su que, des trois femmes, c’était certainement elle la plus influente.

                 - Mais asseyez-vous, continua Vliclina. On va d’ailleurs nous apporter quelques rafraîchissements de façon à fêter de façon plus formelle la fin de votre mission que vous avez parfaitement menée à bien et je sais que cela n’a pas toujours été facile. La citoyenne Der-Aver, bien que retenue loin d’ici, souhaitait vous rencontrer ainsi que le Commandant Areska qui représente ici le Prince Alzetto. Vous pouvez ainsi constater que votre… aventure a intéressé beaucoup de monde. Nous tenions à vous remercier et…

       Vliclina  se campa devant Rogue et Velti qui, comme ils y avaient été invités, venaient juste de s’asseoir sur le biodiv qui entourait une immense table basse.

                  - Le plus simple est de revenir à cette demande que j’évoquais il y a peu.

       La Troisième Assistante était, tunique, pantalon et bottes, entièrement vêtue de blanc couturé d’or, sa tenue d’apparat. Rogue savait que c’était une marque de déférence vis-à-vis de lui et de Velti et il en était plutôt fier. Vliclina se campa tout à coup face à Velti et ses yeux verts interrogèrent les yeux bleus de la confédérée qui soutint son regard.

               - Est-il exact, citoyenne, que vous souhaitez être détachée de façon permanente auprès de la section Stenek du Commandant Sachlen ici présent ? J’ajoute que, si c’est votre choix, vous dépendrez directement de mes services, comme le commandant Sachlen.

                       - Absolument, Madame, c’est effectivement une profonde aspiration de ma part… que je souhaiterais voir ma situation présente être prolongée une fois les, heu, hostilités terminées.

                    - Cela veut dire que vous dépendrez du Troisième Assistanat de l’Empire avec toute la confidentialité associée. Vous ne dépendrez plus du tout de votre sarpe malto-albienne ? Vous en êtes bien consciente, n’est-ce pas ?

                        - Absolument, lui répondit Velti en hochant la tête sans quitter l’Impériale des yeux.

                  - Alors, je pense que cela doit être possible. Le Commandant Areska ici présente contactera vos supérieurs hiérarchiques et je ne pense pas trop m’avancer en vous disant qu’il ne devrait pas y avoir d’objection à cette mutation. À présent, passons à des choses plus récréatives, conclut-elle en frappant dans ses mains pour alerter les droïdes de restauration.

     

     

     

       Grad releva la tête vers son collègue et désigna un petit bosquet miraculeusement épargné par les bombes. Caché visuellement par les quelques branches, il observa le bâtiment qu’ils venaient de quitter à quelques centaines de mètres d’eux. Il ne se faisait aucune illusion, sachant pertinemment que les droïdes avaient tous les moyens de les localiser mais il fallait rapidement dresser un point de leur situation, décider ce qu’ils devaient à présent faire. Zag-Dig n’avait pas attendu pour ouvrir la plaque transparente de géopositionnement qu’il venait d’extirper de sa ventrale. Évidemment, les données dataient d’avant la prise d’Antelor par les Confédérés mais cela devait suffire.

                  - Il y a une ville à 12 km. On pourra mieux se défendre en zone urbaine. Enfin, c’est ce que je pense, murmura-t-il.

                  - Ils ont dû se rendre compte de notre petite ruse, lui répondit Grad. Ça veut dire qu’on a très peu d’avance mais en faisant vite, on peut y arriver… Ils sont pas si rapides que ça, ces droïdes…

                - Mais collants comme de la vieille glaisée. Ils nous lâcheront pas, tu le sais bien. Allez, on s’arrache !

       Sans attendre la fin de la phrase de son compagnon, Grad s’était déjà élancé et dévalait la pente légère en direction du sud-sud-est où se trouvait peut-être leur salut. L’espace d’une seconde, Zag-Dig se demanda s’il pouvait se permettre d’attendre un peu et neutraliser un autre droïde mais, méfiants, ceux-ci devaient certainement se tenir sur leurs gardes et, de toute façon, il en resterait un prêt à foncer sur lui. Il emboîta le pas de son ami. Tous deux savaient qu’ils avaient un peu d’avance et que, à moins de se retrouver en terrain plat et dégagé, ils n’avaient guère à craindre leurs ennemis, du moins s’ils ne s’arrêtaient pas. De fait, le paysage qui s’étendait devant eux était particulièrement vallonné et couvert d’une végétation assez importante qui avait certes beaucoup souffert de la préparation de l’attaque impériale mais offrait encore bien des cachettes et des positions de repli. C’était le début de l’après-midi et les deux hommes comptaient atteindre Solivor – c’était le nom de la ville – bien avant la nuit car il leur fallait se débarrasser de leurs poursuivants avant le soir : dans l’obscurité, les droïdes auraient bien trop d’avantages sur eux. La seule crainte de Grad était de tomber sur d’autres patrouilles ennemies qui les auraient obligés à faire des détours et arriver en périmètre urbain trop tard. Ce ne fut pas le cas et c’est avec soulagement – un soulagement relatif mais un soulagement quand même – que les deux hommes abordèrent en milieu d’après-midi les contreforts de la ville. Du moins ce qui en restait. Les deux hommes observèrent attentivement les ruines. Au-delà d’un mur en partie effondré, on devinait des rues plutôt étroites probablement toute encombrées de gravats tant les bâtiments semblaient avoir souffert. Toutefois, la ville ne devait pas abriter de positions ennemies puisqu’on était dans une sorte de no man’s land, les troupes régulières confédérés s’étant repliées vers Antelor plus au sud.

                 - Bon. Parlons peu mais bien, commença Zag-Dig. Ils n’étaient que trois après nous parce qu’ils nous considèrent comme des birjads pourris. Grave erreur à mon sens mais bon… En restent deux. J’propose de les piéger. Pasque noirs ou non, c’est quand même rien que des droïdes, non ? Sans attendre de réponse, il poursuivit : C’que je vais te proposer va certainement pas te plaire mais… Voilà. J’ai un peu réfléchi. Tu vas servir d’appât et… Non, attends, écoute-moi bien : il faut absolument qu’ils s’approchent de nous afin que j’ai une bonne fenêtre de tir, tu piges ? Comme je le vois, ce serait bien que tu sois repéré par eux derrière, j’sais pas, moi, un tas de pierres, un truc bousillé, n’importe quoi. Mais faut que ce soit au centre d’un endroit relativement dégagé. Pour que je les rate pas, tu comprends. Maintenant, évidemment, si tu crois que…

                 - Non, ça peut marcher, rétorqua Grad sans hésiter. Je te fais entièrement confiance.

       L’endroit le mieux adapté leur parut une sorte de placette au centre de laquelle trônait les restes d’un mémorial à on ne savait plus quoi, devenu en fait un éboulis de pierre et de ferraille qui présentait l’avantage de pouvoir dissimuler visuellement quelqu’un, au moins pour un temps. Les alentours étaient vierges de gros débris et on pourrait facilement y repérer les Zoldens. Zag-Dig parut satisfait de la configuration de l’endroit, Grad beaucoup moins car il prévoyait d’en être l’élément principal et sans véritable moyen de défense. Il haussa les épaules et se tourna vers son camarade mais Zag-Dig avait disparu vers un des bâtiments en ruine où il devait déjà gravir à la hâte les restes d’escalier à la recherche de la meilleure position de tir. Grad devait l’admettre : pour une fois, il n’en menait pas large. Et puis, il avait horreur de dépendre intégralement des autres, fussent-ils ses meilleurs amis. Refusant de céder à la panique, il s’allongea le long d’une glissière en marex contracté et prépara son éclateur et son incandescent tout en sachant que face à de tels adversaires, cela ne pèserait pas lourd. Une pensée le tarauda soudain : ces Z n’étaient-ils pas suffisamment intelligents pour comprendre la stupidité de sa cachette et donc suspecter un piège éventuel ? Il repoussa difficilement l’idée anxiogène et se mit à attendre, tous ses sens en éveil, sentant confusément qu’il allait passer là les pires instants de son existence. Plusieurs minutes s’écoulèrent sans que rien ne bouge. D’après ses calculs, compte-tenu de la misérable petite avance qu’ils avaient, les Z auraient déjà dû être là mais, bien sûr, les ordures devaient se méfier. Se méfier, d’accord, se raconta Grad, mais jusqu’à quel point ? Il rentra la tête dans ses épaules mais sans fermer les yeux - il n’était pas lâche à ce point - et puis c’était trop dangereux ! Imaginons un instant que… Le double chuintement du flaster de Zag-Dig lui apprit que son ami avait repéré les deux droïdes. Grad, lui, il n’avait rien vu venir ! Deux coups ! Deux tirs seulement pour des cibles aussi méfiantes ! Décidément Ziggy s’améliorait de jour en jour ! Grad attendit que son camarade lui fasse signe, lui signifie qu’il pouvait enfin sortir de son trou mais seul un silence pesant s’imposait. Au bout de plusieurs minutes, il se risqua :

                 - Eh, Ziggy, c’est bon ?

       Toujours rien. Quelque chose n’allait pas. Pourtant, il ne voyait pas comment les Z pris par surprise auraient pu répliquer et puis il n’avait pas entendu de riposte. Toujours pas de réponse. Il décida de bouger. Il se jeta d’un coup de l’autre côté de sa cachette improvisée et, courant rapidement en zigzag, il rejoignit l’escalier en partie éboulé où, pour la dernière fois, il avait aperçu son ami. Il n’eut pas à aller bien loin. Face à une ouverture donnant sur la place, Zag-Dig était allongé, son flaster à ses côtés, mais il n’avait plus de tête, à l’évidence désintégrée par une charge d’incandescent. Face à un spectacle aussi atroce, la plupart des soldats seraient restés pétrifiés durant au moins quelques brèves secondes, le temps d’intégrer l’horreur de la situation. Ce n’était pas dans la nature de Grad. Sans réfléchir, ayant à peine eu le temps de visualiser la scène, il sauta de côté et plongea vers l’ouverture béante qui se trouvait sur sa gauche. C’est cette réaction immédiate qui lui sauva la vie. Le rayon jaunâtre de l’incandescent ne trouva que du vide tandis que le droïde cherchait à estimer où pouvait bien avoir fui sa cible. Grad était tombé à quatre pattes sur une sorte de sol meuble deux mètres plus bas. Il se précipita droit devant lui, trébuchant parmi des tonnes de décombres, pour ne s’arrêter que lorsqu’il se jugea hors de portée. En tout cas pour un temps. Quel con, non mais quel con ! jura-t-il intérieurement. Bien sûr que j’aurais dû comprendre que les deux Z s’étaient séparés et que l’un d’entre eux avait repéré Zag-Dig quant il avait tiré. Et bien sûr qu’elle m’attendait tranquillement, cette salope ! Ce que j’espère, c’est que Ziggy n’a pas raté le premier parce que, alors... mais non, pas lui, pas Ziggy. Quant au second Z qui a tué mon pote, j’en fais mon affaire. Il pensa à son ami et à la perte irréparable, à la douleur qui ne manquerait pas de… Mais pas maintenant ! L’autre Z, j’en fais mon affaire, se répéta-t-il. Seul hic : il ne voyait pas vraiment comment.

     

     

     

       Bristica avait retrouvé l’ambiance studieuse de son laboratoire et celle plus feutrée de ses appartements privés sans plaisir particulier. Son retour sur le vaisseau amiral signifiait qu’elle avait bien échappé au piège tendu par ses ennemis. Ou plutôt les ennemis de l’Empire ce qui, en l’occurrence, revenait au même. Il n’en restait pas moins que, à ses yeux, c’était un retour sans gloire à son statut antérieur, un état si générateur de morosité qu’elle s’était mise en danger pour y échapper. Elle soupira et observa autour d’elle le luxe de son appartement. Plus d’un aurait trahi père et mère pour être à sa place, elle le savait parfaitement, mais cela ne changeait rien à l’affaire : elle avait quelque part l’impression de ne plus être libre, libre au sens où elle l’entendait quant elle arpentait les rues de Carresville. Elle se sentait plus Farbérienne que jamais…

       Elle sursauta lorsqu’elle entendit les deux notes mélodieuses de sa porte. Elle claqua dans ses mains pour signifier son acceptation et son droïde d’intérieur se dirigea vers elle.

                 - Citoyenne. La Troisième Assistante, la citoy…

             - Je sais qui c’est, le coupa-t-elle un peu plus brusquement qu’elle ne l’aurait voulu.

       Imperturbable, le droïde reprit la parole de sa voix vaguement métallique.

                 - La Troisième assistante sollicite un entretien holographique avec vous et…

                 - Tout de suite ?

                 - Dans vingt-six minutes si cela vous convient bien sûr.

                 - Dîtes-lui que j’y serai.

       Bristica se rendit vers le cube d’holographie et, assise sur le confortable biodiv qu’elle y trouva, attendit tranquillement l’arrivée de Vliclina. Celle-ci se présenta à l’heure dite et, immédiatement, s’excusa pour le formalisme de sa demande qui aurait pu passer pour une convocation.

               - Ce qui n’est absolument pas le cas, précisa Vliclina. Pas du tout. En réalité, je suis venu vous inviter à assister à une réunion des plus importantes, celle de ce que nous appelons le comité stratégique qui associe… Mais vous savez déjà tout cela.

               - Effectivement, lui répondit en souriant la Farbérienne, mais ce que je ne sais pas, c’est la raison pour laquelle on me demanderait d’y participer car…

                - En réalité, c’est le Prince Alzetto qui a sollicité votre présence. Du moins pour le début de cette réunion. Car Brissy, il y des faits nouveaux sur la conduite des opérations en cours. Vous en saurez plus à ce moment-là mais ce que je peux déjà vous révéler, c’est que le généralissime est, semble-t-il, très satisfait des analyses prospectives que vous lui avez fait parvenir : il semble que les actions qui y sont recommandées ont abouti – ou sont sur le point d’aboutir – à des résultats concrets. Et il tient à vous féliciter, vous et toute votre équipe. Après un moment de réflexion, l’Impériale poursuivit : il vous sera seulement demandé de nous laisser au moment où nous arriverons aux prises de décision… s’il doit y en avoir. Ah oui, le comité est prévu pour demain après-midi, heure galactique, et vous y serez présente par hologramme. Je sais que vous n’êtes pas une amatrice de ce genre de prestation mais nous serons au Palais, sur Terra et donc…

                 - Vous me voyez particulièrement flattée de cette attention et, évidemment, je serai présente jusqu’à ce qu’on m’avise de me retirer. Mais, si vous le permettez, Vliva, je voudrais vous entretenir d’autre chose, si nous avons le temps.

                   - Le flux est encore actif pour une dizaine de minutes

                   - Voilà, je me fais du souci pour mon ancienne collaboratrice, Galène et…

                   - J’allais vous en parler, Brissy, la coupa Vliclina.

       Cette dernière s’était mise à marcher de long en large dans la partie du cube d’holographie qui faisait face à la Farbérienne. Contrairement à ses habitudes, sa birta ce jour-là n’était pas jaune mais verte et se mariait parfaitement à la couleur de ses yeux. Ses bottes, vertes également remontaient jusqu’à ses genoux, laissant nues ses jambes jusqu’à la birta qui lui arrivait à mi-cuisses. Elle était superbe. Bristica était également en admiration devant les détails révélés par l’holographie. Malgré toutes les années-lumière que les ondes devaient traverser, aucun décalage, aucun défaut ni de l’image, ni du son. On aurait pu croire que les deux femmes étaient face à face, seulement séparées de quelques mètres. Aux yeux de la quanticienne, cela en était presque surnaturel.

                - Son cas est complexe, reprit l’Impériale. Il est indéniable qu’elle vous a trahie, qu’elle nous a trahis, au profit de nos pires ennemis. Je regrette au passage que nous n’ayons pas pu interpeler ce biocyborg dont je sais qu’il occupe… occupait un rang très important dans l’Universalité. D’ailleurs, le simple fait de s’être autolysé prouve… Mais revenons à votre collaboratrice. L’enquête, toujours en cours, nous a appris que sa « trahison » est principalement due aux menaces que les autres ont fait peser sur la vie de sa mère. Il ne semble pas, en effet, qu’elle se soit engagée contre nous par idéologie : jusqu’à ce jour, il a été impossible de prouver son affiliation à l’Universalité mais on continue de creuser… De toute façon, Brissy, cela ne change rien à son cas : elle a trahi alors que nous lui avions accordé toute notre confiance. C’est pire, vous comprenez, que le cas de ce professeur de Prospective, heu…

                        - Drimed ?

                  - C’est ça. Ces deux-là ont failli vous coûter la vie ou, en tout cas, votre liberté et…

                   - Je sais, je sais mais… je les aimais bien. Galène, surtout, avec qui j’avais quand même longtemps travaillé…

                     - Je comprends. Mais nous sommes en guerre et les tribunaux civils ne sont pas compétents pour ce type d’affaires. Ce sont les militaires qui… Allez, ne soyez pas triste. Je vous promets que je ferai tout mon possible pour… tenter d’atténuer leurs sentences. Je vous le promets, Brissy. Puis, après un moment de silence, elle reprit : Bon, je vous signalerai l’heure exacte de la réunion du comité un peu à l’avance pour que vous puissiez vous préparer.

                      - J’aurai donc une intervention à faire ? s’exclama Bristica.

                 - Mais non. Je veux dire votre présentation en général, conclut Vliclina en souriant avant de faire signe au droïde technicien de couper la liaison.

       Restée seule, pensive, Bristica se sentit soudain triste pour son amie Galène car, malgré tout, elle restait certainement son amie. Elle soupira. Décidément, elle n’aimait pas ces situations conflictuelles entre humains.

     

     

     

       La nuit était sur le point de tomber et Grad ne savait toujours pas comment se sortir de l’inconfortable situation dans laquelle il se trouvait. Il échafaudait des plans tous plus insensés les uns que les autres, plus pour s’occuper l’esprit qu’avec l’espoir véritable d’arriver à une solution acceptable. Zag-Dig, lui, aurait su quoi faire mais il ne voulait pas y penser. Il changeait immédiatement d’endroit lorsque, sur son radiant, il voyait le droïde se rapprocher mais la fatigue commençait à se faire sentir augmentant d’autant son angoisse. Tapi dans une cave encore intacte d’une maison détruite du centre de la petite ville, il tripotait son radiant et était passé involontairement sur la position humains quand soudain il se raidit : trois signaux venaient d’apparaître qui n’étaient donc pas des droïdes. Des humains, il y avait des humains pas si loin de lui… mais aussi l’ordure de droïde. Fallait-il les prévenir ? Leur ordonner de foutre le camp et vite ? Les trois devaient être de l’autre côté de la rue. Il se rapprocha lentement de l’ouverture d’entrée béante de la maison dévastée et risqua un œil. Une femme à genou et deux enfants ! L’un collé contre elle, l’autre, plus âgé, debout et la tenant par la main. Il n’eut pas le temps de se poser plus de questions. La voix doucereuse et légèrement mécanique du droïde le fit sursauter. Le Zolden était proche mais caché évidemment. Probablement par crainte de ses armes potentielles.

               - Soldat, commença-t-il, je ne suis pas, je ne suis plus ton ennemi. Je te demande de revenir à la raison et de te rendre : il ne te sera fait aucun mal, je puis te l’assurer. Puis, après un temps de latence : Je regrette profondément pour ton camarade. Je ne voulais pas en arriver là, tu peux en être sûr.

       Le silence retomba. Il pouvait entendre les pleurs de l’un des enfants. Il hésita mais sortir maintenant était assurément suicidaire. Il n’avait aucune confiance en ce Z pourri. Il ne le croyait pas, ne pouvait pas le croire. Le droïde noir reprit la parole, toujours avec ce ton doucereux, presque indifférent.

                 - Tu ne voudrais pas qu’il arrive malheur à ces malheureux, n’est-ce pas ? Cela ne tient qu’à toi. Dépose les armes et je vous rapatrierai tous ensemble dans un camp d’orientation où on prendra soin de vous… Sois raisonnable. J’attends.

       Plusieurs minutes s’écoulèrent. La nuit commençait à envahir la rue et rendait difficile pour Grad l’observation des humains.

            - Non, tu ne veux pas me répondre, reprit le Zolden. Alors, premier avertissement.

       Un éclair orange zébra l’espace et fit éclater la tête de l’enfant qui tenait la femme par la main. Cette dernière se redressa et se mit à hurler comme une démente puis, saisissant l’autre enfant dans ses bras, se mit à courir de façon désordonnée, droit devant elle dans la rue. Grad était certain que le feu de l’incandescent du droïde les rattraperait mais rien ne se passa.

                 - Tu vois, soldat, je l’ai laissée partir…

                 - Après avoir assassiné son gosse ! ne put s’empêcher de crier Grad.

                - Je l’ai laissé partir mais voilà ce qui va lui arriver, poursuivit le droïde. Si tu n’es pas raisonnable, soldat, il est exact que je vais les rattraper, elle et son enfant. Alors, sans nouvelle de toi, je tuerai son enfant devant elle, en lui écrasant progressivement la tête de mes propres mains. Puis, ce sera son tour. Je la brûlerai graduellement avec mon incandescent en commençant par les membres pour qu’elle reste en vie le plus longtemps possible. Toujours pas de réponse de ta part ? Je me verrai dans l’obligation de lui crever les yeux avant de lui arracher les dents une par une puis de…

       Grad coupa l’auditif de son casque sans perdre de vue le cadran de son radiant pour le cas où…. Il ne voulait plus entendre les insanités du droïde, ces propos cruels qui, on le lui avait appris, étaient destinés à le marquer psychologiquement, à le briser moralement. Il était néanmoins certain d’une chose : jamais le Z ne leur permettrait de vivre, lui et les deux civils. Au mieux, ils seraient exécutés d’un coup d’éclateur. Pas de témoins. C’était ça la politique des droïdes noirs. Quels qu’ils soient. Il était également certain que le Z mettrait ses menaces à exécution et qu’il s’arrangerait pour qu’il en soit le spectateur plus ou moins direct. C’était horrible mais il ne pouvait rien faire. Il décida de décrocher, le cœur gros – lui, le soldat accompli, vieux routard de la guerre et du malheur des autres – de ce qu’allaient subir les pauvres gens prisonniers d’un ennemi si impitoyable.

       Il essaya de s’éloigner le plus possible, se cachant de cave en cave, d’éboulis en éboulis, trébuchant souvent mais ne se livrant à couvert que le moins possible et après avoir attentivement examiné l’endroit. Encore que… mais il n’avait pas le choix. En réalité, il savait qu’il tournait en rond, le droïde le suivant imperturbablement. Sur son radiant il pouvait le visualiser se rapprochant encore et toujours ; alors il se sauvait encore, perclus de fatigue dans cette course insensée. À un moment, il crut entendre les cris de la femme mais son radiant était immuablement fixé sur le sondage droïde et, de toute façon, il ne voulait pas savoir. Arrivé dans une espèce de tunnel de maintenance qui courait apparemment sous plusieurs rues, il s’arrêta. À quoi tout cela pouvait-il bien servir : il n’avait aucune chance contre cette machine implacable ! Avec Zag-Dig, peut-être… Il se laissa couler le long du mur et se demanda enfin si sa vie allait finir de cette façon, carbonisé sur la lointaine Antelor par une machine insensible. Face à lui, une sorte d’engin de terrassement en équilibre instable émergeait d’un amoncellement de débris, le surplombant presque. Facile : un coup d’éclateur au bond endroit et tout l’assemblage hétéroclite s’effondrerait sur lui. C’était certainement mieux de finir ainsi plutôt que sous le feu du Z triomphant. Il visualisa sa propre fin sous l’effondrement de la machine et c’est cette vision morbide qui lui donna l’idée. Pourquoi ne pas essayer de piéger son ennemi ? Même si cela ne fonctionnait pas, mieux valait partir en beauté, sans avoir abdiqué, la conscience intacte. Il savait pourtant que la pourriture de Zolden ne serait jamais assez stupide pour se laisser prendre à un piège aussi grossier mais il était trop fatigué pour penser à autre chose. À quoi d’ailleurs ? Il examina l’engin qui devait bien faire plusieurs tonnes et qui penchait dangereusement vers le centre du tunnel, probablement ébranlé lors des pilonnages de préparation. Il se releva lentement, soudain moins fatigué, et examina attentivement le fragile édifice, repérant exactement l’endroit qu’il fallait viser. Il ne croyait toujours pas à la réussite de son projet mais était totalement déterminé à le mener à bien. Il attendit un bon quart d’heure. Sur son radiant, la silhouette du Z lui indiquait qu’il était tout proche mais ce dernier avait ralenti sa progression en s’apercevant que sa proie ne fuyait plus, méfiant tout à coup.

                 - Vous me jurez que vous allez me transférer sain et sauf ? hurla-t-il d’une voix chevrotante. Que vous n’allez pas me terminer comme l’autre soldat ?

                  - Je vous en donne ma parole, répondit immédiatement le droïde. Quel intérêt aurais-je à vous nuire si vous vous rendez désarmé ? Je suis un simple combattant comme vous, ajouta-t-il. Vous avez ma parole, je vous l’affirme.

       Grad savait exactement ce que valait la parole d’un droïde, surtout de cette espèce, mais il lui fallait jouer le jeu, feindre la confiance.

                  - Je suis au fond, sur la droite, mais il faut venir m’aider, je me suis fais mal à une jambe, jeta-t-il d’une voix qu’il souhaitait anxieuse.

       Le Zolden paraissait sûr de lui car il s’avança dans le tunnel. Il ne craignait de toute façon pas l’armement plutôt léger que devait avoir le soldat impérial et même s’il avait un flaster comme l’autre, devait-il raisonner, il ne pourrait pas s’en servir dans ce périmètre clos. Il arriva à la hauteur de l’engin, chercha du regard sa victime. Allongé derrière un petit wagonnet renversé, son éclateur bien en position, Grad attendit que le Z fasse un pas de plus pour tirer. Comme il l’avait pressenti, face à la lueur bleutée de l’éclateur, l’homme mécanique fit un pas en arrière au moment précis où l’engin bascula sur lui dans un fracas énorme et un immense nuage de poussière. Grad rentra la tête dans ses épaules, certain que l’autre, furieux, allait l’effacer sur le champ mais rien ne se passa. Était-il possible que… Toussotant, il attendit que la poussière retombe. Face à lui, le tunnel était à présent obstrué par l’énorme masse de l’engin. Fébrilement, il scruta son radiant : l’icône du Z avait disparu. Volatilisée ! L’écran était vide de toute présence ! Ce qui signifiait tout simplement que ce qui servait de cerveau à son ennemi ne fonctionnait plus. Contre toute attente, il avait réussi à s’en débarrasser. Comme pour se libérer d’un rêve impossible, il secoua la tête, encore incrédule. Pour la première fois de sa vie peut-être, Grad pleura de joie puis, se redressant d’un coup, il prit ses jambes à son cou en direction de l’autre sortie du souterrain.

     

     

     

       Bristica savait évidemment que la réunion à laquelle elle avait été conviée, du moins sa première partie, était forcément très importante et elle en était quelque part flattée. Cette preuve de confiance de la part des Impériaux était toutefois tempérée par le sentiment contraire qu’elle était encore un peu plus impliquée dans le combat mortel que ses hôtes menaient contre les Universalistes. Un combat qu’elle comprenait mal et qui était certainement très éloigné de ce à quoi elle aspirait dans son univers essentiellement scientifique. Elle avait l’impression par instant d’être une sorte d’otage volontaire ce qui l’angoissait. Mais à quel moment avait-elle eu le choix ? Ou plutôt à quel moment avait-elle réellement choisi ? Comme à chaque fois qu’un tel dilemme se posait à elle, elle repoussa l’idée dérangeante : elle y penserait plus tard… ce qui pour ce sujet précis n’était certainement pas la première fois ! Lorsque son hologramme arriva dans la petite pièce de sa précédente visite en compagnie de Vliclina, il y avait déjà le Prince Alzetto, Der-Aver et un petit homme rabougri et nerveux qu’on lui présenta comme le cinquième Conseiller, un homme d’importance donc en dépit de son apparence assez quelconque. Plus quelques droïdes personnels. C’était la deuxième fois qu’elle pénétrait dans le palais impérial. Cette fois, elle n’y était bien sûr pas en chair et en os mais la magie de l’holographie pilotée par un droïde dédié particulièrement performant lui donnait l’entière impression d’être physiquement présente. C’était stupéfiant. Comme quelques mois plus tôt (seulement ? Ça lui paraissait si loin), elle avait été conduite à travers un dédale d’immenses couloirs et de salles désertes, vers cette petite pièce où elle était venue présenter ses premiers résultats de prospective. On la pria de s’asseoir (forcément approximativement) autour de la table basse qui, à part les biodivs individuels, était le seul mobilier présent. Alzetto quant à lui continua de marcher de long en large au risque d’agacer les autres participants. On attendait certainement quelqu’un et… Tous se levèrent lorsque l’holographie de l’Empereur apparut tout à coup. D’un geste vague de la main, le Premier Conseiller, puisque tel était son titre officiel, proposa à ses interlocuteurs de s’asseoir ce que, bien entendu, ils ne firent pas. Il était vêtu de son habituelle tenue bleu-nuit qui lui conférait un caractère quelque peu austère que démentait toutefois un léger sourire. Il paraissait en bonne santé contrairement aux rumeurs que Bristica avait entendues ici ou là. Il s’avança vers la petite assemblée et, croisant les mains derrière son dos, s’arrêta pour dévisager chacun des participants, haute silhouette mince et à jamais impressionnante pour Bristica.

               - Mes amis, commença-t-il, je suis heureux d’être parmi vous pour débuter cette réunion de ce Comité qui, je le crois totalement, est de la plus haute importance. Non, n’ayez crainte, je ne reste pas et vous laisse au contraire discuter entre vous de la meilleure marche à suivre face au déroulement nouveau des événements. Le Généralissime et le Cinquième Conseiller me feront part de vos suggestions et nous pourrons alors décider de la meilleure façon de défendre notre cause. Je tenais néanmoins à vous rencontrer pour vous assurer de mon soutien inconditionnel dans le combat que vous menez contre des ennemis implacables, à l’extérieur de nos frontières certainement mais aussi peut-être encore plus redoutables quand ils occupent certains des postes que nous leur avons confiés en toute bonne foi. Il s’agit là d’un engagement sur deux fronts et j’en comprends toute la difficulté.

       Baldur II avait regardé successivement Alzetto et Der-Aver pour souligner son propos puis il se tourna vers Bristica.

               - Et j’en profite aussi pour féliciter notre département de Prospective générale pour l’excellent travail accompli. Lorsque je vous ai rencontré pour la première fois, citoyenne Glovenal, je n’ai nullement douté de la qualité de votre collaboration. Mais vos résultats semblent aujourd’hui avoir dépassé nos espérances. Je vous en remercie donc personnellement. Cela dit, mes chers amis, je m’en voudrais de retenir plus longtemps votre attention et vous souhaite d’aboutir à des solutions au mieux des intérêts de la cause que nous défendons.

       Il salua d’un bref mouvement de tête ses interlocuteurs immobiles et son hologramme s’effaça presque instantanément. Alzetto se tourna alors vers les autres et, après les avoir priés de s’asseoir, s’adressant directement à l’hologramme de Bristica :

           - J’ai effectivement souhaité votre présence parce que je voulais qu’on reconnaisse officiellement tout l’intérêt pour nos armes qu’ont représenté vos… suggestions sur l’avenir de nos opérations, les actions que vous nous avez proposé d’entreprendre ou au contraire de différer. Je vous avoue que, au tout début, je n’étais pas réellement convaincu et qu’il m’a fallu parfois prendre sur moi-même pour… mais bon… Aujourd’hui, je me félicite de n’avoir pas cédé aux sirènes du pessimisme, d’ailleurs en grande partie grâce à vous, ma chère Carisma. Son regard bleu intense revint sur Bristica. Mais aussi grâce à vous, citoyenne Glovenal, et c’est la raison pour laquelle je vous souhaitais avec nous en ce début de réunion afin que le Premier Conseiller lui-même puisse vous faire part de sa satisfaction. Nous allons à présent passer à des choses plus techniques qui, j’en, suis certain, ne manqueraient pas d’ennuyer une scientifique aussi accomplie que vous, conclut-il en s’asseyant enfin autour de la table basse.

        Alzetto se tourna vers son droïde d’intendance personnel qui s’approcha de Bristica, encore toute émue de son entrevue avec l’Empereur (Il l’avait parfaitement identifiée et même appelée par son nom, elle, une quasi-inconnue en provenance d’une lointaine planète périphérique !), une Bristica qui avait parfaitement compris que sa présence en ce lieu n’était plus nécessaire. Il n’était pas question pour son hologramme de disparaître brutalement comme celui de l’Empereur, respect des usages en vigueur oblige. Elle se leva, salua les participants en n’omettant pas de sourire largement à Vliclina et, suivant le droïde, se dirigea vers la sortie où elle fut immédiatement prise en charge par deux militaires de la flotte amirale. Dès son retour, alors que les quatre personnes restantes s’étaient enfermées dans un silence de circonstance, l’homme mécanique s’empressa comme on le lui avait prescrit d’activer le bouclier de confidentialité ultra-protégé du local. Les choses sérieuses pouvaient débuter.

                 - Bon, commença le Prince Alzetto, je vous propose de faire un point bref de la situation actuelle avant de nous intéresser à la marche à suivre. Je commence. Dans l’ensemble, les nouvelles sont plutôt bonnes. Nous tenons nos positions sans difficulté apparente et là où nous avons décidé de porter le fer, nous avançons. Je pense notamment à Antelor où nous avons pu implanter une base solide pour la reprise de l’ensemble du système. Mais, c’est vrai, nous avons subi – et nous subissons encore – de lourdes pertes tant en hommes qu’en matériel. Ma seule consolation est de savoir que nos adversaires sont encore plus mal lotis que nous. J’aimerais donc que nous arrivions à un arrêt définitif de ces combats et, justement, Carisma, vous avez peut-être du neuf à ce sujet mais nous en parlerons plus tard. Je vais vous faire projeter certaines des cartes dynamiques des opérations en cours et vous pourrez constater nos récentes avancées. Ce ne sont, bien entendu, que des tendances et nous sommes loin d’avoir acquis un avantage définitif. Loin de là certainement. Toutefois, pour la première fois depuis longtemps vous me voyez, disons, raisonnablement optimiste.

       Alors qu’il énonçait sa dernière phrase, la table basse se transforma en un dispositif de stéréovision tandis que les biodivs s’inclinaient en position semi-horizontale. La vue au plafond de la petite salle était surprenante : on aurait pu penser qu’une fenêtre s’était soudain ouverte sur le monde extérieur. Alzetto commenta différentes images des zones de combat, faisant alterner les cartes évolutives selon le temps et des scènes de guerre parfois d’une rare violence. Il tenait à ce que ses interlocuteurs comprennent bien ce qu’il en coûtait aux armées impériales de se battre contre des Confédérés loin d’être dominés sur le plan militaire.

                - Nous pouvons - et peut-être nous devons - continuer la lutte contre les forces confédérées alliées à l’Universalité, poursuivit Alzetto, mais cela nous coûte, nous a coûté et nous coûtera encore fort cher, en hommes, en matériel, en ressources multiples alors qu’il y a déjà tant à reconstruire ! C’est la raison pour laquelle j’ai volontiers accepté cette réunion puisque, Carisma, vous m’avez laissé entendre qu’il y avait peut-être moyen d’entrevoir une sortie possible de cette guerre absurde. C’est aussi pour cela que j’ai demandé au Conseiller Virdaz de nous assister aujourd’hui et ai souhaité venir seul, sans mes aides militaires habituels. Allez, Carisma, donnez-nous des raisons d’espérer !

       Der-Aver laissa s’installer quelques instants de silence comme si elle cherchait à agréger les différents éléments de son intervention afin de les rendre plus percutants. En réalité, elle savait exactement ce qu’elle allait dire et comment elle le dirait. Vliclina et elle avait soigneusement répété leurs interventions et d’ailleurs, elles avaient déjà averti Alzetto de l’essentiel sans quoi il n’aurait probablement pas accepté une réunion sur Terra de ce Comité stratégique alors que la bataille d’Antelor battait son plein.

                 - En fait, commença-t-elle, j’ai peu à dire car l’essentiel des informations dont nous allons débattre sont passées par les canaux du Troisième Assistanat et c’est donc logiquement notre Troisième Assistante qui vous en délivrera les contours. Pour ma part, je souhaite seulement insister sur le statut particulièrement intéressant des personnes qui nous ont approchés. À savoir un des hauts responsables de la Compagnie du Fret Stellaire d’une part et le représentant d’un organisme confédéré fort important d’autre part. Nous avons bien entendu cherché à comprendre s’il ne s’agissait pas d’une manœuvre de nos ennemis, une intoxication destinée à nous déstabiliser à un moment où, comme vient de le préciser le Généralissime, nous semblons reprendre l’offensive sur le terrain. Nous ne pouvons pas en être définitivement certains mais les approches semblent authentiques. L’intérêt de ces contacts et les suites éventuelles à donner dépendront à l’évidence de ce qui nous sera proposé. Dernier point à souligner : les deux approches de nos ennemis paraissent réellement dissociées ce qui renforce d’après moi leur intérêt. Vliclina, pouvez-vous, nous en dire un peu plus ?

       Contrairement à la Première Assistante restée assise sur son biodiv, Vliclina s’était levée et, comme à son habitude, tête baissée, s’était mise à marcher lentement autour des autres avant de s’immobiliser à la hauteur du biodiv d’Alzetto. Impeccablement sanglée dans son uniforme blanc à parures dorées, elle glissa ses mains derrière son dos et se lança. D’une voix claire et posée, elle expliqua les contacts qui avaient été établis par ses agents de terrain et les propositions avancées de rencontrer des représentants de la partie adverse qui, semble-t-il, ne voyaient plus d’un bon œil les hostilités en cours.

                - Concernant le représentant de la CPS, poursuivit Vliclina, nous n’avons pas grand-chose à perdre à le rencontrer. La seule chose qui compte est de savoir ce qu’il représente réellement et quel est son degré d’isolement au sein de cette compagnie dont nous savons qu’elle intervient directement dans le conflit et qu’elle représente une carte majeure dans le jeu des Universalistes. Si, après en avoir discuté ici-même et obtenu l’accord de sa Majesté, nous décidons de répondre favorablement à cette proposition, je vous propose de nous revoir rapidement afin de définir le lieu et surtout de choisir nos représentants. C’est la raison d’être du Troisième Assistanat que j’ai l’honneur de diriger que d’organiser ce genre d’opérations et j’ai déjà réfléchi à quelques noms mais il va de soi que toutes les options sont ouvertes, y compris militaires, ajouta-t-elle en regardant plus spécifiquement Alzetto. Pour ce qui concerne notre deuxième contact potentiel, c’est plus délicat. Elle laissa s’installer quelques instants de silence avant de reprendre. De ce que nous savons, il s’agit d’une sorte de société secrète à la fois civile et militaire nommée « le Groupe 107 » dont l’immense majorité des personnels influents dans la guerre actuelle ignorent ou ignoraient jusqu’à l’existence, y compris au sein des Confédérés ce qui est à peine croyable et…

                  - Ça me semble bizarre, cette affaire, l’interrompit Alzetto, et pour tout dire plutôt suspect. J’ai ces mystères et ces cachotteries militaro-civiles en horreur !

                 - Pourtant, de ce que nous savons de nos agents sur place et de ceux qui sont introduits dans la hiérarchie confédérée, c’est peut-être très sérieux et…

                   - Du genre à contrer efficacement les agissements universalistes ?

       Alzetto s’était levé et avait repris son va-et-vient autour de la table basse ce qui l’amenait invariablement devant Vliclina restée debout et immobile. Il levait alors son regard vers elle et, faisant demi-tour, reprenait sa marche.

                  - C’est ce qui reste à déterminer évidemment mais je pense sincèrement qu’il y a là quelque chose de nature à…

       Alzetto l’interrompit d’un mouvement du bras et se tourna vers Der-Aver.

                      - Et vous, qu’en pensez vous, ma chère Carisma ?

                      - Je partage tout à fait le sentiment de Vliclina qui…

                - Bien sûr, bien sûr ! Quelle idée de poser une telle question. Bon. Si j’ai compris ce qu’on vient d’expliquer, il n’y a pour le moment aucune raison de ne pas poursuivre des contacts qui n’engagent à rien. Et vous, Citoyen Cinquième Conseiller, êtes-vous d’accord avec ce qu’on vient de dire ? Oui ? Dans ce cas, je me propose d’avertir sa Majesté de ce que nous avons décidé… à moins que Carisma, vous... ? Non ? Bon, je m’en occupe donc et nous nous reverrons assez vite, dès que nous aurons eu ces contacts. Vliclina, si les autres sont d’accord, je pense que c’est à votre service que revient le soin d’organiser ces rencontres mais je ne vous apprends rien en vous répétant qu'il faut faire vite, le plus vite possible…tout en restant très prudents. Délicate alternative s’il en est. Autre chose : pour l’instant, silence absolu sur tout ça et cette réunion n’a évidemment jamais eu lieu. Au demeurant, tachez d’en convaincre notre quanticienne en chef.

     

     

     

       Carnigie se tourna vers son lieutenant, l’œil interrogatif.

                 - t’as déjà vu un truc de ce genre, toi ?

       Dei qui se tenait à ses côtés haussa les épaules, perplexe lui-aussi. Devant eux se profilait un immense couloir brillamment éclairé dont les murs ne semblaient donner sur aucune pièce latérale. Allongés sur le sol du sas d’entrée, les deux soldats ne pouvaient en voir l’extrémité qui semblait se perdre au loin dans un effet de perspective peut-être tronquée.

               - Non, c’est effectivement un drôle d’endroit, répondit enfin Dei. Une structure qui n’existe pas sur les cartes d’avant la chute d’Antelor. J’en déduis que ce sont les Confédérés qui ont bâti ça, oui, mais dans quel but ?

                - Je ne sais pas mais je n’aime pas ça, affirma Carnigie.

       La jeune femme, transductrice militaire de premier niveau[7], accompagnait Dei et son équipe depuis plusieurs semaines. Sa première mission avec eux avait débuté sur Terbe 6, une planète coloniale de l’ultrapériphérie, où elle avait su montrer ses capacités à anticiper les réactions adverses ce qui l’avait conduite à se faire rapidement acceptée. Mais il s’agissait alors de combats très limités, presqu’une simple opération de police. À présent, sur Antelor, c’était une autre paire de  manches. L’ennemi était omniprésent et il avait parfaitement eu le temps de fortifier ses défenses sur place durant tous ces mois où la contre-offensive impériale avait paru marquer le pas ce qu’elle n’avait d’ailleurs jamais compris. « Maintenant, c’est à nous d’en payer les conséquences » s’était-elle souvent répétée sans jamais le dire à haute voix car ce n’aurait certainement pas été du goût de sa hiérarchie. Et, pour ne rien arranger, les Confédérés, ici, étaient surtout des Carsusiens dont on connaissait la violence et, d’une certaine façon, l’abnégation. De redoutables adversaires souvent imprévisibles ce qui n’était pas pour lui faciliter la tâche. Elle soupira et se retourna vers les soldats derrière eux qui profitaient de la halte pour reprendre quelque vigueur après la marche forcée qu’ils venaient d’accomplir.

                  - Les radiants sont formels, reprit Dei. Aucune présence bio ou mécanique devant nous. Rien, il n’y a rien. Pourtant construire un couloir de ce type au beau milieu d’une structure enterrée doit bien servir à quelque chose, non ?

       Carnigie se garda bien de répondre : elle avait appris à connaître l’homme et elle savait qu’il se parlait à lui-même.

              - Résumons, poursuivit Dei. Nous sommes à l’extrémité sud d’une base confédérée dont l’Etat-major nous dit qu’elle est toujours aux mains de l’ennemi et que ces birjads la défendront jusqu’à leur dernier homme. Bon. Nous on arrive sur un tunnel, une espèce de couloir, enfin disons plutôt un passage qui s’enfonce profondément dans la structure… qui la traverse peut-être de part en part et rien. Pas un droïde, pas un humain pour défendre. Rien. Aucune arme défensive automatique. Aucune ouverture latérale, apparente en tout cas. Je ne vois vraiment pas à quoi sert tout ça.

                      - Je n’aime décidément pas ça, murmura Carnigie.

                      - Il n’y a qu’un seul moyen pour comprendre : y aller ! conclut Dei.

       Il se tourna vers ses soldats qui attendaient patiemment allongés sur le sol carrelé de l’entrée et s’apprêtait à leur faire signe.

                   - Attends ! s’exclama Carnigie. Pas si vite ! Attends un peu voyons… On ne peut pas se lancer comme ça, sans savoir…

                       - Sans savoir quoi ?

       La jeune femme ne répondit pas. Une fois de plus, elle scruta les parois du tunnel avec ses jumelles carbonumériques, alternant le réglage de l’engin de la gamme visible à l’infrarouge sans rien remarquer de particulier. Sans cesser d’observer, elle chuchota :

                      - Dei, c’est pas normal. Faut faire venir une équipe spécialisée pour…

                - C’est ça et perdre encore du temps pour que les Confés puissent se carapater. Pas question : je suis pour une action immédiate !

                    - Mais pourtant…

                   - Rien. Rien du tout. C’est moi qui commande donc qui décide, tu te rappelles ? Je vais pas abandonner une mission de nettoyage parce qu’on sait pas à quoi sert une structure. D’ailleurs, rien ne prouve que ça serve à quelque chose… Une voie de dégagement pour du matériel lourd… ou spécial… où même pour des manœuvres de troupes, qu’est-ce que j’en sais ? Non, faut y aller. Les gars, jeta-t-il en se tournant vers ses soldats. On va y aller et c’est moi qui passe devant, d’accord ? Vous me suivez par deux à un mètre d’intervalle et toi… toi, tu fermes la marche, conclut-il en regardant Carnigie. On pouvait deviner qu’il lui tenait rigueur de ses réserves et de son apparent manque d’enthousiasme.

       Dei attendit encore deux minutes puis il se leva et s’avança sur le sol recouvert d’une espèce d’enduit qui crissait faiblement sous les bottes. Il s’avança lentement de quelques mètres et se retourna vers son petit groupe.

                 - Bon, on va y aller tout doucement, en faisant bien attention à… Mais, que… ?

       Les autres virent sa silhouette se parer d’une sorte de contour luminescent puis, avant que quiconque puisse émettre le moindre cri, un éclair blanc éblouissant illumina cette partie du couloir, aveuglant les autres soldats qui, en un réflexe immédiat, se jetèrent en arrière. Lorsque Carnigie arriva à chasser les larmes qui avaient envahi ses yeux elle ne trouva plus aucune trace du lieutenant : Dei avait totalement disparu. Seule flottait dans l’air une faible odeur d’ozone.

                 - Repli ! hurla-t-elle, presque hystérique. Derrière le premier sas !

       Elle-même se précipita vers l’arrière où s’était regroupée la dizaine de militaires composant avec elle la section d’investigation et de poursuite 1213. Tout s’était passé si vite que Carnigie avait la sensation que la disparition de Dei était le fruit de son imagination mais les visages blêmes et horrifiés de ses voisins immédiats témoignaient du contraire. Une autre idée la frappa soudain : cela paraissait incroyable mais avec la disparition du lieutenant, c’était à présent elle qui était le plus haut gradé ! Alors qu’elle n’était même pas une combattante directe, seulement une observatrice, une simple assistante à la décision ! Elle devait réagir et vite. Elle contempla quelques instants le couloir qui avait repris son aspect précédent, sa vacuité apparente traduisant dès lors toute sa dangerosité. Carnigie se retourna vers les soldats qui étaient à présent sous ses ordres directs.

              - Je fais venir une unité CAZAR [8] et c’est eux qui nous diront quoi faire, proféra-t-elle de sa voix la plus sereine possible. Elle repéra le militaire seul responsable des communications chiffrées : Grichenne, exécution ! lui jeta-t-elle. Puis à l’intention des autres soldats : en attendant, on se replie sur la position précédente, à l’entrée du complexe. Allez, on ne perd pas de temps, on y va !

       Vingt minutes plus tard, l’unité CAZAR était sur place. Cinq hommes en suruniformes blancs qui s’accroupirent devant l’entrée du tunnel en compagnie de Carnigie. La jeune femme était curieuse de comprendre comment allaient intervenir ces spécialistes de pièges en tous genres. Après un court instant d’observation, l’homme qui paraissait en charge des opérations du petit groupe et qui se présenta sous le nom de Kart, se tourna vers la jeune femme.

                 - Bizarre, effectivement et vous dîtes que votre titulaire a … quoi, simplement disparu ? Désintégré ? Devant le visage défait de Carnigie, il n’en demanda pas plus et se tourna vers un des ses collaborateurs. Fais venir un SR+, lui jeta-t-il avant d’expliquer à Carnigie : C’est un droïde très particulier : aucune empreinte identifiable parce qu’il est protégé par un bouclier de confidentialité spécial. Il pourra certainement explorer plus avant et nous en dire plus.

       De fait, le SR+ n’avait nullement l’aspect d’un droïde classique. Petite boule faite d’un métal que Carnigie n’arriva pas à identifier et flottant quelques centimètres au dessus du sol, il s’avança dans le couloir d’une bonne cinquantaine de mètres sans que rien ne se passe. Kart suivait sur un écran la progression de son droïde qui lui communiquait un nombre impressionnant de données. Après dix bonnes minutes d’exploration, le spécialiste en détection se tourna vers la transductrice qui observait anxieusement le déroulement des opérations.

                 - Eh bien, je ne vois rien là de particulier. Rien en tout cas que notre ami mécanique ait pu identifier… affirma-t-il, songeur. On va donc passer à la phase deux. J’envoie un droïde dans ce tunnel et, si tout se passe bien, nous irons nous-mêmes nous faire une idée de l’endroit.

       Quelques minutes plus tard, un droïde d’active s’aventura sur le sol brillant et s’arrêta, avancé d’une bonne centaine de mètres dans le couloir toujours aussi brillamment éclairé. Un deuxième droïde le rejoignit, lui aussi sans aucun problème.

                 - Der-Liv, Jastema, vous allez rejoindre les droïdes, commanda Kart. Equipement complet. Au moindre signe anormal, vous revenez fissa. Exécution.

       Carnigie, anxieuse, observa la progression plus que précautionneuse des deux hommes dont on devinait à leur démarche hésitante qu’ils n’étaient guère en confiance. Si elle avait été en charge des opérations, elle aurait volontiers tout annulé. Pour se donner le temps de la réflexion ou, peut-être aborder la structure par un autre moyen. Ou une autre entrée. Mais, pensa-t-elle, il aurait été mal venu de faire part de ses doutes puisque, en fin de compte, c’est bien elle qui avait appelée les spécialistes de ce genre de situations en renfort. Elle se tourna vers Kart.

               - Il est possible que nous n’ayons jamais d’explication pour la… disparition de mon lieutenant, murmura Carnigie. Il s’agissait peut-être d’un piège à effet unique… Pour décourager les visiteurs inopportuns… mais de manière si violente, si irréversible… c’est très bizarre et je me demande quand même si…

       Devant le visage fermé de Kart, elle s’interrompit tout net. L’homme donnait l’impression de commencer à mettre en doute le rapport qu’elle avait fait de l’incident. Certes, ses soldats pourraient témoigner mais n’allaient-ils pas être déclarés complices de ce qui, aux yeux de Kart, pouvait ressembler à une bavure non assumée ? Comme si le lieutenant Dei avait été victime d’une fausse manœuvre, peut-être même d’un mauvais coup… mais venu de qui ? L’angoisse suscitée par l’impensable situation ajoutée au début de suspicion du chef des CAZAR la faisait soudain transpirer à grosses gouttes… ce qui ne pouvait que renforcer la probable suspicion de Kart mais elle n’y pouvait rien.

               - Bon, vous revenez, jeta Kart aux deux hommes dans le couloir. On n’a rien. On va envoyer une équipe technique et puis on libérera la zone et vous pourrez l’investir, poursuivit-il, le regard mauvais en direction de Carnigie. Je vais faire un rapport à l’Etat-major et ils aviseront parce que…

       L’éclair blanc tant redouté par la jeune femme éblouit brutalement l’ensemble des soldats situés à l’entrée du tunnel. Lorsque l’effet se dissipa, il n’y eut aucun doute. Le couloir était à nouveau totalement désert, les droïdes et les deux soldats envoyés en reconnaissance avaient tout simplement disparu.

                 - Mais, Bergaël pourri, c’est quoi ce bordel ? hurla Kart.

        L’homme qui en avait vu bien d’autres paraissait totalement décontenancé.

                - On se replie et on avise la hiérarchie. Je… Deux hommes ! je viens de perdre deux hommes ! Et je ne sais toujours pas comment. Allez, on se tire d’ici rapidement et on décidera plus tard de ce qu’il convient de faire, ajouta-t-il en direction de Carnigie.

       Mais toutes ses suspicions avaient évidemment disparu. La jeune femme, bien qu’affectée par la mort des deux CAZAR, se sentit lâchement soulagée : il était à présent difficile de ne pas croire à sa version. Rebroussant chemin avec les autres militaires, elle était absolument impatiente de connaître la cause de ce cuisant échec, de savoir quelles armes avaient été utilisées, quelles en étaient les raisons et, surtout de comprendre la finalité de cette structure si familière et pourtant si dangereuse. Elle n’eut pourtant jamais de réponse car, face à cette situation critique, l’état-major impérial décida de replier ses troupes avancées à distance avant d’ordonner la destruction totale de l’édifice, tunnel évidemment inclus.

       Il existe comme ça dans tous conflits des situations exceptionnelles qui demeurent à jamais non résolues, des énigmes restant entières sans que quiconque ne puisse apporter de réponse satisfaisante. Carnigie, ce jour-là, fut confrontée à l’une de ces énigmes dont elle savait que son souvenir la poursuivrait tout au long de son existence.

     

     

    suite ICI

     

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    [1] Carel : petit véhicule électrique à quatre places, particulièrement maniable mais à l’autonomie limitée

    [2] Dronik (en fried)

    [3] Tayorka : recueil des textes sacrés de la Seconde Religion

    [4] Telior : Grand Prêtre (deuxième religion)

    [5] Térêtres : sorte d’anges célestes (deuxième Religion)

    [6] Tiréné, région septentrionale de la planète Gagino, du système stellaire du même nom (premier quadrant) et réputée pour ses élevages de porcs génétiquement modifiés.

    [7] Transducteur : personnel d’appoint des unités combattantes chargé d’estimer la qualité psychologique des forces ennemies

    [8] CAZAR unités spécialisées dans la neutralisation de toutes formes d’armes différées (Empire)

     

              


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  • Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

     

    Sujet :                                                    Carsus 

    Section :                                                histoire générale

    Références extrait(s) :                         tome 10, pp. 305- 494, 512-546

    Sources générales :                             tomes 8 à 21

    Annexe(s) :                                            

     

     

    …/… Quatrième planète par ordre d’importance de la Confédération des Planètes Indépendantes (CPI), elle s’est affranchie de l’autorité impériale à la suite du traité de Rhésis (707rc) qui donna naissance à la dite CPI dont elle fait donc partie depuis le début. Elle est souvent présentée comme « la plus CPI légaliste » selon l’historien impérial Idrex Zad (806-941rc). Comme les cinq autres planètes représentant le groupe planétaire principal de la CPI, elle accède à la présidence de la Confédération tous les quatorze ans selon le principe bien connu du « Tourniquet ». Sa dernière présence à cette fonction remonte à 944rc et elle devrait normalement revenir aux commandes en 958rc. Rappelons néanmoins qu’assurer cette présidence ne prédispose qu’à l’organisation de la politique commune décidée au sein de chacune des planètes considérées …/…

     

    …/… Peuplé d’environ vingt-sept millions de ressortissants bionats répartis sur le pourtour de l’unique continent de la planète, elle est notamment réputée pour l’excellence de ses forces armées dont la proportion par nombre d’habitants est la plus élevée de toute la Confédération. Ses « fantassins terrestres » exclusivement composés de bionats sont craints dans l’ensemble de la Galaxie pour leur efficacité certaine toujours alliée à un esprit de sacrifice élevé.  À eux-seuls, ils ont parfois contribué à inverser le sort des armes sur le terrain, aidés il est vrai par des unités droïdes très spécialisées. Concernant ce dernier type de combattants, on peut citer les Cravers, droïdes affectés au maintien de la paix en zone occupée ou l’Ordre des Droïdes Noirs chargés du « nettoyage sur zone », ces derniers ayant été à plusieurs reprises très critiqués pour leurs actions brutales. La flotte galactique carsusienne se compose .../…

     

    …/… La colonisation de Carsus fut débutée bien avant celle des autres planètes de la CPI, en réalité dès le début de l’Expansion, vers le milieu du IIème siècle. En effet, la planète présentait le considérable avantage de posséder d’emblée une atmosphère à base d’oxygène voisine de celle de Terra et il ne fut alors nécessaire de n’apporter que quelques ajustements mineurs pour la rendre parfaitement habitable. Toutefois, Carsus ne devint véritablement connue que lors de l’installation sur son sol d’une importante colonie pénitentiaire (le Renouveau galactique) où, durant plusieurs décennies, furent exilés des condamnés politiques coupables d’actes délictueux divers (mais pas de crimes de sang) ainsi que des détenus de droit commun, les uns et les autres souvent avec leurs familles. Ce n’est qu’en 404rc que fut fermée la dernière colonie pénitentiaire carsusienne, la planète s’orientant dès lors vers …/…

     

     

                                      

     

    9

     

     

     

    Le jour s’était levé sur une aube blafarde mais qui, en quelques minutes, céderait la place à une journée volontiers ensoleillée et plutôt chaude pour la saison. Felt, droïde-élément d’infiltration, accroupi derrière une roche, attendait tranquillement cette transformation prévue de son environnement pour s’élancer vers le sommet de la colline dite du versant nord où étaient tapies de nombreuses troupes confédérées dont le but manifeste était de défendre coûte que coûte un de leurs derniers bastions avant la descente sur la plaine d’Antelor. Il n’était ni impatient, ni inquiet, des états d’esprit qu’il ne connaissait pas. Sur sa droite, séparés chacun d’une cinquantaine de mètres, une dizaine de droïdes comme lui. Sur sa gauche… rien puisqu’il occupait le bord extrême de son groupe. Il se demandait néanmoins pourquoi les Confédérés n’avaient jusqu’à présent pas riposté à leur avancée, peut-être parce qu’ils ne voulaient pas encore se découvrir ? D’un coup Grantel se leva inondant le monde de sa lumière orangée. Sur la visière de son casque, la diode rouge clignotante passa au bleu. Le signal. Le ganor [1] avait été insistant : « les ordres du lieutenant sont très clairs, on avance lentement et on teste les positions ennemies. Il va y avoir un cargueur qui… Mais cela ne vous concerne pas ! » Felt n’avait pas cherché à en savoir plus. Il se releva et orienta son lance-flamme à l’horizontale avant de presser et fixer la détente de l’arme, déclenchant un énorme nuage de flammes jaune vif qui se mélangea à ceux que venaient de relâcher les autres membres de l’escouade. Un humain n’aurait plus rien vu (et d’ailleurs, même protégé, il n’aurait certainement pas supporté la chaleur induite) mais les yeux synthétiques de Felt pouvait parfaitement analyser les contours du sol et ses irrégularités. Il avançait prudemment, attentif à bien rester en ligne avec les autres. Il distinguait parfaitement le mur de soubassement qui était leur objectif. Il estimait sa distance à trois cent mètres. Il devina rapidement les mines et entreprit de les contourner ce qui ne présentait pour lui aucune difficulté. Il avait été entraîné à les éviter, du moins les mines basiques de ce type. Les autres aussi s’en sortaient parfaitement et le mur de flammes qui avançait avec eux paraissait très efficace et probablement assez dissuasif. À mi-distance de l’objectif, il entrevit pour la première fois une irrégularité dans le nuage de feu, une sorte de hiatus dans leur ligne d’avancée, comme si l’un des leurs avait cessé de carboniser devant lui. Il ne tourna pas la tête pour en savoir plus : il avait une mission et rien, si ce n’est un ordre du ganor, ne l’en détournerait. Il continua sa progression tout en remarquant bientôt – cette fois il en était sûr – que le mur de flammes que son escouade générait perdait en intensité comme si… Une sensation bizarre s’empara de Felt. L’impression qu’il avait plus de mal à avancer, comme si le sol et même l’atmosphère brûlante qui l’entourait étaient tout à coup plus… épais ? Sirupeux ? Presque collants en fait, à la façon d’un environnement qui se serait densifié mais il savait que cela n’était pas possible, le ganor avait été formel : la zone qui les séparait de leur objectif était absolument déserte à l’exception des quelques mines antipersonnelles qu’il avait déjà évitées. Dans sa mémoire aiguisée bien que parcellaire, il fit la relation avec un événement qui s’était produit bien des années auparavant, lorsque, droïde affecté à la milice de Fierce-Okul, une planète rebelle du cinquième quadrant, il avait été confronté à cette arme incapacitante antidroïde utilisée par les insurgés. Il savait comment faire, comment s’y opposer. Sans lâcher la détente de son lance-flammes, il activa son appel d’urgence pour demander l’avis du ganor mais il ne reçut aucune réponse. Il se passait décidément quelque chose d’autant que ses compagnons droïdes semblaient subir les mêmes difficultés comme on pouvait en juger par le mur de flammes à présent clairsemé. Felt était confronté à un problème : il devait prendre une décision et cela, il l’avait en horreur. Lui, en élément discipliné, il répondait aux ordres de ses supérieurs et rien de plus. Que faire ? Et d’ailleurs fallait-il faire quelque chose ou attendre les ordres ? Son hésitation lui fut immédiatement défavorable. Profitant de la désorganisation du mur de feu, l’ennemi était certainement arrivé à isoler les différents protagonistes de l’attaque car il se sentit tomber et il n’eut que le temps de couper son lance-flammes. Son membre inférieur gauche avait été déchiqueté par le probable flaster d’un sniper. Il pouvait en voir le métal tordu et les liaisons électroniques à présent à nu. Il ne souffrait bien sûr pas de sa blessure mais d’une sorte de malaise généralisé d’apprendre que sa totalité n’était plus, qu’il était devenu inapte. Ce n’était pas de l’angoisse – un cerveau droïde ne pouvait pas s’angoisser – et pourtant ça y ressemblait un peu.

    Les flammes s’étaient peu à peu taries et il ne restait de leur attaque qu’un groupe d’une dizaine de droïdes allongés sur le sol, des soldats mécaniques neutralisés donc inutiles. Il en faisait partie. Leur offensive avait échoué et la première réaction qu’il eut en prenant conscience de cet échec fut la honte. Honte de ne pas avoir mené à bien la mission somme toute assez facile qui leur avait été confiée. Il ne cherchait pas à savoir les causes de ce lamentable revers. Lui et les autres, ils avaient échoué. Il chercha à se lever mais son membre inférieur abimé ne fonctionnait plus. Plus encore ses membres supérieurs qui ne présentaient pourtant aucune malfonction apparente ne répondaient pas vraiment aux sollicitations de son cerveau moteur. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi. Il parcourut du regard le milieu environnant. Il ne voyait pas les silhouettes des autres qui devaient être dans le même état que lui. C’est en tout cas ce qu’il supposait. Impossible toutefois de le savoir avec certitude. Lui, il n’était que provisoirement mis hors de combat puisqu’un membre inférieur mécanique, ça se répare très facilement. Mais les autres ? Peut-être plus sévèrement touchés ? Il fallait attendre les équipes de secours que ne manqueraient pas d’envoyer les responsables de la division droïde qui avaient assurément suivi en direct leur progression. Ensuite, il faudrait savoir à quoi (ou à qui) attribuer l’échec de la mission.

    Felt chercha néanmoins à ramper mais sa progression était ridiculement lente. Il suspendit tout effort en se faisant la réflexion qu’il ne lui fallait pas s’éloigner de l’endroit où ses chefs savaient qu’il était tombé d’autant que ses mouvements désordonnés risquaient d’attirer l’attention de l’ennemi. Attendre donc. Les minutes s’écoulaient sans que rien ne change. Toujours aucune possibilité d’entrer en contact avec les autres ou avec la base. Puisqu’il ne pouvait rien faire d’autre, il chercha à revivre quelques scènes de sa vie civile. Par exemple, les parties de bilo[2] avec les compagnons mécaniques de sa garnison ou bien son incroyable amitié avec Kodi le tournier, sur Balgyra, il y avait bien longtemps. S’il avait pu sourire à l’évocation du lointain souvenir il l’aurait assurément fait mais un droïde, ça ne peut physiquement pas sourire. Quand même, pensez, un tournier qui s’était entiché de lui qui n’était pourtant qu’un simple droïde parmi des centaines d’autres ! À la surprise générale et à l’amusement des bionats, le petit animal ne le quittait pas quand il était en réhabilitation sur la planète bleue. Et il attendait patiemment son retour lorsqu’il était en mission. À sa connaissance, il n’avait jamais entendu parler auparavant d’un petit être biologique pouvant s’enticher d’un homme mécanique. Mais c’était il y a longtemps. Un jour, alors qu’il se félicitait déjà de retrouver son ami Kodi, il avait appris sa mort de vieillesse. Oui, biologique donc mortel. Il ne l’avait jamais oubliée, cette petite bête de son passé. Il n’était pas vraiment triste puisque c’était la Vie mais il avait longtemps ressenti comme un vide. Balgyra, la planète bleue. Il y avait de fortes chances pour qu’on l’y renvoie compte tenu de son incapacité présente et il s’interrogea sur… Ça bougeait au devant. Tous ses senseurs s’étaient mis en alerte soudainement. Ce ne pouvait pas être les secours. Pas de ce côté et, de toute façon, ils auraient bien trouvé un moyen de le prévenir pour éviter un dommage collatéral. L’ennemi ! Felt chercha à manipuler son incandescent à défaut du lance flamme peu approprié pour un éventuel combat rapproché mais il était comme paralysé. L’arme incapacitante ? Il sut alors qu’il allait certainement être terminé mais il n’avait pas peur. Il regrettait seulement de finir comme ça, dans un fossé, après avoir failli à la mission. L’ombre s’approcha de lui sans crainte : elle savait qu’il était incapable de se défendre. C’était évidemment un droïde confédéré, un autre lui-même en somme. À la différence près que son cerveau, en inverse décalqué, avait été conditionné à être fidèle à la Confédération. L’ennemi s’approcha, son éclateur fixé à l’extrémité de son membre supérieur gauche. Il sembla hésiter. Toutefois Felt savait que ce n’était pas en raison d’une quelconque pitié mais la seule recherche de l’endroit où il allait frapper le corps étendu devant lui. La situation inversée, il aurait agi de la même manière… Il ne ressentait aucune haine mais une impression de gâchis. En authentique soldat mécanique-élément d’infiltration, il garda les yeux ouverts lorsque le rayon le détruisit.

    Felt ne pouvait pas le savoir mais il avait fait partie d’une escouade sacrifiée pour des raisons de diversion. Son rôle – on pouvait même dire son sacrifice – avait permis de fixer une unité confédérée alors que le gros des troupes impériales se déployait plus au sud. Dans cette guerre totale que se livraient les belligérants, les vies d’une dizaine d’hommes mécaniques n’avaient strictement aucune importance comparées aux véritables bionats qui avaient été probablement épargnés dans l’affaire.

     

     

     

    Vliclina repoussa négligemment la mèche de cheveux qui était sur le point de lui tomber sur l’œil droit et, se redressant, chassa provisoirement la fatigue du moment. Il faut dire qu’elle n’avait guère dormi ces derniers jours, occupée qu’elle était à gérer personnellement les contacts initiés par certains éléments des forces adverses. Des contacts on ne peut plus fructueux puisque les deux parties rencontrées par ses agents avaient fait part – apparemment sans s’être concertés – de leur désir de mettre en place un protocole de suspension des hostilités qui, par la suite, pourrait effectivement déboucher vers une paix plus solide. Les envoyés du responsable de la CFS comme le représentant accrédité du plutôt mystérieux Groupe 107 avaient insisté sur un point qui leur paraissait fondamental : le souci pour les Confédérés qu’ils représentaient de ne pas perdre la face, de négocier en somme un arrêt des combats leur permettant de conserver leurs légitimités respectives. Toutes choses que Vliclina comprenait parfaitement : à leur place, elle aurait présenté les mêmes demandes. Elle doutait toutefois que les militaires acceptent cette espèce de reddition conditionnelle alors que, sur tous les fronts, ils reprenaient un avantage chaque jour plus évident. L’Impériale était par ailleurs obsédée par une question qui la taraudait et qui, lors de ces premiers contacts, n’avait bien sûr pas été abordée : qu’en était-il des Universalistes ? Leur responsabilité prépondérante dans l’origine de cette guerre qui avait déjà causé tant de dégâts n’avait jamais été évoquée. À croire qu’il ne s’agissait que d’un conflit entre deux puissances antagonistes classiques alors que tous savaient bien qui tiraient les ficelles et ce, des deux côtés. Il lui paraissait impossible de proposer de prendre la moindre décision sans avoir une certitude sur ce point capital. Elle soupira, se leva de son planorbe et s’avança vers la large baie vitrée pour regarder sans le voir le parc du Palais impérial sur lequel la nuit peu à peu tombait. Elle se détourna lentement et se mit à marcher tranquillement de long en large avant de s’arrêter brusquement devant son droïde-secrétaire qui attendait impassible près de la porte à l’ancienne de la vaste pièce qui lui avait été provisoirement allouée.

      - Voulez-vous, je vous prie, demander à la citoyenne Première Assistante s’il m’est possible de m’entretenir avec elle. Et avant que le droïde ne lui réponde, Vliclina poursuivit : Je sais qu’elle est très prise en ce moment et que, de toute façon elle n’est pas sur Terra, mais vous lui direz que je sais tout cela mais qu’il faut néanmoins que je m’entretienne le plus tôt possible avec elle. C’est impératif.

    Elle regarda l’homme mécanique sortir de la pièce puis reprit sa contemplation évasive du parc. Vliclina était songeuse : les événements donnaient l’impression de s’accélérer et il fallait impérativement décider dès maintenant de la suite à donner. L’ennemi était-il effectivement sur le point de rompre et qu’en était-il alors des Universalistes ? Au-delà de quelques sous-fifres, comment identifier les décideurs, les décideurs réels, afin d’écarter une fois pour toute la menace délétère qui menaçait l’Empire ? Les militaires, tout à leur contre-offensive, étaient trop occupés et donc peu accessibles. Non, c’était à Carisma et à elle de s’occuper de neutraliser autant que faire se peut l’ennemi de l’intérieur mais de quelle façon ? Jusqu’à présent, les informations dont elles disposaient étaient restées parcellaires et elle ne voyait pas  – sauf par un hasard miraculeux – comment éradiquer le danger. Elle soupira et décida de poser directement la question lors du prochain comité stratégique au risque de provoquer la colère des militaires qui avaient bien d’autres soucis. Après en avoir longuement parler à Carisma évidemment.

     

     

     

    Valardi était seul, désespérément seul. Aucune nouvelle des autres. Le général Graven ne donnait plus aucun signe de vie, occupé qu’il devait être à assurer ses arrières, Berlico était aux abonnés absents et la biocyborg confédérée, après avoir ébauché une prise de contact, semblait avoir renoncé. Quant à la princesse impériale, elle avait disparu de la scène depuis si longtemps qu’il eut été totalement illusoire de compter sur elle. Il était seul aux commandes d’une opération dont il ne dominait pas les aspects militaires. Il était donc parfaitement conscient que l’affaire était mal engagée. Ses agents traitants lui faisaient remonter l’essentiel des faits mais ce n’était pas ces détails qui l’intéressaient : ce qu’il désirait, c’était apprécier la marge d’action qui subsistait pour contrer la manœuvre impériale et, en ce domaine, il était à présent presque aveugle. Et puis une mauvaise nouvelle venant s’ajouter aux autres, il était à peu près certain de l’échec de Gilto dans sa tentative de retournement de la quanticienne impériale. On ne le lui avait pas affirmé de façon formelle mais il soupçonnait que son adjoint y avait laissé plus que sa liberté. C’était une perte irréparable qui l’effrayait fortement. Pour la première fois depuis bien longtemps, il était réellement angoissé.

     

     

     

    Alertée par ses deux assistantes principales, Bristica n’en crut tout d’abord pas ses yeux mais l’ordiquant « terminal » de son service, celui qui affichait la synthèse globale de la méta-analyse, était formel : suite à l’ajout des données d’ordre politique qui avaient été récemment introduites, le point de convergence calculé effectuait un bon considérable pour se situer à un peu moins de dix mois avec un intervalle de confiance quant à lui inchangé d’un mois. La Farbérienne n’arrivait à pas le croire et pourtant les chiffres étaient là, concordant parfaitement avec un axe de convection pratiquement inerte, une confirmation indirecte. Elle se tourna vers Raffel-Dot, une des deux assistantes qui l’entouraient 

            - Et, bien entendu, vous avez pu vous assurer que…

            - Compte-tenu de ces résultats plutôt… surprenants, vous pensez bien, Bristica, qu’avant de vous les présenter… commença Raffel-Dot.

          -… nous les avons fait vérifier. Deux fois ! poursuivit Javiertor, l’autre assistante.

           - Enfin, les principaux masques procéduriers, précisa Raffel-Dot, car on ne pouvait pas reprendre l’ensemble de la chaîne en si peu de temps mais vous savez bien que les masques…

           -… ne peuvent être compromis à ce point. C’est donc bien le point de convergence qui… Vous vous rendez compte de ce que cela veut dire ? s’exclama la Farbérienne. Il faut en aviser immédiatement nos responsables hiérarchiques. Je vais bien entendu m’en occuper au plus vite. Bon, je vais vous demander de préciser tout ça en reprenant les tangentielles certifiées. J’en attends évidemment une confirmation allant dans le sens des masques. Je ne vois d’ailleurs pas comment il pourrait en être autrement… mais ça donnera plus de poids à notre présentation aux officiels. On lance néanmoins une analyse générale même si je sais qu’elle prendra du temps mais… Il faut d’ailleurs espérer que d’autres ajouts ou modifications de données, ne vont pas faire encore bouger ce point de convergence qui, comme nous le savons très bien toutes les trois a souvent tendance à se déstabiliser lorsque la date définitive se rapproche.

       Bristica salua rapidement ses collaboratrices et, d’un pas saccadé qu’on ne lui avait pas connu depuis longtemps, elle se dirigea vers espace privé afin d’organiser au plus vite une entrevue avec Vliclina. L’Impériale allait sûrement être surprise mais Bristica aurait volontiers parié que la nouvelle allait lui faire plaisir et la conforter dans ses mystérieuses prises de contact avec des émissaires venus de l’autre côté. Ça bougeait enfin ! Elle en eut un frisson tout le long de sa colonne vertébrale.

     

      

     

             - 150 mètres. À huit heures. À présent, silence radio absolu. Absolu ! Quelle que soit la cause !

    La voix du sartor[3] était définitive. Le tournant de l’opération. Enfin ! Sarek-Tor attendait ce moment dans un mélange d’impatience et d’anxiété. Dans l’eau glacée et obscure qui les enveloppait, il distinguait à peine la navicombi de son chef pourtant à moins de deux mètres de lui. Grâce à un système intégré de vision infrarouge modulée – il ne savait pas vraiment ce que « modulé » voulait dire et il s’en moquait totalement - sa propre navicombi lui permettait en principe de discerner vaguement son environnement. Du moins en théorie car, pour le moment, l’obscurité lui semblait complète et il se fiait uniquement à l’extrémité bipalmée de la navicombi de son chef. Ils avançaient lentement – mais c’était voulu – et il estimait l’atteinte de leur objectif à moins de six minutes. Derrière lui, Marno, le troisième membre de leur petit commando - avec qui il aurait bien aimé échanger quelques impressions mais l’ordre du sartor avait été formel - devait ressentir la même excitation que lui. Sarek-Tor ne comprenait toutefois pas ces précautions certainement inutiles : depuis leur largage du turbomarine banalisé et leur immersion, ils communiquaient uniquement par transmission ostéophonique, un procédé connu pour être très confidentiel. Il avait d’ailleurs eu du mal, au début, à s’habituer à la puce minuscule implantée à la base de son maxillaire inférieur et qui permettait aux sons de circuler dans les deux sens par conduction osseuse. Par conduction osseuse ! Et donc une transmission très particulière. Comment aurait-il été possible à l’ennemi d’intercepter leurs conversations à moins de l’avoir prévu par un système d’écoute spécial et en connaissant exactement leur fréquence d’appel et de réception ? Les Confédérés possédaient certainement des services techniques développés mais il ne fallait quand même pas exagérer leur degré de compétence... Face à cette absurdité, Sarek-Tor haussa virtuellement les épaules. Toutefois il était avant tout un militaire et ne discutait jamais les ordres car convaincu de ne pas posséder tous les éléments lui permettant de juger.

    Après avoir comme prévu prévenu ses suiveurs d’un geste vertical de sa bipalme, le sartor avait stoppé sa navicombi. Arrivés à destination ! Les trois hommes se regroupèrent et commencèrent immédiatement à reconstituer l’engin thermomagnétique dont, une fois convenablement disposé et armé, la fonction était sensée perturber considérablement les communications de l’ennemi. Une action décisive puisqu’elle déterminerait la date du lancement des opérations sur un des derniers bastions défendant Mez-Antelor. En somme, Sarek-Tor était l’un des trois soldats dont le rôle était prépondérant dans ce qui serait assurément la victoire de leurs forces dans cette bataille gigantesque pour la reconquête de la planète-saphir. Un des trois ! Trois humains seulement pour ne pas éveiller l’attention des Confédérés qui, s’attendant à l’offensive impériale, devaient être aux aguets sur tous les fronts. Il s’était porté volontaire pour cette mission très spéciale, tout d’abord parce qu’il jugeait ses compétences totalement en rapport avec le travail demandé mais aussi – il avait l’honnêteté de le reconnaître – parce qu’il savait qu’il en tirerait une source de gloire pour le reste de son existence… Il était parfaitement détendu puisqu’ils avaient tout le temps nécessaire devant eux, leur exfiltration étant programmée trois heures à compter du déclenchement de l’offensive : il ne doutait pas d’un retour sans problème, les Confédérés ayant alors d’autres grajanes à promener[4]

    Après avoir vérifié que la diode d’activation s’éclairait bien en bleu, traduisant la mise en activité du matériel, le sartor s’empara du système reconstitué qui affichait à présent la taille d’une petite valise (mais incroyablement légère au vu de ce qu’elle représentait), puis regarda chacun de ses compagnons avant de lâcher tranquillement l’engin. Réglé pour s’activer deux heures plus tard, il allait doucement se déposer sur le fond marin à moins de cinquante mètre du pied de la structure rocheuse choisie avec soin par les spécialistes. Compte-tenu de l’effet attendu, Sarek-Tor se fit la remarque que la mission demandée était plutôt facile. Restait quand même à dégager au plus vite de façon à mettre une certaine distance entre eux et la bombe magnétique dont l’effet serait dévastateur pour tout organisme présent à proximité. Le service de sécurité avait insisté : un kilomètre de distance au moins ! Compte-tenu de l’esprit précautionneux, pour ne pas dire obsessionnel, des personnels sécuritaires en question, Sarek-Tor pensait que, au-delà de 500 mètres, ils seraient relativement tranquilles. Le sartor toucha l’épaule droite de chacun de ses soldats puis, certain d’avoir toute leur attention, il leva son sa main droite et, d’un geste bref, il donna l’ordre du repli. Il n’avait pas fait cinquante mètres que Sarek-Tor qui, comme prévu, fermait la marche pour le retour, sentit un très léger picotement sur son mollet droit. Presque aussitôt, il constata l’arrêt de la progression de sa navicombi et, du coup, la perte de vision de la bipalme de Marno qui lui servait de guide. Ce qui ne présentait pas de souci majeur puisque sa navicombi était parfaitement à même de l’orienter grâce à son système de positionnement intégré. Mais l’arrêt soudain de sa progression ? Par sa main droite, il explora sa jambe et il crut identifier comme une sorte de très mince filament qui entourait son mollet droit. Fébrilement, il recommença son inspection et confirma sa première impression. Se contorsionnant du plus qu’il pouvait, il voulut faire glisser la légère entrave. Sans succès. Que se passe-t-il donc, par Bergaël ? se murmura-t-il mentalement. Est-ce que… Son sang se glaça car il venait de comprendre. Une vicra ! C’était peut-être une vicra, ces algues semi-synthétiques lâchées à la dérive pour protéger une zone sous-marine et qui pouvait immobiliser tout corps mobile avec ses tentacules à la longueur démesurée. Pourtant, le Commandement Opérationnel avait été formel : il n’y en avait pas dans la zone choisie pour la dépose de la bombe magnétique. Ils en avaient donné l’assurance ! C’était quoi alors ? Ne pas paniquer. Surtout pas. Il devait trouver une solution. Tout de suite. Ou appeler les deux autres avant qu’ils ne soient trop loin. Sauf qu’il avait interdiction de communiquer avec eux, le sartor avait été catégorique. Il était donc seul. Seul pour résoudre son problème. Toujours calmement, il chercha à confirmer son analyse. Bravant les ordres – mais il s’agissait de sa propre survie – il sortit sa torche infrarouge de sa poche de combi et ajusta brièvement le faisceau laser sur sa jambe. C’était bien ça. Il frémit en constatant qu’un deuxième filament s’était joint au premier. Il ne chercha même pas à sortir son couteau-tremble car il savait que la technique de génie génétique à l’origine de ces créatures de cauchemar rendait impossible la rupture de ce type de lien. Sauf avec du gros matériel que, évidemment, il ne possédait pas. Appeler les autres donc et tant pis pour les consignes mais il ne mourrait pas ici, dans cette eau froide et noire, ça non ! Sans plus hésiter, il appuya l’extrémité de sa langue sur sa dernière prémolaire droite pour activer la communication. Le contact dura moins d’une seconde puis… plus rien ! Il réessaya plusieurs fois avant de se rendre à l’évidence : le sartor, qui d’autre ?, venait de désactiver sa puce. « Silence radio absolu quelle que soit la cause » qu’il avait dit ce salopard ! Alors, c’était ça ? La mission avant tout, bien sûr, et c’était lui, Sarek-Tor, qui allait en faire les frais. Une sueur froide l’envahit brusquement et, en même temps que l’accélération soudaine de sa fréquence cardiaque, une espèce de nausée remonta de sa gorge. Ne surtout pas vomir dans sa navicombi car ce serait sa fin. Il chercha à se reprendre. Non, ce n’était pas possible, il fallait réfléchir. Mais que faire ? Attendre le retour des autres, bien sûr, voilà ce qu’il devait faire. Parce qu’ils n’allaient pas le laisser crever de cette ignoble façon, n’est-ce pas ? Mais le sartor avait pourtant coupé la communication et du coup on pouvait se demander si… Mais non ! C’était pour ne pas se faire repérer, se rassura-t-il. Ils allaient évidemment revenir. Ou, non, mieux encore, ils étaient partis chercher de l’aide, du gros matériel, des techniciens compétents… Parce qu’ils avaient compris, peut-être même avant lui, qu’il y avait des vicras qui rôdaient. Il restait du temps avant l’explosion de la bombe. Mais il fallait quand même faire vite en comptant le chemin du retour. À propos, combien de temps pour le désincarcérer… si les autres ne subissaient pas eux aussi les assauts de cette saloperie d’algue synthétique. Ah, à l’air libre, on aurait pu lui couper la jambe et une bonne prothèse… Mais qu’est-ce que je raconte, moi, s’exclama-t-il, il n’y a pas de vicra en dehors de l’eau. Je commence à débloquer ou quoi ? Malgré tout ce qu’il s’était promis, il ne pouvait empêcher l’angoisse de sa situation de le submerger peu à peu. Allez les mecs, je vous en supplie, au nom de notre amitié, pour la gloire de l’Empire, pour… pour… tout ce que vous voulez, mais revenez me chercher. Sans s’en rendre compte, Sarek-Tor pleurait à chaude larmes mais il gardait l’espoir. Oui l’espoir. Il hurla bientôt de rage impuissante pour se calmer sur le champ. Il restait du temps, voyons. D’ailleurs, cette fichue bombe, ce n’était que des trucs magnétiques et qui avait dit qu’on ne pouvait pas en réchapper ?

    Il y croyait encore lorsque l’onde sismique balaya tout son environnement, le choc intense le libérant instantanément des tentacules de la vicra mais pour lui c’était déjà trop tard.

     

     

     

    Le prince Alzetto arpentait son espace de long en large, tête baissée, comme s’il se livrait à une introspection profonde, comme s’il débattait avec lui-même des différents éléments qui venaient de lui être exposés. Mais Vliclina n’était pas dupe : elle devinait que le responsable des armées était profondément en colère, qu’il rageait de devoir discuter d’une éventuelle reddition d’une partie des forces armées ennemies alors que ses troupes étaient sur le point de les défaire. D’ailleurs, le simple fait qu’il se soit présenté au Comité Stratégique accompagné de deux de ses généraux d’armée et de son chef d’état-major interarmes avait semblé de mauvais augure. Alzetto suspendit soudain sa marche en se plantant devant Carisma Der-Aver. Il releva la tête, souriant mais, le bleu de ses yeux était glacé.

              - Et vous, Carisma, vous en pensez quoi ?

    La Première Assistante qui s’attendait à la question d’Alzetto s’avança d’un pas, prenant soin de ne pas s’approcher trop près de la limite holographe. Les bras croisés comme à son habitude en pareille circonstance, elle toussota comme pour se donner une contenance mais elle savait exactement ce qu’elle voulait dire et que son avis risquait de ne pas plaire au militaire.

         - Altesse, nous avons longtemps réfléchi à cette situation… insolite. Nos forces armées sont actuellement en position de bousculer l’ennemi et je ne doute pas un seul instant qu’elles y arriveront jusqu’à sa reddition totale. Toutefois, nous connaissons également ce vieux précepte selon lequel c’est durant les dernières phases d’une guerre qu’il faut savoir préparer la paix. Plusieurs questions se posent. D’abord la première : nos interlocuteurs sont-ils crédibles et ont-ils le pouvoir d’imposer ce qu’ils promettent. La réponse est oui et j’expliquerai ultérieurement si c’est nécessaire ce qui nous incline à penser cela. La seconde question est de savoir si le moment est opportun d’accéder à leur demande : ici aussi je réponds de façon positive pour une raison très simple. Ces gens représentent une partie de nos adversaires mais une partie seulement, à savoir les militaires d’Alba-Malto et presque certainement plusieurs unités importantes liées à Vargas. Une reddition de ces forces ne pourra qu’altérer le moral des autres, permettant de surcroit de libérer ainsi certaines de nos unités qui pourront intensifier leur pression sur le reste de l’ennemi, notamment les gens de Carsus dont on sait l’âpreté au combat. Ma troisième remarque est corollaire de la seconde : il est assez évident que pour obtenir ce résultat il ne faut pas exiger une capitulation totale des demandeurs… Voyant Alzetto lever la main droite en sa direction, elle s’empressa d’ajouter : …un désarmement certainement, la tête de quelques responsables particulièrement impliqués sans doute et, à l’évidence, la mise sous séquestre – au moins temporairement – de l’essentiel des moyens de guerre des forces ennemies en question. Mais en des termes acceptables par tous comme vous pouvez le comprendre. Peut-être d’ailleurs, une telle issue incitera-t-elle certaines des autres forces ennemies à les rejoindre… Tout cela aura pour but d’abréger une guerre ruineuse pour tous et bien des morts supplémentaires. Se doutant qu’Alzetto allait intervenir à nouveau, elle se pressa d’ajouter : Mais il reste un obstacle majeur, un problème fondamental – je dirais presque le point le plus important : toute cela ne nous dira rien – ou très peu – de ce que je crois être un danger mortel pour l’ensemble de notre société : qui et où sont les Universalistes ? Nous sommes bien d’accord sur le fait qu’ils sont les principaux responsables de la situation actuelle mais comment les débusquer pour ne pas voir resurgir les mêmes problèmes dans quelques années ? Je n’ai ici pas de réponse.

    Der-Aver recula d’un pas en sens inverse, signifiant ainsi qu’elle avait tout dit de la position des civils qu’elle représentait, Vliclina étant restée silencieuse sur sa droite. Elle observa le militaire qui, muet, paraissait songeur. Elle avait l’impression que son petit discours longtemps préparé et répété avait au moins en partie porté ses fruits mais, avec le Prince Alzetto, comment être réellement sûr ? Ce dernier se tourna vers ses subordonnés comme pour s’assurer qu’ils avaient bien compris le dilemme qui se posait à eux mais, bien entendu, aucun d’entre eux ne pipa mot. Alzetto était sur le point de clore la réunion afin de réfléchir de façon approfondie aux différentes réponses possibles à apporter lorsque, soudainement, une idée parut le frapper. Il se retourna vers Der-Aver.

             - Mais, à propos, j’ai oublié de vous demander : que pensent nos quanticiens de tout cela ?

    Cette fois, ce fut Vliclina qui répondit.

           - On leur a demandé de faire une simulation selon différentes hypothèses mais il leur faut…

             - … un peu de temps, la coupa le Généralissime. Je comprends Je comprends tout à fait. Eh bien, voilà ce que je vous propose : nous aussi, nous allons réfléchir et envisager différentes hypothèses. Dès que vous avez votre réponse des quanticiens – au plus vite, je l’espère- nous nous revoyons et nous déciderons. En attendant, Citoyennes, je vous remercie pour votre temps et vos suggestions.

          - Toutefois, Altesse, si vous permettez, j’aimerais ajouter un point très important, reprit Vliclina. Nos quanticiens nous ont tout récemment fait part de l’avancée considérable de leur analyse en ce qui concerne, heu, le moment où… vous savez bien… on peut espérer la conclusion de…

             - Le fameux point de convection, vous voulez dire, n’est-ce-pas ? argumenta Alvetto qui était sur le point de couper la communication holographique. Ça veut dire que nous allons dans le bon sens et c’est tant mieux. Mais je préfère quand même accorder mon entière confiance à mes généraux. Puis après un temps de silence : mais c’est quand même excellent. Demandez à vos quanticiens de préciser leur analyse car cela m’intéresse beaucoup. À vous revoir, Citoyennes.

       Déjà, le contact holographique était coupé, effaçant les militaires des yeux des civils. Vliclina se tourna vers la Première Assistante.

            - Carisma, je ne sais pas quelle est votre impression mais, pour moi, il reste possible que le prince Alzetto accepte cette reddition sous condition. Après tout, comme vous le lui avez bien précisé, cela libérera certaines de nos unités combattantes…

    Der-Aver soupira puis, cherchant le regard de son interlocutrice, elle répondit presque rêveusement :

            - Je ne sais pas. Je ne sais vraiment pas. Avec lui, il est toujours impossible d’être sûr, vous le savez bien. Une chose néanmoins : une étude plus approfondie allant dans notre sens de la part des quanticiens nous aiderait certainement. Puisque je connais vos bons contacts avec notre quanticienne en chef… eh bien, essayez-donc de faire accélérer les choses…

     

     

     

    Zeliya était amoureuse. Pour la première fois. Enfin pas tout à fait car quelques années auparavant elle s’était emmourachée d’un des élèves de l’Institut central d’Antelor qui lui avait préféré une stagiaire de troisième année qu’elle trouvait particulièrement insignifiante. Elle avait alors traîné durant plusieurs mois une sorte de mélancolie larvée qui la faisait pleurer certains soirs de grande solitude. Et, malgré tous leurs efforts certainement sincères, ses rares amies n’étaient pas arrivées à la dérider. Puis le temps ayant passé, elle s’était un jour rendu compte que son « grand » amour de l’époque s’était en quelque sorte progressivement étiolé et elle avait alors retrouvé sa vie d’avant. Seule, peut-être, mais sereine. La chute de la ville ne l’avait pas vraiment concernée puisqu’elle ne s’intéressait guère à la politique. Elle ne comprenait rien à l’irruption de cette soudaine animosité entre Impériaux et Confédérés qui jusque là vivaient en bonne intelligence. C’est en tout cas ce qu’elle avait toujours cru. Elle, elle se savait définitivement impériale, heureuse de vivre au sein de Ranval comme ses parents aujourd’hui disparus et tous ses proches l’avaient fait avant elle. Lorsque les Confédérés, au tout début, avaient occupé la ville, elle s’était sentie comme dépossédée de son histoire personnelle avant de se rendre compte que les événements ne changeaient pas grand-chose à sa situation.

    Vers la deuxième semaine de l’occupation, un soir assez tard, on avait frappé à sa porte. On n’avait pas utilisé la visiophonie comme à l’accoutumée mais frappé physiquement à sa porte, à la manière ancienne. Curieuse, elle était allée ouvrir la cloison d’accès de son cube de vie qui s’était effacée avec le chuintement habituel pour laisser apparaître cinq soldats en uniforme gris des Confédérés. Médusée, elle les avait laissé envahir son petit univers. C’était simplement un « recensement technique » avait expliqué une femme au sourire éclatant découvrant une rangée de dents parfaites. Zeliya avait donc répondu du mieux qu’elle le pouvait au questionnaire assez classique qu’on lui avait proposé. Elle n’avait posé aucune question. Habitante depuis toujours de Mez-Antelor, elle connaissait bien ces gens qu’elle avait toujours côtoyés lorsqu’ils venaient ici en touristes et ne craignait rien d’eux. Son regard, toutefois, s’était porté sur le chef resté en retrait du petit groupe qui, encourageant, lui avait souri gentiment. Elle avait été frappée par l’intelligence de ses yeux verts et par son attitude générale presque aristocratique. Elle y avait repensé une fois le petit groupe parti vers les cubes voisins. L’homme était revenu la voir deux jours plus tard, seul, avec pour prétexte de compléter son questionnaire mais elle n’était pas dupe : c’était elle l’objet de sa visite. Les choses s’enchaînèrent rapidement. Gabor – c’était son nom - était charmant, plein de vie, volontiers sarcastique mais dans le bon sens du terme. Elle en tomba rapidement amoureuse et cela avait l’air d’être réciproque. Elle devint sa compagne et ils commencèrent à bâtir des projets d’avenir pour le moment où cette guerre stupide prendrait fin. Il essayait de se faire le plus discret possible lorsqu’il venait la retrouver lors de ses permissions et lui conseillait de faire profil bas pour le cas où leur liaison serait « mal interprétée ». Zeliya ne voyait pas pourquoi il fallait cacher leur amour qui ne regardait qu’eux mais elle promit néanmoins.

    La contre-offensive impériale ne la surprit pas plus que ça : elle la pensait inévitable mais se faisait du souci pour son « confédéré » amoureux. Les combats à l’orée de la ville paraissaient violents. Se pourrait-il que… ? Elle en perdit partiellement le sommeil mais ne changea en rien ses habitudes de vie. Lorsque les Impériaux reprirent Mez ouest, elle se protégea comme elle put, descendant aux abris souterrains lors des alertes heureusement assez rares car les combats avaient surtout lieu vers le centre et l’est de la ville.  Elle attendait des nouvelles de Gabor puisqu’il lui en avait fait la promesse. Elle envisagea un temps de partir le rejoindre mais ne savait pas vraiment où il se trouvait dans cette bataille locale qui changeait continuellement de forme et, de plus, qu’aurait-elle pu déclarer aux patrouilles impériales qui n’auraient pas manqué de l’intercepter. Elle se résigna à attendre.

    La journée s’annonçait fort belle. Grantel baignait le paysage de sa chaude lumière orangée et, les combats ayant certainement diminué en intensité, on s’attendait presque à voir revenir ces touristes qui faisaient la réputation du lieu. Toujours sans nouvelles de Gabor, elle entreprit comme elle le faisait chaque jour de se rendre à l’office de planification des transports urbains qui dépendait du Département-Ministère des statistiques civiles, un organisme impérial qui n’avait jamais cessé de fonctionner, même durant l’occupation confédérée. Elle pouvait s’y rendre à pied depuis son cube de vie et pour la première fois depuis bien longtemps, elle profita du semblant de paix qui était revenu. Le bâtiment de l’office de planification n’était pas particulièrement esthétique mais de le revoir une fois de plus inchangé, loin des éventuelles destructions de la guerre, donna l’impression à Zeliya que tout était redevenu comme avant ou mieux encore, que tous ces mois d’incertitude et de misère n’avaient pas vraiment existé, que ce n’était qu’un mauvais rêve à oublier au plus vite. L’atmosphère qui régnait dans l’office était par contre très lourde. Les différents employés y parlaient à voix basse… quand ils parlaient. Chacun semblait vaquer à ses tâches habituelles mais on sentait que le cœur n’y était pas. Elle surprit deux ou trois regards plutôt hostiles dans sa direction mais elle haussa mentalement les épaules : elle avait d’autres soucis en tête. À onze heures soixante douze très précisément, le rapport affiché sur son ordiquant de bureau et sur lequel elle travaillait s’effaça d’un coup pour laisser place à une convocation immédiate chez son sous-chef de division. Elle s’y rendit le cœur battant car elle soupçonnait de mauvaises nouvelles. Elle en fut d’emblée convaincue en constatant que l’homme tout en lui indiquant de s’asseoir sur le biodiv habituellement réservé aux visiteurs ne l’avait pas une seule fois regardé dans les yeux. Il se tenait face à la baie vitrée de son bureau comme fasciné par la vue extérieure. Sans se retourner, d’une voix qui se voulait ferme, il l’apostropha :

          - Citoyenne Karig – fini le Zeliya habituel – avez-vous quelque chose à me dire vous concernant ?

             - ???

        - Eh bien moi, j’ai à gérer une situation désagréable vous concernant car, voyez-vous, Citoyenne, plusieurs plaintes tout à fait crédibles ont été portées à ma connaissance…

             - Des plaintes ? Contre moi ? Mais…

           - Oui, voyez-vous, Citoyenne, la situation a changé comme vous avez pu le constater et les autorités légitimes sont à nouveau – et c’est tant mieux - aux commandes de notre ville. Or durant les moments difficiles que nous avons tous vécus, certains comportements se sont révélés très discutables, pour ne pas dire scandaleux, voire antipatriotiques. Oui, c’est le mot, antipatriotiques.

               - Mais en quoi cela me…

         - Eh bien pour le dire plus directement, on vous accuse d’intelligence avec l’ennemi.

               - Moi ? Mais non, jamais je n’ai…

        - Comment ça, non ? Et cet officier ennemi qui venait régulièrement chez vous à la pêche aux renseignements ? Vous savez comment cela s’appelle ?

              - Mais, citoyen, jamais, je dis bien jamais, je n’ai…

              - Cela s’appelle de l’espionnage…

              - Jamais je…

              - Vous êtes une radek,[5] inutile de le nier.

              - Mais non ! Absolument pas !

             - Et les radeks - je dis ce que je pense - on devrait les exécuter sur le champ. Oui, c’est certainement ce que je pense ! Et je ne suis pas le seul… Toutefois, dans sa grande mansuétude, le représentant du gouvernement impérial sur Antelor a demandé à ce que les gens comme vous bénéficient d’un procès. Un procès et puis quoi encore ! On croit rêver ! S’il ne tenait qu’à moi… Mais, bon, j’obéis aux ordres et donc procès il y aura.

           - Je vous assure, citoyen que jamais je n’ai délivré la moindre information que ce soit, ni que mon ami… m’ait demandé quoi que ce soit. Et d’ailleurs, qu’aurais-je pu communiquer ? Je n’ai certainement pas accès à des… Mais non. C’est une histoire simple, banale même : je l’aime, il m’aime et c’est tout. Je suis citoyenne de Randal et jamais…

           - Je l’aime, il m’aime, bla bla bla et vous osez me faire croire que… Vous me prenez donc pour un abruti ? Je ne vous crois pas. Je n’ai aucunement envie de vous croire. Je sais parfaitement de quoi il retourne. Une radek. Chez nous. Alors qu’on vous avait accordé… Mais non, rien. C’est ignoble. Vous êtes ignoble ! Une salope de radek, c’est tout ce que vous êtes. Allez, entretien terminé ! Dégagez de ma vue. Et vite. Bien sûr vous êtes relevée de toutes fonctions ici dans l’attente d’un procès. Un procès que… Dehors je viens de vous dire !

    Zeliya quitta en pleurs le bureau de son sous-chef de division mais en traversant les salles de travail elle entendit la bronca de ses chers collègues, les sifflets, les huées. Elle ne repassa pas par son poste de travail et se retrouva sans savoir comment elle y était arrivée devant le bâtiment voisin du sien, celui qu’habitait Groc, sa seule vraie amie. Les yeux encore brouillés, elle appuya sur le visiophone qui ouvrit instantanément la porte générale. Cube 27. Elle appuie sur la visio perso. La porte glisse presque immédiatement et elle s’avance pour se jeter dans les bras de son amie mais celle-ci est brutalement poussée de côté. Apparaît le compagnon de Groc qui la toise méchamment avant de s’exclamer : « Ah non, pas elle ! ». Et la porte se referme. Zeliya est seule à nouveau.

    Dans l’entrée de son bâtiment qu’elle rejoint presque sans s’en rendre compte, elle rencontre un couple voisin qui l’interpelle aussitôt.

          - Alors, sale zarkanne, on continue sa petite œuvre de démolition ? Hein, radek, il est où ton birjad ? Il s’est fait descendre, c’te ordure ?

    Zeliya s’enfuit. Elle se retourne avant d’ouvrir son cube. Le couple n’a pas bougé mais en voyant son regard apeuré, l’homme crache par terre et fait mine de s’approcher d’elle. Elle s’enferme.

    Les heures passent lentement et la jeune femme ne sait plus quoi faire. Retrouver Gabor mais comment ? S’enfuir de toute cette haine certainement. Elle n’a plus rien à perdre de toute façon. Attendre la nuit. Tenter le tout pour le tout, certes, mais pourtant quitter Mez-Antelor comme ça ! Comme la criminelle qu’elle n’est pas… Elle se tord les mains de désespoir. Coups violents sur la porte. Encore des ennuis, c’est certain ! On ne lui laissera donc aucun répit mais elle se battra jusqu’au bout pour démontrer sa bonne foi. Non, elle n’a pas trahi. Elle n’en a jamais eu l’intention. Elle, elle aime un homme et c’est tout. La nationalité, la couleur de l’uniforme n’a rien à voir avec son histoire d’amour. Parce que ce n’est que cela : une simple histoire d’amour. Elle va s’expliquer et ils comprendront. Elle se dirige vers la porte, s’arrête un instant, soupire profondément, reprend du courage pour affronter l’adversité injuste. La porte s’ouvre. Ils sont trois, deux hommes et une femme qu’elle ne connaît pas. Est-ce que… ? Elle n’attend pas longtemps avant d’être fixée. Un des trois s’avance, la repousse méchamment, un sourire méprisant aux lèvres.

         - Salope de radek ! éructe-t-il, suivi des autres qui l’insultent aussi.

    Zeliya protège son visage mais ils sont déjà sur elle. La douleur est abominable car chacun d’entre eux frappe avec un couteau-tremble, des armes terribles qui lui perforent instantanément l’abdomen. Elle tombe à terre. La femme lui décoche des coups de pied au visage en hurlant des imprécations qu’elle ne comprend pas. Elle meurt sans avoir pu se défendre. Le troisième homme urine sur son cadavre. Le silence retombe. Justice est faite.

     

     

     

    La troisième assistante avait été formelle : c’était bien à Velti de mener les débats, entourée de ses « conseillers spéciaux », Rogue ne devant être présent que pour officialiser par sa présence et sa qualité de Stenek l’aval complet de l’Empire sur les pourparlers et décisions à venir. Velti avait évidemment ressenti une satisfaction intense en comprenant toute la confiance que lui accordait la représentante du pouvoir impérial, celle-là même qu’elle avait d’emblée détestée car incarnant, croyait-elle, tout ce qu’elle avait toujours combattu : la morgue et la suffisance de ces aristocrates de Terra qui vivaient dans leur bulle artificielle, en rupture avec les vrais gens comme elle… Vliclina avait su lui montrer combien elle se trompait, sa nomination comme plénipotentiaire auprès des forces armées d’Alba-Malto en étant une preuve supplémentaire. La Confédérée n’avait pas d’appréhension quant à son accréditation auprès des militaires restés fidèles à Vargas et à son « tourniquet » : elle était, après tout, elle-même d’une sarte Malto-albienne, comme eux. Et, comme eux, elle espérait que sa planète natale se sortirait sans trop de casse du mauvais pas où elle semblait s’être fourrée, à présent que le succès des armes semblait de plus en plus pencher en faveur des Impériaux. Restait le problème hiérarchique qui, pour ces militaires en particulier, importait réellement. Il y avait en effet parmi eux des hauts-gradés, des officiers supérieurs, des décideurs en somme qu’elle n’aurait jamais pensé approcher, même de loin : il allait falloir les convaincre et, par moments, en y pensant, sa gorge se nouait. Dans un premier temps, évidemment, sauf rares exceptions, elle allait avoir affaire aux militaires déjà convaincus, ceux qui, depuis le début avait décidé de ne pas suivre les ordres de la hiérarchie générale et ces « traîtres » d’alors étaient devenus le seul espoir de leur planète. C’est ensuite que la partie serait plus serrée, quand il faudrait aborder les autres, à la condition qu’ils acceptent, à la condition qu’ils se rendent à ceux, comme elle, qu’ils devaient mépriser de tout leur cœur. Il y aura de la casse, pensa Velti, c’était inéluctable. À elle de minimiser les conflits inévitables et, peut-être, de prendre des décisions qui allaient lui coûter. Elle soupira. On lui avait fourni un nouvel uniforme, créé semblait-il uniquement pour l’occasion, heureusement de couleur grise comme tous les uniformes confédérés, mais dont la coupe rappelait celle des Steneks impériaux ce qui n’était certainement pas dû au hasard.

    Lorsqu’elle pénétra dans l’enceinte de la grande salle de l’Hôtel de Ville de Caraime-district, tous les participants à la réunion, installés autour d’une immense table en acajou noir de Sidarkanne, se levèrent d’un bond. Tous ! Aussi bien hommes que femmes, biocyborgs que bionats. Plus que les visages souvent figés ou peut-être craintifs, les attitudes raides de la plupart et le silence sépulcral qui régnait dans le lieu, ce fut cette réaction unanime à son apparition qui lui fit comprendre combien elle était devenue importante pour sa planète et le chemin parcouru par elle depuis que, simple lieutenant-commando, elle parcourait les ruines de Drefel 2 à la recherche de Carsusiens impitoyables. Ses conseillers – habillés en civils, elle l’avait exigé – lui emboitèrent le pas et s’éparpillèrent aux places préalablement décidées lors de la répétition numérique tandis que les hommes de la Sécurité militaire qui ne la quittaient jamais du regard prenaient aussi leurs positions. Velti s’avança vers la grande table, ignorant délibérément les subalternes et autres droïdes dont elle percevait la présence en périphérie de sa vision mais, contrairement à qu’avaient certainement anticipé ses principaux interlocuteurs, elle ne s’installa pas en bout de table, à la place souvent réservée aux éléments dominants d’une réunion : on n’est pas à une session extraordinaire de la Compagnie Stellaire avait-elle affirmé à Rogue. Le Stenek était entré dans la salle au milieu des conseillers qui suivaient la jeune femme et, à l’évidence, sa présence n’était pas passée inaperçue des militaires confédérés. Velti avança lentement vers l’emplacement qu’elle avait préalablement choisi, une console entourée de droïdes, un planorbe en réalité. Elle secoua ses longs cheveux noirs qu’elle rabattit en arrière puis fit mine de découvrir la petite assemblée qui, à présent lui faisait face, et était restée debout figée dans ce qui n’était pas un garde-à-vous mais y ressemblait pourtant.

           - Mais asseyez-vous, voyons. Il s’agit avant tout d’une simple prise de contact !

    Sa voix était claire, ferme et décidée. Nulle trace d’anxiété ou d’hésitation dans ce qui paraissait comme une épreuve qu’elle avait réussi à dominer. Elle adressa un sourire à Rogue dont elle distinguait l’uniforme noir au sein des vêtements colorés de ses conseillers puis reporta son regard vers ceux qui importaient, les locataires de la grande table en bois de Sidarkanne, ceux qu’il fallait définitivement convaincre car ils détenaient les clés de l’apaisement indispensable et donc l’épargne de nombreuses vies. Sa mince silhouette se détachait à présent sur fond de projection holographique. Sans quitter des yeux la table des militaires, elle reprit :

             - Je ne vais pas, rassurez-vous, vous infliger je ne sais quelles statistiques mais, grâce à l'hologramme derrière moi, je souhaite vous rappeler brièvement – oh très brièvement – le sort des armes, concernant notamment notre sujet commun de préoccupation, Alba-Malto. Je sais que vous connaissez déjà tout ce qui est en train d'être affiché. Rien de neuf donc. C’est dans un temps ultérieur que je demanderai à chacun de me préciser sa position et celle de ses proches collaborateurs sur l’avenir à court et moyen terme de son engagement pour le bien commun, positions que je ne manquerai pas de faire connaître à qui de droit. Je ne suis en effet qu’un élément intermédiaire dont le rôle est d’entendre chacun d’entre vous et de lui apporter, si je le peux, assurances et compléments d’information. Je suis bien entendu à votre entière disposition pour vous rencontrer à tout moment. Ses yeux bleus et brillants parcoururent rapidement la table où les militaires étaient figés comme dans l’image arrêtée d’une talide historique. Elle secoua la tête puis reprit : dans l’attente, chers collègues, je vous propose de vous rendre à une collation prévue dans le grand hall de l’Hôtel. À vous revoir prochainement.

    Velti avait déjà disparu par un escalier dérobé en retrait de la planorbe et son exfiltration par le personnel qualifié largement entamée. En accord avec les représentants du Troisième Assistanat à Caraime, il n’était pas question qu’elle côtoie de trop près des militaires dont certains, peut-être plus nombreux qu’envisagé, voyaient en elle si ce n’est un ennemi direct, au moins un soldat félon. Trop de risques que Rogue et elle-même ne souhaitaient pas qu’elle affronte. Pas encore en tout cas.

     

    (à suivre)

     

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    [1] Ganor : responsable d’une escouade d’une dizaine de droïdes (nota : le terme est le même dans l’Empire et la CPI)

    [2] Bilo : jeu favori des citoyens droïdes à base de cartes et de dés

    [3] Sartor : lieutenant de marine (Empire)

    [4] D’autres grajanes à promener = d’autres chats à fouetter (en fried, l’expression est plus pacifique… NdT)

    [5] Radek : collabo


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