• livre deux : chapitre neuf

     

    Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

    Sujet :                                                     période archaïque

    Section :                                                 histoire générale

    Références extrait(s) :               tome 9, pp.1149-1212-1294-96, tome 30, p. 27

    Sources générales :                          tomes 9,28 à 31, 75

    Annexe(s) :                                          histoire théorique et des civilisations (11)

     

     

    …/…  qui recouvre en fait tous les âges ayant précédé la Révolution de Cristal dont la fin représente par définition l’an premier des temps actuels. Cette période ancienne s’étend sur près de soixante siècles si on la fait débuter à la première civilisation antique qui nous est relativement bien connue, la civilisation dite « du Nil », également appelée « Egyptienne Ancienne » : on trouvera tous approfondissements dans l’annexe au Codex spécialisée. Contentons nous d’affirmer que l’intérêt d’étudier ces diverses organisations socio-économiques, outre le fait qu’il s’agit indéniablement ici d’un héritage collectif qu’il serait déraisonnable d’ignorer, présente pour le spécialiste le grand avantage d’exposer une histoire de l’Humanité réduite à son seul domaine terrestre, une mise en perspective intéressante de nos jours où l’immensité de la Galaxie et l’éloignement des situations (en dépit du progrès constant des « communications instantanées ») rendent plus délicate la possibilité de gérer des vues d’ensemble et le souci d’appréhender des phénomènes immenses, qui sont par ailleurs de nature fortement volatile…/…

     

    …/… très bien connus en dépit de tous les aléas. La somme de renseignements et de témoignages que nous possédons sur la période archaïque est considérable. Il est, de plus, important de se souvenir que nombreux parmi les historiens sont ceux qui se sont intéressés à cette époque. En effet, dès le début des troubles inauguraux de la Révolution de Cristal, certains représentants des autorités encore en place à l’époque ont jugé bon de mettre à l’abri un grand nombre de documents et de…/…

     

    …/… pour des raisons d’abord commerciales. Rappelons que c’est essentiellement afin de promouvoir, dès la fin du quatrième siècle, la discipline des bater-baad[1] , dont le succès (du moins auprès des amateurs fortunés) ne s’est jamais démenti, que des myriades d’historiens en tous genres, notamment les spécialistes de civilisations comparées, se sont penchés sur l’étude et l’interprétation de ces temps révolus. En Prospective Générale même, il n’est pas rare…/…

     

    …/… car, contrairement à une idée communément admise, la Révolution de Cristal n’a pas été initiée brutalement à partir du néant. Au contraire, durant de nombreuses années, la civilisation dominante alors en place (souvent dénommée civilisation de l’Ouest par les spécialistes) a vu ses conditions d’existence se dégrader lentement. Là-aussi, l’idée qui persiste malgré tout dans l’esprit de l’homme du Xème siècle r.c est qu’une catastrophe naturelle ou une guerre a prématurément mis fin à cette domination : il n’en est rien. On sait depuis toujours que c’est de l’intérieur – par la présence de plus en plus prégnante d’éléments perturbateurs antisociaux – que cette société à été progressivement détruite. C’est au quanticien Frad Led Gouzelli, disciple d’Algenor Aldrix et lui-même brillant représentant de l’école de prospective de Mez-Antelor mais également historien, que nous devons la démonstration de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la décadence de la civilisation de l’Ouest : « Il n’est que de comprendre que, comme souvent, cette civilisation qui fut brillante, tant du point de vue scientifique, technique que éthique, se lézarda progressivement, menacée qu’elle était par les éléments centrifuges et hostiles qui vivaient en son sein et dont elle était sensée protéger les intérêts : cette organisation humaine portait en elle les germes délétères de sa propre destruction. C’est en définitive un cas de décadence tout à fait classique…/… alors que la régression était manifeste dans certains domaines, comme celui, par exemple, des libertés publiques, l’Ouest  continuait à accumuler les succès technologiques ou de théorique fondamentale : décadence évidemment…./… mais sans elle – et les destructions massives qui marquèrent sa fin  – notre civilisation galactique n’aurait jamais pu se développer telle qu’en elle-même, ne serait-ce que d’un point de vue strictement historique. Il est donc inutile de regretter le cours de l’Histoire, d’abord parce que cela ne sert à rien, mais aussi parce que de la Mort naît la Vie, une vérité première qui plaira à tous les amateurs d’histoire contemporaine et de talides sentimentales… qui sont parfois les mêmes ! »…/…

     

     

     

     

    9

     

     

     

              - Ecoute, bahrein [2] , t’as pas l’air de comprendre la situation. Moi, je m’en cogne, de tes états d’âme. Je suis pas mandaté pour te tenir la main. Moi, j’suis là pour m’assurer que tu remplis ta part de contrat, c’est tout. Parce que t’as un contrat, tu t’en souviens de ça au moins ? Hein, dis-moi ? J’rêve pas : c’est bien toi qui la voulait, c’te mission ? Alors, réponds donc, bahrein, dis-le moi quand tu vas te décider à le faire !

         Drago, à l’agonie, battit des paupières à plusieurs reprises avant de baisser les yeux. Que pouvait-il répondre ? Évidemment que l’albinos commençait à s’impatienter ! Cela faisait à présent presque trois semaines que l’homme avait contacté le quanticien afin de lui rappeler ce sur quoi il s’était engagé : débaucher Bristica au profit de l’Universalité, ou plutôt, pour être tout à fait exact, la Compagnie du Fret Stellaire. Mais, à la suite de la révélation de Drago, les officiers des Services de Sécurité de l’Armée en charge de son cas avaient été formels : il fallait attendre que le réseau universaliste introduit au sein même de l’État-major soit démantelé. L’opportunité ne devant probablement pas se représenter, on devait être patient et raisonnable. On devait attendre. Faire durer. Difficile pour un homme comme Drago, simple civil égaré dans un monde de soldats ! A peine un civil, d’ailleurs, si l’on songeait qu’il n’était en réalité qu’un scientifique, un chercheur. Un être maladroit dès lors qu’il abandonnait l’univers quasi-utérin de ses ordis critériaux et de ses masques de congruence, tous éléments qui ne pouvaient signifier quelque chose qu’à un quanticien comme lui. Attendre. Faire patienter. C’était de plus en plus dur, évidemment.

              - Écoute, bahrein, j’ai pas toute la vie moi. Et les amis encore moins. Alors, faut que tu te décides. Quoi, tu la vois à longueur de temps cette salope, cette zarkanne violette ! Par le grand Zald, tu vas pas me dire que t’arrives pas à savoir ce qu’elle pense, cette conne de Farbérienne ! Hein ? Alors ? Tu te décides ? Hein ? Oui ? Oh, et puis après tout  j’en ai rien à foutre de tout ça : c’est ton boulot, bahrein. T’es payé pour ça ! Un conseil quand même : fais pas trop durer le plaisir. Les amis s’impatientent et avec eux… J’te rappelle en effet que j’suis pas tout seul ici. Y a d’autres mecs bien moins sympas qui demandent qu’à faire accélérer les choses. Alors, c’est toi qui vois. En tout cas, un mot de notre petite conversation à qui que ce soit et t’es mort. Une seule flicaille militaire qui s’intéresse de trop près à moi, t’es mort. Un seul truc qui va de travers, t’es mort. Si t’arrives pas à décider la zarkanne violette de mes deux ou si tu me ramènes pas son ordi perso, son programme de travail ou j’sais pas moi, queq chose d’intéressant – c’est toi le spécialiste, c’est toi qui décides – bref si j’ai qu’des nèfles, t’es mort. Pigé ? Alors, salut. C’est moi qui t’fais signe… J’espère qu’la prochaine fois, t’auras de bonnes nouvelles.

         Sur un dernier regard qui se voulait persuasif, Delo Honger - l’albinos - quitta la sarmiv du 73ème niveau où il avait fixé rendez-vous à son agent exécutant. Si l’on exceptait le jour d’arrivée du quanticien dans le vaisseau impérial, c’était la quatrième fois que les deux hommes se rencontraient. Jamais deux fois au même endroit ni à la même heure. Même les procédures de prises de rendez-vous étaient différentes. C’était cette variété de comportements qui faisait dire au contre-espionnage qu’on avait affaire à des professionnels disposant de très importantes complicités internes, ici même, au sein du vaisseau-amiral de la flotte impériale. Hallucinant et inquiétant. D’où la nécessité certaine de ne pas brusquer les choses… Drago sortit à son tour de la sarmiv et se dirigea vers les PAMA qui le conduiraient à la salle de restauration perso du laboratoire de Prospective. Bristica l’attendait et il ne voulait plus savoir que ça. Que la jeune femme ne l’ait pas renvoyé après son aveu tardif, qu’elle n’ait pas décidé de ne plus le voir, lui qui lui avait tant menti, le comblait. Son amour pour elle n’en était que plus grand, plus fort, plus absolu. Il avait assurément peur du petit jeu qu’on lui faisait jouer, de cette sorte de chasse du tournier et de la strappe. Mais, chaque fois que l’épouvante de sa situation l’envahissait, il se rappelait : c’était pour elle qu’il acceptait tout ça. Pour elle seule, pour la sauver, parce qu’il le lui devait bien ! Cette pensée le consolait et, d’une certaine manière, de lui offrir sa fidélité au risque de sa vie rendait Drago presque heureux.

         À quelques étages de là, Delo Honger, colonel d’éclairage militaire, pénétrait dans le bureau réservé aux éléments détachés de la 1ère armée. L’homme avait abandonné sa gouaille et son air menaçant. Très calme, il avait redressé sa grande silhouette et si Drago avait pu le surprendre ainsi, il aurait eu de la peine à reconnaître en ce soldat distingué les traits haïs de son tortionnaire. Honger se savait surveillé par les services de sécurité locaux mais il s’en moquait complètement. Lorsque la mission qui motivait sa venue sur le vaisseau-amiral serait menée à bien, il regagnerait ses quartiers de la 1ère armée avant de plonger dans une semi-clandestinité discrète où on aurait bien du mal à le retrouver. Pour l’heure, il lui incombait de prévenir ses supérieurs de la stagnation de la mission. La prochaine fois, peut-être, aurait-il enfin du neuf ? Il haussa les épaules. Avant de retrouver la couleur naturellement brune de ses cheveux et de ses téguments grâce au vapo de Treitz [3] qui ne le quittait jamais, il entreprit de délivrer son message – court et codé – à l’ordiquant perso de l’agent intermédiaire que ce dernier avait volontairement abandonné dans sa filaire de rangement. Par un circuit complexe et fortement diversifié qui excluait toute fuite, le message arriverait rapidement au seul destinataire auquel le faux albinos rendait des comptes : le commodore Graven, responsable en second de la 1ère armée impériale et, à ce titre, souvent en rapport direct avec le Généralissime des Armées dont on prétendait même qu’il bénéficiait auprès de lui d’une écoute bienveillante.

     

     

     

         L'avenue s'étendait, immense et déserte, jusqu'aux grands bâtiments de son extrémité sud qui scintillaient au soleil. C'était quelque part derrière eux que se trouvait la base. Le Salut. Mais tellement difficile à atteindre. L'avenue semblait tranquille malgré les carcasses de véhicules incendiés, les réverbères et feux de signalisation arrachés, les pans de murs écroulés sur la chaussée, tous les multiples débris traduisant l'intensité des combats des jours passés. Mais Prist savait que ce n'était qu'une apparence trompeuse. Ce petit monde de l'horreur qui s'étalait complaisamment sous ses yeux grouillait de vie. D'une vie impitoyable. Il avait repéré le sniper, presque par hasard, lorsque, passant de maison en maison par l'arrière, celui-ci s'était, une fraction de seconde, découvert en regagnant son poste de guet. Trahi par son uniforme noir, si commode la nuit mais si dangereux sous le soleil. Un sniper impérial, évidemment. Prist s'était renfoncé derrière le pan de mur pour réfléchir. Il devait le contourner, ce sniper. Et vite. Pendant qu'il faisait jour. La nuit, avec leurs lunettes infrarouges couplées à des radiants hautement performants, ces tueurs étaient encore plus dangereux. Mais cela l'obligeait à faire à nouveau un détour. Un de plus. D'où son hésitation. C'est en reculant vers l'arrière de l'immeuble qu'il la découvrit. Tout d'abord, il avait simplement eu l'impression d'une présence proche quelque part dans l'obscurité. Une impression complètement irrationnelle, inexplicable. Mais c'était à des sensations de ce type qu'il devait d'être encore en vie et il les prenait toujours très au sérieux. Il avait levé son incandescent, allumé sa torche-laser et avancé lentement. Le mince rayon de lumière bleutée avait balayé les murs du couloir, relevant au passage des affiches 3D, des noms, des chiffres, vestiges oubliés du temps où la ville était encore vivante. Elle était accroupie sous les restes de l'escalier aux trois-quarts effondré, devant le bouclier magnétique encore activé d’un local de maintenance ou d’une cave. Un obstacle infranchissable pour elle, un cul-de-sac. Quand elle se vit découverte, elle ne cria pas mais porta son poing à sa bouche en un signe de désespoir absolu. Il distingua sa jambe droite qui avait tressauté comme si elle avait voulu s'enfuir mais son mouvement s'était suspendu devant l'absurdité du geste. Prist était aussi surpris qu'elle. Rencontrer un civil dans cette dévastation, ce n'était pas banal. Il remarqua les yeux agrandis par la terreur. Elle ne devait apercevoir de lui que cette lumière sourde, comprit-il, et il baissa sa torche, s'accroupissant lentement près d'elle. Elle s'écrasa un peu plus contre le mur, comme pour mettre entre eux quelques centimètres supplémentaires. Malgré lui, il sourit.

              - Chut. N'ayez pas peur. Je ne vous ferai aucun mal. Vous êtes confédérée, n'est-ce pas ?

         La question était stupide, il s'en rendit compte immédiatement : comment aurait-il pu y avoir des civils de l’Empire dans cette ville ?

              - Bien. Vous allez venir avec moi, poursuivit-il. On va essayer de rejoindre nos lignes, d'accord ?

         Incapable de prononcer la moindre parole, elle hocha la tête. Elle avait toujours son poing contre sa bouche et, gentiment, Prist lui prit la main pour l'aider à se relever. Elle tremblait de tous ses membres et, plus que la chaleur de sa peau, si inhabituelle pour lui, si particulière à cet instant précis, ce fut cette peur extrême qui émut Prist. Il chercha à la mettre à l'aise.

              - Je suis un Blouda, chuchota-t-il. Vous savez peut-être, ce sont les gens des forces spéciales qui récupèrent les soldats égarés  derrière les lignes ennemies. Et qui servent aussi d'observateurs, bien sûr. Je... J'ai aussi la mission de prendre en charge les civils. Enfin, quand j'en trouve, ce qui est plutôt rare par ici. Bon, voilà ce qu'on... Et d'abord, vous vous appelez comment ? Moi, c'est Prist. P.R.I.S.T. et vous, votre nom, c'est quoi ?

                 - Régaël. Mais on dit Reg, murmura-t-elle en baissant la tête.

         Sa peur paraissait s'être estompée un peu et elle se laissa reprendre la main pour être guidée dans l'obscurité. Pour Prist, cette présence inattendue compliquait les choses. Cela se révélerait à présent d'autant plus périlleux de franchir ce no man's land fourmillant d'Impériaux mais il n'y avait pas d'alternative. Les Impériaux voyaient des espions partout en territoire ennemi et tiraient sur tout ce qui bougeait avant même d'identifier leurs cibles avec certitude. Impossible d'abandonner la jeune femme à une mort certaine. Tant pis pour lui. D'ailleurs, comme il venait de lui dire, c'était aussi une des tâches des Bloudas que d'exfiltrer les civils piégés dans les combats de rue.

              - Alors voilà, reprit-il. On va contourner le quartier par l'ouest. Vous devrez marcher juste derrière moi, sans faire aucun bruit. On n'a pas énormément de kilomètres à faire pour arriver à nos lignes mais je puis vous certifier que ce ne sera pas facile. Vous faites exactement comme moi et surtout vous ne parlez pas. Si vous voulez me dire quelque chose, vous me touchez le coude droit - ici – et je m'arrêterai. Allez, courage, on y va. Tout de suite. On parlera plus tard. D'accord ?

         Elle acquiesça d'un petit hochement de tête et se mit aussitôt à le suivre mais Prist pouvait deviner que sa peur était revenue.

        Si Prist avait eu un temps le projet de rejoindre la base avant la nuit, il avait dû déchanter. Leur progression était rendue extrêmement lente par les nombreuses patrouilles impériales qu'ils trouvaient sur leur chemin. Chaque fois, il jugeait plus sûr d'éviter les endroits où ils avaient repéré et vu disparaître des soldats ennemis. Plus sûr mais tellement plus long. Seul, il aurait peut-être raccourci sa marche mais avec la jeune femme il ne voulait rien tenter. Celle-ci le suivait docilement, sans se plaindre. De temps à autre, il se retournait vers elle. Elle le regardait alors en lui souriant misérablement. Apparemment, elle s'en remettait entièrement à lui et, d'une certaine manière, cette confiance aveugle le réconfortait. Grande et mince, elle pouvait avoir une trentaine d'années. Habillée d'une combi marron qui lui montait jusqu'au cou, elle portait une curieuse casquette à longue visière d'où s'échappaient quelques mèches brunes. Prist lui trouvait du charme et, en d'autres circonstances, il croyait qu'il aurait été attiré par une femme de ce genre. Parfois, alors qu'elle franchissait un des obstacles qu'il venait de dépasser, il l'observait à la dérobée. Même dans cet univers de mort, elle conservait une souplesse, une légèreté des mouvements, une grâce en somme, qui plaisaient à Prist. Mais les yeux gris de la femme allaient vers lui comme pour lui demander si elle se comportait bien, si elle ne le gênait pas trop, et il détournait son regard.

         Ils laissèrent les grands bâtiments de verre sur leur gauche. De près, les immeubles, autrefois gloire de la ville, accusaient les coups des combats. Leurs façades étaient, par endroits, éventrées et de longues traînées noircies couraient entre les fenêtres aveugles. Quelques vitres encore intactes réfléchissaient les teintes pourpres du soleil couchant et leur rappelaient que la nuit approchait.

              - Je pense que la petite maison devant nous fera l'affaire, chuchota Prist.

         Il s'était arrêté à l'angle d'un mur bas et la jeune femme était venue se blottir contre lui. Si elle accusait la fatigue, elle ne le montrait pas. Ils investirent l’habitation par l'arrière, s'arrêtant dans les ruines d'une aire de restauration (ou plutôt d’une cuisine selon le terme confédéré), un endroit à la fois protégé et ouvert qui offrait l'inestimable avantage de présenter deux entrées - et donc deux possibilités de fuite - distinctes. La femme se laissa tomber en soupirant contre les restes d'un meuble renversé à l'origine indéterminée.

              - Par le Grand Zald, je n'en pouvais plus, murmura-t-elle en étirant ses bras vers le haut, prenant bien garde à ne pas être visible de l'extérieur.

         Prist, qui venait d'effectuer une inspection rapide de la maison, vint s'asseoir près d'elle. Après avoir posé ses armes à portée immédiate de main, il ouvrit sa veste. Il faisait chaud et il était encore couvert de sueur à la suite de leur marche forcée. Se tournant vers elle, il décida de remettre à plus tard ce qu'il voulait lui demander. La jeune femme avait posé sa tête sur la paroi du meuble, et les yeux fermés, elle cherchait à reprendre des forces. A présent, elle semblait éprouvée par leur dernière progression. Il remarqua la perle de sueur qui coulait le long de sa tempe et l'humidité de ses cheveux. Le silence était total, seulement entrecoupé par le bruissement des feuillages du grand arbre qui se dressait dans le jardinet qu'ils venaient de traverser, un des rares arbres encore intacts au sein de ce grand cimetière. Il agitait ses feuilles, majestueux et indifférent, loin de la guerre, loin de la mort. Ce fut elle qui rompit le silence.

            - Prist, vous devez vous demander ce que je pouvais bien fabriquer là-bas, tout à l'heure ?

              - Je dois dire que vous devez être le dernier civil dans toute cette zone...

              - Eh bien, c'est à cause de... mon frère. Enfin, c'est-à-dire... Quand nos troupes se sont repliées de cette partie de la ville, il y a quatre jours, mon frère... a perdu son fils... je veux dire, l'enfant - il a onze ans - s'est perdu. Ils étaient en groupe, avec les soldats et, à un moment... il n'était plus là. C'est aussi bête que ça.

         Sa voix, par moments, se cassait. Elle ne pleurait pas mais une larme coulait, solitaire, sur sa joue. Elle fixait le mur qui lui faisait face. Ses yeux, comme hallucinés, paraissaient revivre ces instants pénibles. Prist soupira. Des histoires comme ça, il en avait entendu si souvent.

              - Alors, reprit-elle, mon frère et moi, on a juré de le retrouver. Nous sommes retournés à l'endroit... Là, on s'est séparés. Mais où chercher ? Hein ? Où ? Peut-être est-il seulement à quelques mètres de nous, caché dans un sous-sol... Mais, moi, je ne l'ai pas trouvé. Et puis, il y avait les Impériaux... J'ai été repoussée de plus en plus loin. C'est moi qui me suis perdue à la fin. Quand vous êtes arrivé, j'étais sur le point de me rendre. Qui sait ? J'aurais peut-être été conduite dans un endroit, je sais pas, moi, un camp, où j'aurais retrouvé Vassar. C'est son nom. Le nom de l'enfant. J'espère seulement qu'il a été capturé, vous comprenez ?

         Prist garda le silence. Ce n'était pas dans les habitudes des Impériaux de prendre des gants avec les civils capturés dans les zones de combats – toujours cette paranoïa - mais il n'avait pas le cœur de le dire à la jeune femme. Et puis, pourquoi pas, un enfant après tout ? Mais non, il n'arrivait pas à le croire. Il décida de changer de conversation.

              - Vous avez faim ? demanda-t-il à voix basse. Puis un plus fort : dites-moi, Reg, vous avez faim ?

         La jeune femme sursauta, arrachée à ses pensées douloureuses.

              - Il y a combien de temps que vous n'avez rien mangé ? Un jour, deux jours, c'est ça ? continua-t-il.

              - C'est ça mais vraiment je n'ai pas...

         Il la força à partager quelques unes de ses rations militaires. Il ne lui restait pas beaucoup d'eau mais il possédait un leibel [4] de décontamination pour les eaux stagnantes qu'ils ne manqueraient pas de rencontrer lors de leur périple du lendemain. Il lui tendit sa gourde.

              - Qu'est-ce que vous en pensez ? reprit la jeune femme.

              - De quoi ?

              - De nos chances de passer...

            - Assez bonnes, je crois. Nous ne sommes pas très loin. A ce propos, il faut que je vous prévienne de... des pièges de par ici.

              - Vous voulez dire les patrouilles impériales ?

              - Plus que ça. Bien plus que ça.

         Devant son regard étonné, il se tourna vers elle et la fixa droit dans les yeux.

             - Il y a d'autres... d'autres ennuis possibles. Il faut que vous les connaissiez si nous devions être séparés... ou si j'avais, disons, un problème. Mais si, vous savez bien que ça peut arriver. Alors, d'abord, il y a les volants - des drones en terme plus technique - ces machines qui peuvent nous survoler sans bruit. Qu'on n'entend pas venir et qu'on repère trop tard. C'est pour ça qu'il faut le plus possible rester à couvert. Et aussi à cause des snipers évidemment. Vous savez, ces types peuvent rester des heures sans bouger, l’œil sur leur lunette de visée, immédiatement avertis d’une présence suspecte par leur radiant. En cas de doute sur un lieu ou si un immeuble semble hasardeux, il ne faut jamais hésiter à prendre le chemin le plus long. Avec toujours l'idée de revenir dans la direction qu'on s'est fixée, bien sûr. Bon, par ailleurs, il y a les bombes à fragmentation. Ce sont de petites saloperies que les Impériaux laissent derrière eux pour piéger des gens comme nous. Eux, ils savent où ils les mettent. Pas nous. D'où une règle absolue : toucher à un minimum de choses. Et seulement quand on ne peut pas faire autrement.

             - Et ça ressemble à quoi, ces bombes à…

             - À fragmentation. A n'importe quoi : un bout de bois, une boite, une pierre... Certaines explosent au contact, d'autres au déplacement d'air quand on passe près d'elles, d'autres à la chaleur du corps. C'est petit mais quand ça saute, ça vous emporte les jambes. Ou la tête. Sans bruit.

             - C'est horrible, horrible. Comment on fait...

             - Quand on sait, on arrive à les reconnaître. Et puis, il faut aussi de la chance. Ca vous explique également pourquoi on contourne les Impériaux mais sans trop s'éloigner quand même de l'endroit où ils passent parce que... ils nous servent un peu de guides, vous voyez. Je crois qu'il n'y en a pas beaucoup, de ces bombes, par ici : ils ont trop de troupes. Puis il y a aussi les RIFU.

             - Et c'est quoi, ça encore ?

            - D’après ce que j’ai pu savoir, c’est un genre de robots - mais pas des droïdes -, des sortes de machines qui réagissent à la chaleur humaine mais pas aux petits animaux. Je ne peux pas bien vous en parler parce que je n'en ai jamais vu mais je crois savoir que ce sont de petites horreurs rampantes, très rapides et très silencieuses. Les Impériaux ont un truc sur leurs uniformes ou dans leurs ordiquants perso qui permet aux RIFU de les identifier à ce qu'on dit. Je sais même pas ce que ça veut dire RIFU mais…

              - J’ai pas envie de savoir, le coupa Regaël.

           - Ni moi… répondit le Blouda. Et puis, il y aussi les pièges d'images virtuelles. Difficile d'en sortir quand on tombe dessus mais... Allez, allez, ne vous alarmez pas trop. Tous ces trucs on sait que ça existe mais on ne les rencontre pas à chaque instant, quand même. Vous savez, des gens comme nous, il ne doit pas y en avoir beaucoup par ici : ça veut dire que l’ennemi n’est pas tant que ça sur ses gardes. Non, l'essentiel, c'est d'éviter les patrouilles, je crois. Allez, Reg, ne faites pas cette tête-là. Je ne voulais pas vous effrayer. Ayez confiance. Nous touchons au but.

         La jeune femme hocha la tête, peu convaincue. La nuit était tombée brutalement comme toujours dans cette ville à cette saison. Elle risquait d'être fraîche et Prist confia à sa compagne la mince couverture de molybdène micropressée dont il était pourvu. Dans l'obscurité, son souffle si proche était à peine perceptible. Le silence était oppressant. Parfois, on pouvait entendre dans le lointain le bruit de détonations. Essentiellement des armes légères qui rappelaient, s'il en était besoin, que les opérations étaient toujours en cours malgré la stabilisation des positions. Prist percevait la tension de la jeune femme, comme si elle cherchait à évaluer les distances. Il pensa à la journée qui les attendait. Qui serait dure. Peut-être davantage que celle qui venait de s'achever. Plus ils se rapprocheraient des lignes confédérées, plus les Impériaux seraient vigilants. Les passer serait difficile mais réalisable. Et puis, malgré tout, la femme est courageuse, pensa-t-il. Elle fait ce qu'on lui dit. Elle ne me créera pas d'ennuis. Ce qu'il nous faut, en réalité et avant tout, c'est avoir un peu de chance.

              - Prist ?

         Dans la nuit, sa voix était moins qu'un murmure.

              - Oui, Reg ?

           - Vous voulez bien venir contre moi ? Vous voulez bien me prendre dans vos bras ? chuchota-t-elle.

              - Mais...

              - C'est que j'ai vraiment peur, vous savez. J'ai trop peur... J'ai besoin de savoir que je ne suis pas toute seule, que vous êtes là, vous comprenez ?

         Il attira la jeune femme contre lui. Sa chaleur était certainement la bienvenue. Il pouvait sentir l'odeur de ses cheveux, douce et apaisante malgré la poussière. Déjà, elle s'était endormie. En dépit de l'environnement hostile et de sa fatigue, pour la première fois depuis longtemps, Prist se sentait bien.

     

     

     

         Rogue s’était penché sur le cadavre du biocyborg et l’examinait attentivement. Il se méfiait considérablement d’un piège éventuel : sur bien des théâtres d’opération, il avait pu constater les conséquences du manque de prudence de certains de ses collègues, trop impatients ou moins expérimentés. Il n’était pas si exceptionnel que des cadavres en apparence abandonnés lors d’une retraite soi-disant précipitée se révèlent piégés : grenade à mouvements, mini bombe à dispersion différée, voire piège à poison biologique ou bactérien d’action retardée ; en pareil cas la sanction était maximale et le premier entraînement que devait subir tout militaire de terrain était de se familiariser avec ces simples techniques de sauvegarde trop souvent dédaignées. Après s’être assuré que son APG – un outil hybride associant radiant pour la détection des ondes biologiques et quantar pour les ondes sonores, l’ensemble étant assez volumineux – ne lui renvoyait aucun signal suspect, il enfila ses gants de sterlane et entreprit de fouiller le biocyborg. Comme il s’y attendait, l’ordi perso du cadavre s’était déjà autodétruit. Il était sur le point de retourner le corps lorsqu’il entendit Velti s’exclamer : 

              - Par Bergaël, c’est l’unité 107 ! Qu’est-ce qu’ils peuvent bien foutre ici ? ».

         La jeune femme s’accroupit à ses côtés sans qu’il l’ait entendu venir.

                - Qu’est-ce que c’est que ça, l’unité 107 ? demanda-t-il.

             - C’est bizarre, on ne les voit jamais, poursuivit Velti sans répondre directement. Et encore moins morts… Je me demande…

                - Et vous êtes sûre que…

               - Absolument. Tenez, vous voyez, derrière le lobe de l’oreille, là, ce triangle bleu… Si il n’avait pas eu la tête à moitié explosée et du coup l’oreille décollée, jamais je n’aurais pensé à regarder…

         La Confédérée se plongea dans ses réflexions. Rogue ne chercha surtout pas à l’interrompre, il commençait trop à la connaître, et se contenta de l’observer en silence. Ses yeux d’azur profond fixés sur une réalité intérieure qui semblait lui échapper, la jeune femme, tout à coup immobile, se mordillait inconsciemment la lèvre inférieure. Les traits durs, elle se tourna enfin vers lui et, plutôt que de sourire fugitivement pour s’excuser de son mutisme, elle préféra répondre à la question préalablement posée.

              - L’unité 107, pour ce que j’en sais, est un groupe de militaires très particulier chez nous, je veux dire dans la Confédération ; ce sont des spécialistes du renseignement. Les forces spéciales des forces spéciales si vous voulez. Vous avez sans doute aussi ça chez vous… On dit que cette unité n’est constituée que de biocyborgs et qu’elle ne rend compte qu’au Triumvirat [5] et à lui seul. Alors, la question se pose : que fait ce type sur Drefel ?

         Sans attendre une réponse qu’il ne pouvait de toute façon pas lui donner, Velti se releva et le laissa seul devant le cadavre. Ce biocyborg n’augure rien de bon, pensa le stenek, mais sa présence inattendue lui aura au moins permis de m’adresser la parole ! La première fois, en réalité, depuis qu’il avait retrouvé la jeune femme dans son QG du spatiodrome Gled, deux jours auparavant. Depuis, en effet, outre un visage fermé, elle s’était à son égard contentée de quelques phrases de service et avait fui sa présence autant que faire se peut. Rogue ne s’en était pas formalisé : après tout, il pouvait la comprendre puisque, non seulement ses amis d’hier étaient devenus l’ennemi d’aujourd’hui, mais on lui imposait celui qui avait été sur le point de l’éliminer quelques semaines plus tôt. Un retournement de situation qui demandait à n’en pas douter quelques moments d’adaptation ! De plus, elle devait être assez affectée par ce qu’elle ne pouvait considérer – bien qu’elle s’en défende – que comme un mauvais choix de sa hiérarchie : le ralliement à l’Empire, un adversaire de toujours, dont on pouvait penser, au vu de l’évolution de la situation générale, que les premiers choix stratégiques et la qualité de ses armes étaient douteux. Du coin de l’œil, il sentit plutôt qu’il ne vit le mouvement sur sa gauche. Il tourna rapidement la tête mais, près du long mur d’acier qui longeait la voie déserte de l’aérotrain [6], tout paraissait tranquille. A quelques dizaines de mètres en avant de lui, Velti étudiait son ordiquant de groupe avec deux de ses soldats.

         Rogue se leva d’un bond et courut vers eux sans un mot. Cinq secondes, puis trois, puis une. Il se jeta sur la jeune femme qui poussa un cri en roulant avec lui dans la poussière. Les deux soldats n’eurent pas le temps de comprendre. Deux éclairs orange les avaient frappés à la tête et ils s’affaissèrent en silence. Le stenek, allongé sur le dos à quelques mètres d’eux avait réussi à se saisir de son éclateur et tirait au jugé dans la direction approximative d’où avaient surgi les rayons orangés. Durant quelques instants, on n’entendit que l'explosion de l’acier du mur d’enceinte de la sous station de l’aérotrain dont il arrosait le faîte. Après avoir déchargé son arme, Rogue attendit. La Confédérée, son propre éclateur à la main, le regardait interrogativement. Elle était également allongée dans la poussière, mais à plat-ventre, et cherchait à identifier les agresseurs. D’une plaie de son cuir chevelu, quelques gouttes de sang tombaient sur sa combinaison grise, salie et déchirée.

              - On se décale, lui murmura Rogue.

         Comme elle faisait mine de se diriger vers leur base de départ, il l’arrêta du bras et, sans la regarder, chuchota :

              - Certainement pas. Si on nous attend, ce sera là. Par ici, plutôt.

         Il désignait l’autre extrémité du mur. Elle acquiesça de la tête et ils se levèrent dans un même mouvement. Sans qu’ils se soient concertés, Velti avait choisi d’avancer contre le mur, surveillant les arrières du Stenek qui lui, quelques mètres plus à découvert, en observait le haut. Ils parcoururent environ trois cents mètres avant d’atteindre la fin du mur. Au delà, seul le rail central de l’aérotrain continuait vers les montagnes toutes proches. Avec précaution, ils s’assirent, côte à côte, dos contre l’extrémité de métal, pour faire le point.

              - Je dois vous dire merci, commença Velti, j’avoue que je n’ai rien vu venir. Bien entendu, c’étaient des drones-tueurs, n’est-ce pas ?

             - Oui, des drones-tueurs mais je ne m’en suis rendu compte qu’au dernier moment. Et encore je n’étais pas sûr…

               - Et vous pensez que vous les avez…

              - Honnêtement, ça m’étonnerait qu’en tirant au jugé, dans des conditions qui… Non, je ne pense pas les avoir détruits. Pour moi, on les aura rappelés, oui, certainement rappelés… sinon on l’aurait su très vite… Mais qui ? Ou plutôt pourquoi ? Que pouvaient bien vouloir les programmateurs de ces saloperies ? Que cherchaient-ils ? Ce n’est pas réellement une zone de combat par ici. Autre question : pourquoi nous ? Et d’abord, était-ce bien nous qui étions visés ? Où était-ce au hasard une équipe de repérage quelconque, comme ça, pour faire un exemple, pour montrer qu’il fallait compter avec eux… Comment savoir ? Impossible ! Impossible de savoir avec certitude !

         Velti avait repris sa respiration. Elle était occupée à remettre en ordre son équipement, à vérifier son ordiquant perso, à brosser sa combi mais, bien qu’elle ne prononça aucune parole, elle suivait avec attention le raisonnement de  son compagnon. 

             - Vous, cette blessure ? Ça va ? changea tout à coup Rogue. Venez, je vais vous désinfecter ça et vous mettre du cliastic…[7].

               - Qu’est-ce qu’on décide ? demanda doucement la jeune femme tandis que l’Impérial lui massait le haut de la tempe gauche.

             - Votre plaie n’est pas profonde et vous pourrez vous passer encore quelques temps des services d’un ordimédic, déclara Rogue en souriant. Mais ne remuez pas trop quand même.

           - Alors, en définitive, qu’est-ce qu’on fait ? redemanda la Confédérée, sérieuse mais nettement moins hostile. Moi, j’ai envie de continuer. Et vous, Rogue, vous croyez que ça vaut le coup d’aller voir d’un peu plus près ce qui se passe ici ?

            - Je pense que oui, répondit le Stenek. Ecoutez, je n’oublie certainement pas que c’est vous qui êtes en charge de l’opération mais, puisque vous avez… la gentillesse de me le demander, je vais vous dire comment je vois les choses et vous me direz si vous êtes d’accord avec moi…  Voilà. Nous sommes certes en terrain hostile mais pour une simple mission d’information, et à ce titre nous ne pouvons pas compter sur beaucoup de renforts. Néanmoins, à mon sens, cette mission somme toute assez banale au début a pris une autre dimension et…

                 - Vous pensez à la perte de… nos hommes ?

              - Oui mais pas seulement. D’abord, il y a la manière : des drones-tueurs, je n’ai pas besoin de vous le préciser, c’est plutôt rare en opération ouverte… Mais aussi – et peut-être surtout – à cause de la présence de ce biocyborg dont vous me dîtes qu’il ressort d’une unité qui n’intervient qu’exceptionnellement et toujours lorsqu’il s’agit de quelque chose d’important. Alors…

               - Alors que faisait-il ici ? poursuivit la confédérée. C’est la vraie question, je suis bien d’accord avec vous. Je n’arrête pas de me la poser. Ce type n’était certainement pas seul mais, dans ce cas, où sont passés les autres ? Et pourquoi s’est-il fait avoir comme ça… Bêtement ! Par un simple droïde-surveillant ! Un hyper spécialiste de ce genre ! Oui, vous avez raison, il y a quelque chose de louche par ici, quelque chose qu’on doit éclaircir. Au moins pour être sûrs que… Bon, Rogue, voilà ce que je propose : je vais d’abord faire venir ici les deux commandos qui me restent et qui doivent se trouver nord-nord-ouest, certainement cote 1908, tenez, approximativement ici, expliqua Velti en montrant son écran déplié d’ordiquant. Ensuite, laissez-moi dix minutes pour faire mon rapport, demander le rapatriement des corps de mes hommes… Si les transmissions ne sont pas à nouveau brouillées, je pense pouvoir obtenir du QG une escouade de droïdes de combat. Ne comptons pas sur des humains, ce serait trop beau. Mais des droïdes, cela doit être possible. Oui, je pense que oui. Dès qu’ils seront là, avec le ravitaillement en vivres et munitions, on ira voir ce qui se passe. Là vers ces montagnes… dit-elle en les désignant de son index droit. Une exploration minimale, disons, deux jours au plus. Pour être sûrs. Si on ne trouve rien, on revient, tranquilles, et je fais un rapport définitif. Ce sera ensuite à ma hiérarchie de décider.

         Après un instant de silence, elle ajouta :

               - Je vais avoir du mal à expliquer comment j’ai encore pu perdre deux hommes de mon commando mais, bon, on verra plus tard… Qu’en pensez-vous ?

              - Que cela me convient parfaitement, répondit Rogue en hochant la tête. Je savais que, vous aussi, vous seriez… comment dire ?… intriguée par tout ça. Quant à vos hommes, je comprends votre préoccupation mais je vois hélas vraiment mal comment on aurait pu éviter… Encore bien beau que nous nous en soyons tirés. Vous ne trouvez pas ?

         La Confédérée, l’air soucieux, observait la montagne qui resplendissait d’ocre et de violine à la lumière de midi. En dehors de la voie d’aérotrain qui filait à travers elle vers le sud, le reste du paysage était désertique. Quelques rares arbustes s’accrochaient par endroits et nulle trace de vie animale n’était perceptible bien que la planète Drefel 2 ait été terraformée depuis quelques siècles déjà. Difficile d’imaginer que l’on puisse se battre pour ces quelques arpents de terre aride et desséchée. Difficile aussi d’imaginer qu’à dix mille kilomètres de là, sur l’autre continent de la planète, une ville d’importance avait – et était – encore le théâtre de combats fratricides entre Confédérés. Velti préférait ne pas y penser. Elle se tourna vers l’Impérial. Dans le fond, il n’était guère différent des militaires de chez elle qu’elle côtoyait chaque jour. Ce n’était finalement pas de sa faute si la Confédération se déchirait et si cela l’exposait, elle, à combattre les siens ! Et puis, il lui avait sauvé la vie. Un prêté pour un rendu, en quelque sorte… Comme il l’observait manipuler son ordi perso, elle releva la tête et lui sourit.

     

     

     

         Le ciel charriait quelques nuages hauts qui, de temps en temps, dissimulaient le soleil. Il faisait moins chaud. Depuis plusieurs minutes, ils étaient arrêtés à un croisement. Une petite place dont le centre était encore occupé par le socle d'une statue dont on pouvait apercevoir les restes un peu plus loin. Prist cherchait à évaluer le danger. Rebrousser chemin pour passer plus vers l'intérieur ou se risquer quand même à découvert quelques brèves secondes, en longeant les murs des bâtiments circulaires ? Il n'arrivait pas vraiment à se décider quand Régaël lui toucha le coude. Il suivit son regard. En arrière d'eux, avançant dans la rue qu'ils venaient de suivre par l'intérieur des maisons, une patrouille impériale approchait, leurs étranges casques, moitié métal blanc, moitié verre bleuté, parfaitement reconnaissables. Ils se renfoncèrent dans l'ombre de la porte cochère. D'un geste de la main, Prist désigna l'arrière du couloir et, très lentement, ils se dirigèrent vers la cour dont ils pouvaient deviner la luminosité glauque dans le fond. Prist s'approcha et jeta un regard rapide. La cour s'ouvrait sur l'arrière d'un petit jardin et, de là, encore sur d'autres maisons. Tout paraissait tranquille. Il s'y engagea le premier. Il s'apprêtait à faire signe à sa compagne quand la voix autoritaire le figea sur place. Un officier impérial lui faisait face et le menaçait de son triglon. Sans hésiter un seul instant, Prist lâcha son arme et leva les bras. L'homme s'exprimait à présent presque amicalement mais Prist devina ce que voulait le soldat et il s'aplatit contre le mur, attendant le coup de grâce. Dans une ultime pensée, il espéra que la femme pourrait se dissimuler, qu'elle pourrait leur échapper. Mais le coup ne venait pas. Du coin de l’œil, il vit l'homme se pencher sur son ordiquant perso de bras. Un sursit. L'officier, sans doute moins expéditif que ses hommes, désirait peut-être l'interroger, connaître les raisons de sa présence, savoir ce qu'il avait bien pu observer dans cette zone. Tout à coup, Prist, incrédule, vit la tête de l'homme exploser dans un geyser de sang. Avant même le bruit mat de la chute du corps, Régaël avait bondi et s'élançait vers le jardin. Il ramassa son arme et lui emboîta le pas. Mécaniquement. Encore sous le choc. Ils coururent jusqu'aux ruines à demi calcinées de la maison voisine qu'ils dépassèrent avant de se jeter contre la carcasse d'un lourd véhicule de transport échoué contre un amoncellement de pierres. Le souffle coupé, ils se glissèrent entre les chenilles de l'engin. Tremblante, la jeune femme avait fermé les yeux de peur rétrospective.

               - Un éclateur ! chuchota Prist quand les battements de son cœur se furent un peu ralentis. Pendant tout ce temps, vous aviez un éclateur !

         La femme rouvrit les yeux. Prist les vit briller dans la demi-pénombre de leur abri de fortune.

                - Un éclateur, oui. Je l'avais pris sur le cadavre d'un soldat, avant que les droïdes l’évacuent, juste un peu avant de vous rencontrer. C'est tout ce que j'avais pu trouver. Je me le destinais pour le cas où j'aurais été prise et puis... c'est si petit. J'avais presque oublié que je l'avais.

                - Aucune importance ! lui répondit Prist. Eh bien, je crois que je vous dois une fière chandelle. Sans vous...

         Le sourire de la femme dévoila ses dents blanches et elle hocha la tête sans rien ajouter.

               - On doit se tirer d'ici, continua Prist. Pour le moment, je ne vois rien bouger mais quand ils trouveront le corps de leur officier...

         Il rampa sur une dizaine de centimètres pour observer les alentours puis revint vers elle qui n'avait pas bougé. Pris d'un élan irraisonné, il lui embrassa la main en murmurant : merci. Merci pour tout ! Il avait fait réapparaître son sourire. Il la prit par la main et l'entraîna dans sa  reptation, hors de l'ombre protectrice de l'engin chenillé.

     

     

     

         C'était risqué d'être monté en haut de l'immeuble mais Prist pensait qu'il n'y avait pas pour eux d'autre solution. Depuis qu'ils avaient quitté l'engin chenillé, ils avaient progressé par petits bonds, attentifs à mettre le plus d'espace possible entre leur position et l'endroit où Régaël avait tué l'officier impérial. Ca devait à présent grouiller de soldats là-bas. Toutefois, leur mouvement les avait emmenés trop vers l'est à ce que croyait Prist, d'où la nécessité de rectifier leur trajectoire.

              - Eh bien non, finalement, nous n'avons pas tellement dévié de notre route. Au contraire, on était peut-être trop à l'ouest avant. Ca, c'est de la chance. Vous voyez qu'on peut en avoir !

         Prist parlait tout doucement mais le soulagement de sa voix était bien perceptible pour la jeune femme qui en fut nettement réconfortée. Il la saisit par le bras et lui désigna l'horizon.

              - Vous voyez la petite colline, là, à côté de l'espèce de bâtiment fortifié ? Vous la voyez ? Eh bien, c'est là que commencent nos lignes. Une des entrées de la base se trouve juste à côté. En tout cas, c'était comme ça quand j'en suis parti, il y a trois jours.

         Elle ne détachait pas ses yeux de l'endroit qu'il venait de lui indiquer, comme si, à force de le scruter, elle aurait pu y être instantanément transportée. La sécurité, le calme, enfin. Si proches et si lointains.

              - Ça peut paraître bizarre, continuait Prist, de penser que les deux armées sont si près l'une de l'autre. Mais, vous savez, Silanne, c'est un front secondaire. Qui n’a finalement pas une extrême importance. L'essentiel de la guerre se passe bien plus loin, à Astorg ou vers Mez-Antelor. Ici, depuis notre repli, les gens s'observent. Les Impériaux n'attaqueront sûrement pas nos lignes. Je veux dire par une offensive d'envergure. Ca leur coûterait trop cher.

          Il n'avait pas lâché le bras de sa compagne et, après un petit silence, il reprit :

                - Le fleuve est sur notre gauche. Vous voyez ce ruban gris ? Par Bergaël, la base est heureusement sur la même rive ! Nous suivrons le fleuve par les entrepôts - c'est une sorte de désert, je veux dire que les Impériaux ne s'y risquent pas, c'est trop près de nos lignes -  et on obliquera au dernier moment. Ca ne devrait pas être trop dur. Rassurée ?

         La jeune femme s'assit à même le sol, contre l'encadrement intérieur de la fenêtre et se frotta vigoureusement les jambes. Sans le regarder, elle demanda :

              - Et après ?

              - Après quoi ? On regagne nos positions et c'est fini.

             - Je comprends bien. Mais comment on entre dans la base sans se faire tirer dessus ?

         Prist se courba sous la fenêtre pour ne pas servir de cible trop facile et vint s'asseoir à ses côtés.

            - Très bonne remarque. On a d'abord une petite formalité à accomplir. Je vais vous montrer.

         Il plongea la main dans la poche de sa veste d'uniforme et en tira un petit rectangle d'acier noir. Régaël qui le regardait faire avec curiosité se mit à étudier la carte que Prist faisait rouler entre ses doigts. Elle releva enfin des yeux interrogatifs sur Prist qui souriait.

             - C'est une carte personnalisée de survie. Vous en avez sûrement déjà entendu parler. Elle s'éteint quand son possesseur est tué ou en est séparé trop longtemps. Mais plus que cela, c'est surtout une carte de reconnaissance. Infalsifiable et inutilisable par d'autres car elle renferme l'empreinte rétinienne de son propriétaire. Toutefois, celle-ci est spéciale. Vous voyez, là, ce petit rond noir, c'est une mémoire flottante. On peut y mettre deux empreintes rétiniennes supplémentaires. Celles de gens qu'on veut ramener avec soi. Vous, par exemple. Sans cela, vous ne pourriez jamais passer les défenses automatisées de la base. Mais ce n'est valable que durant 24 heures environ. Une précaution, vous comprenez. Alors, si vous êtes d'accord, on y va.

                    - Je... Quoi, qu'est-ce qu'on fait ?

                   - Eh bien, on installe maintenant votre empreinte rétinienne sur la carte. Comme ça vous pourrez rentrer avec moi.

         Devant l'air d'abord perplexe puis effarouché de la jeune femme, il ajouta en souriant gentiment :

                 - N'ayez pas peur, voyons. Ca dure trois secondes et ça ne vous arrachera pas les yeux, je vous en donne ma parole. Voilà, je rentre le code ici. Maintenant vous avez une minute pour donner votre identification. Vous mettez la carte devant les yeux et vous fixez sans bouger le petit point rouge que vous voyez là. Allez-y, lui dit-il en lui tendant le petit rectangle.

         Régaël porta la carte à hauteur de ses yeux et la maintint immobile. Prist l'observait amusé. On aurait dit une enfant s'attendant à chaque instant à ce que la chose lui éclate au visage ou lui saute dessus. Ses yeux étaient écarquillés par une curieuse appréhension mais cela rendait le processus encore plus facile.

             - Voilà, je pense que ça suffit. Vous pouvez me la rendre maintenant.

         Elle se débarrassa de l'objet comme s'il avait été doué de vertus maléfiques. Prist se releva.

                - Allez, on repart, jeta-t-il.

         Comme l'avait pensé Prist, ils ne rencontrèrent aucun ennemi. Ils se trouvaient à quelques mètres de leur but. La colline - un vague tumulus plutôt - se dressait devant eux. On n'entendait que le souffle léger du vent dans les broussailles et le cri des oiseaux, très hauts dans le ciel. Prenant la jeune femme par le bras, il la conduisit près d'une petite borne, en partie enfouie sous un arbuste. Sans un mot, il se pencha vers l'extrémité inférieure du petit édifice et, après avoir fureté deux ou trois secondes, y introduisit la carte. Rien ne se produisit. Il se redressa vers la jeune femme qui l'observait.

               - Voilà. On peut y aller. A partir de maintenant on a environ quinze minutes.

                 - Et c'est tout ? murmura Régaël.

                - C'est tout. Enfin, presque. À présent, il faut aller jusqu'à la petite construction que vous pouvez voir devant nous. C'est l'entrée. Ensuite il ne nous restera plus qu'à suivre les instructions. Avec ça, évidemment, conclut-il en tapotant la carte dans sa poche. Alors, vous venez ?

              - Prist. Je voudrais d'abord vous remercier pour... vous dire combien...

         Elle vint se blottir dans ses bras et il la serra contre lui. Une fois encore, il s'enivra de la senteur de ses cheveux, de sa chaleur, de sa douceur.

         La douleur atroce, insupportable, le submergea mais sa surprise était telle qu'il ne put qu'ouvrir la bouche sur un cri qui ne vint pas. Tétanisé, il sentit ses jambes fléchir sous lui. La femme retint sa chute un bref instant. Le temps de retirer son couteau-tremble. La lame d'un bleu immaculé scintilla imperceptiblement. Elle réintroduisit le couteau-tremble dans sa botte droite et contempla le cadavre à ses pieds. Elle se pencha sur lui pour en retirer la carte magnétique. Sans se presser, attentive à chacun de ses gestes, plus aucun trait de son visage ne bougeait. Ses yeux étaient fixes, sans le moindre battement de paupière. Plus besoin de simuler. Le droïde spécialisé RIFU ST 7000 se releva et se mit en marche en direction de la maisonnette. Il savait parfaitement ce qu'il devait faire. Son programme était tout à fait au point.

     

     

     

         C’était la seconde réunion d’une longue, longue série, chaque participant en était totalement convaincu. En période de guerre, ce type de conférence était la tradition, une tradition confortée au long des siècles, même si cette sorte d’initiative était peu porteuse d’espoir, en tout cas à court terme. Lors d’un conflit majeur, qu’il soit de nature politique, militaire ou plus simplement commerciale, (mais il est vrai que les trois aspects étaient souvent intimement liés), jamais on ne laissait passer l’occasion de se rencontrer régulièrement entre représentants des différents belligérants. Couper les ponts aurait été vécu comme une agression supplémentaire, voire une faute majeure traduisant l’incapacité de la partie adverse. On gardait donc symboliquement un contact, si ténu soit il. Cette habitude de sagesse remontait au début du 2ème siècle, lorsque les troupes loyalistes de l’empereur Staten-Villel avait écrasé dans le sang une partie de l’armée insurgée pour d’obscures raisons de soldes impayées. Ce n’est qu’à l’issue d’un conflit sanglant et dévastateur - qui devait laisser durablement des traces dans l’armée - qu’on se rendit compte que toute l’affaire reposait en grande partie sur un malentendu, faute précisément d’avoir su communiquer. Depuis, on se méfiait.

         Officiellement la réunion n’existait pas, et ce à double titre. D’abord parce qu’elle était du domaine du secret absolu – mais pas de l’informel – et chaque parti se récriait haut et fort devant leurs médias respectifs si l’on venait à en évoquer le principe, ce qui, au demeurant, ne trompait personne. Ensuite parce qu’elle se tenait en terrain neutre – une structure souterraine de Genesis - et que seuls quelques personnels commerciaux qu’on appelait les officiants étaient physiquement présents : le reste des participants n’étaient représentés que par leurs hologrammes. A défaut de convivialité réelle, cela présentait l’avantage d’être relativement sécurisant pour les personnes concernées et il arrivait même que s’y risquent quelques officiels de très haut niveau.

         Cette fois-ci toutefois un obstacle n’avait pu être totalement levé : les Universalistes présents ne pouvaient évidemment pas être ceux vivant au sein même de l’Empire et de ses alliés. Ils n’étaient donc représentés que par des Confédérés « centraux » et quelques mandataires « à titre personnel » des grandes sociétés marchandes comme le Fret Stellaire ou la Mercantile.

          Vliclina ne se faisait aucune illusion sur l’intérêt de ces contacts qui relevaient plus de la tradition que d’une réelle volonté d’aboutir à un quelconque compromis. Au début, elle s’était montrée très réticente à accepter ce qu’elle considérait comme une corvée dévoreuse de temps alors qu’elle avait tant à faire avec la réorganisation d’une partie des services civils de protection. Mais les militaires ne voulaient être présents qu’à titre subalterne, les diplomates n’avaient pas de pouvoirs décisionnels sur les éventuelles suites à donner et, en période de conflits, c’était bien à la Direction de la Sécurité Civile de s’impliquer, même si l’Empereur était officiellement représenté par un de ses conseillers, en l’occurrence le onzième, une petite femme âgée d’une centaine d’années, Janis Jan, au sourire mécanique et qui avait l’air de s’ennuyer copieusement.

         L’aire de rencontre était relativement large, imposante même, bien que seuls une centaine d’hologrammes y soient présents. Là aussi, il s’agissait d’une coutume qui voulait que l’espace soit ouvert à toutes représentations dûment mandatées par leurs gouvernements respectifs, sans limitation de nombre. Dans une sorte d’amphithéâtre sans gradins, on pouvait donc voir deux séries de simulacres se regroupant autour d’un matériel de stéréoviz qui ne servait jamais. Mais ces images, loin d’être confinées autour d’une table de conférence, étaient mobiles, se croisant, se saluant, conversant l’une avec l’autre, formant ici ou là de petits groupes qui se diluaient à peine formés, s’éloignant pour un quelconque conciliabule ou une prise de renseignements, revenant le sourire aux lèvres reprendre la conversation un temps interrompue. L’ensemble conférait à la petite assemblée une tonalité presque cordiale et bon enfant. Chaque camp s’adressait officiellement à l’autre par l’intermédiaire d’un « orateur » qui répercutait demandes, remarques et propositions mais l’essentiel des contacts n’était bien évidemment pas là. Ces pourparlers – si on voulait bien ainsi les nommer – n’intéressaient pas Vliclina. L’Impériale savaient qu’ils n’avaient guère de sens que symbolique et, d’ailleurs, tout était enregistré par les deux parties sous tous les angles possibles. Non, ce qui captivait l’attention de la jeune femme, c’était de pouvoir enfin approcher ces Universalistes dont elle avait tellement entendu parler et qui donnaient tant de fil à retordre à la cause qu’elle était chargée de défendre. Elle cherchait à retenir les visages, les uniformes ou les vêtements civils, les attitudes, les gestes, les regards même des uns et des autres, en somme toutes les particularités de l’ennemi : or, à y bien observer, celles-ci étaient très voisines de celles auxquelles elle était habituellement confrontée. On se trouvait en réalité au sein d’une espèce de réunion de famille entre frères rivaux que, en apparence du moins, presque rien ne sépare hormis l’incompréhension et la méfiance accumulées, pensait-elle. Mais c’était la surface des choses et elle le savait bien. Les aimables représentations qui parlaient la même langue, dont l’histoire était voisine de la sienne et avec lesquelles il arrivait parfois que l’on s’amuse d’un bon mot, ces hologrammes de gens quelconques, presque sympathiques, dissimulaient un danger mortel pour la Société qu’elle défendait et cela jamais elle ne l’oubliait.

         Comme il ne ressortirait certainement rien de tout cela, Vliclina se proposa d’assister aux deux ou trois prochaines séances hebdomadaires avant de demander à Dar-Aver d’être déchargée du fardeau. Elle déambulait tranquillement, souriant aux uns et aux autres, lorsqu’elle croisa Fwrijin, un biocyborg de sa délégation représentant la fraction légitimiste de la CFS. Le biocyborg lui sourit aimablement comme à l’accoutumée mais ce fut la fuite infime de son regard, parfaitement rendue par la simulation, qui alerta la jeune femme. Elle se retourna instantanément : un autre biocyborg les observait attentivement et détourna les yeux lorsqu’il se vit observé. Grand et mince au point d’en paraître maigre, tout de noir vêtu à la manière de certains dirigeants du Fret stellaire, il arborait une peau mate, un visage anguleux et portait de longs cheveux noirs coiffés en arrière à la mode vargassienne. Vliclina sut immédiatement qu’elle avait affaire à un responsable universaliste de haut rang. Une intuition, certes, mais si prégnante… Elle aurait bien voulu l’approcher, échanger quelques mots, le tester en réalité, mais l’hologramme s’était éloigné et elle ne put le resituer : s’était-il effacé dès après avoir été identifié par elle ? L’Impériale se dirigea rapidement vers le module de contrôle de sa délégation qui se tenait à l’extrémité droite de l’amphithéâtre. Sur l’ordiquant principal du module, elle demanda la recherche des quelques minutes venant de s’écouler, se visualisa sur l’écran, repéra Fwrijin puis le biocyborg inconnu. Elle focalisa l’identification sur l’image et enclencha la prospection. La réponse fut immédiate : le biocyborg était un « comptable directorial » de la Compagnie du Fret Stellaire du nom de Gilto. On le soupçonnait d’avoir quelque chose à voir avec les Escadrons Noirs du Fret. Peut-être rien, pensa Vliclina, mais alors pourquoi Fwrijin semblait-il le reconnaître sans vouloir l’avouer ? Ce Gilto s’intéresse-t-il à moi ? Sait-il qui je suis ? Gilto… Un nom à retenir et une recherche à approfondir, décida-t-elle.

     

     

     

         Pâle, presque décomposé, Honger observait son vis-à-vis sans prononcer un mot. L’homme l’avait abordé quelques instants plus tôt alors qu’il savourait une plage de récupération au sein de la troisième aire de gymnastique de sa verso, un lieu où l’Universaliste était particulièrement vulnérable et il le savait. Pourtant, l’homme – presque aussi grand que lui, la soixantaine, la peau très noire, le visage impassible et l’œil vif, habillé de vêtements semi-civils – ne paraissait pas hostile. De plus, il était apparemment seul et ça, c’était peu dans les habitudes du contre-espionnage de l’Armée. D’emblée, l’homme l’avait volontairement appelé par son grade que tous ignoraient ici…

               - Car, voyez-vous, citoyen colonel, poursuivait l’homme qui s’était penché vers lui comme pour étudier ses strappes de sport, nous avons des amis en commun. Je sais, je sais : vous ne pouvez pas me répondre parce que vous ne savez guère qui je suis mais mon nom – ou tout autre chose se rapportant à moi – n’a aucune espèce d’importance. Sachez seulement que je m’adresse à vous en vertu du protocole 1988 B. Je vois que cela vous dit quelque chose. Inutile donc de tourner en rond : le message dont je suis porteur est bref. Nos… amis communs se demandent si, tous comptes faits, l’opération en cours, je veux dire celle qui vous concerne directement, ne commence pas à poser problème. Je veux dire que la situation leur donne l’impression de s’enliser, que les renseignements ou, plutôt, les comportements attendus se font attendre mais aussi, mais surtout, que cette mission commence à attirer l’attention un peu trop soutenue de… personnels hostiles.

                  - Ce qui signifie ? murmura Honger toujours aussi mal à l’aise.

             - Ce qui veut dire qu’il faut y mettre un terme le plus rapidement possible. Vous en aurez évidemment confirmation par le canal habituel et ma démarche a pour seul but de vous prévenir. Pour vous permettre de vous préparer, termina l’homme avec un grand sourire.

            Il tendit les bras en avant dans un grand geste de décontraction et s’apprêtait à s’extraire du biodiv de l’aire de gymnastique quand, sans le regarder, Honger l’interrogea à nouveau.

                  - Plus de précision ?

         L’homme s’était totalement redressé et le demi-tour qu’il imprimait à son corps signifiait assurément que pour lui la brève conversation était close. Il se pencha pourtant vers sa strappe gauche, comme pour en rectifier le plan de linéarité et, plongé dans sa minutieuse observation, il ajouta dans un souffle :

                 - Vous allez, comme je vous disais, en recevoir la confirmation formelle mais il s’agit bien d’une neutralisation. Quoi, vous espériez autre chose ?

             L’homme s’éloignait déjà en sautillant, heureux par anticipation de son entraînement à venir. Honger ne chercha pas à le suivre des yeux – sécurité oblige – et, à son tour se dirigea vers les simulateurs. D’apparence imperturbable et tranquille, personne n’aurait pu deviner le tumulte intérieur qui l’agitait. Il savait bien que tout cela finirait par se terminer de cette manière et il en était particulièrement attristé : au cours de ces quelques courtes semaines, le quanticien lui était devenu en définitive assez sympathique, un homme dont en d’autres temps il aurait pu apprécier de partager l’amitié. Mais Honger était avant tout un agent de renseignement : quel choix avait-il donc ?

     

     

     

         Au début, Velti s’était réellement investie dans l’étrange mission d’exploration de ce secteur aride. Le sentiment l’habitait en permanence qu’il y avait quelque chose dans ces collines dénudées, une présence, une explication, une justification aux événements qu’elle venait de subir. A l’état-major on avait écouté sans l’interrompre son rapport, puis son interprétation des faits, peu convaincante même à ses propres oreilles, pourtant elle avait contre toute attente hérité d’une section droïde équipée de matériel de détection plutôt performant. A califourchon sur leurs strills [8] respectifs, Rogue et elle s’étaient immédiatement aventurés dans les gorges désertes mais sans jamais apercevoir autre chose que de la pierraille à perte de vue et, rarement, l’ombre d’un représentant de la faune locale s’enfuyant à leur approche. Ils n’avaient aucun plan préétabli et s’étaient contentés dans un premier temps de parcourir un peu au hasard les étroits défilés en regard de la station pour suivre sur quelques kilomètres le rail polymétallique aujourd’hui abandonné de l’aérotrain. La nuit tombée, ils firent dresser par leurs droïdes un poste de repos entouré de capteurs divers, en contrebas de la paroi d’ocre jaune à présent grisée par l’obscurité, dans une sorte de renfoncement naturel les protégeant du vent glacial qui, par moments, parcourait le labyrinthe des gorges. Velti, les yeux fixés sur la carte approximative que lui délivrait son ordiquant, décida de systématiser leur recherche. Rogue hochait affirmativement la tête face à cette détermination mais la Confédérée devinait ses doutes sur l’intérêt de la démarche. Elle n’en était que plus décidée :

              - Vous comprenez, Rogue, il est probable qu’il n’y a rien sur la zone mais, au moins, nous aurons essayé et nous n’aurons aucun regret, affirmait-elle avec une force de conviction qu’elle était bien loin de ressentir.

         À l’issue de leur première nuit – glaciale – dans le dédale de roches, Velti fut surprise par la chaleur du jour, intense, bien plus difficile à supporter que dans la plaine battue par les vents mais elle n’avait aucune envie de renoncer. Pas encore. Ils avaient décidé de consacrer deux jours pleins à leur exploration, en réalité le maximum de temps accordé par la hiérarchie de la jeune femme.

          Vers le milieu de l’après-midi du second jour, ils s’arrêtèrent sans s’être concertés. Ils se trouvaient à plus de soixante kilomètres de leur point de départ et, après des centaines de canyons en apparence tous identiques, des dizaines de haltes infructueuses provoquées par un détail curieux ou une anomalie en définitive naturels, les yeux fatigués d’avoir tant scruté les parois jaunes et brunes, las des contrastes de température et des tourbillons de ce vent qui était devenu leur pire ennemi, ils durent se rendre à l’évidence : ce monde minéral ne renfermait rien d’autre que des roches et, en tout cas, aucune présence humaine. La jeune femme observa l’Impérial, immobile dans son uniforme sombre, les yeux fixés sur elle dans une interrogation muette. Elle haussa les épaules, avouant ainsi sa renonciation à poursuivre une quête aussi infructueuse. Ils décidèrent de rebrousser chemin.

          Le même paysage mais à rebours, toujours aussi déprimant.

          Velti approcha son strill de celui de Rogue et lui cria :

              - Désolé, Rogue, mais on va s’arrêter deux minutes car j’ai besoin de… Enfin, vous savez bien…

          Elle fit signe aux droïdes qui calèrent leurs scooters aériens près d’eux et, sautant habilement de son engin, elle se dirigea vers un renfoncement de roche, suivie comme son ombre par son droïde-garde du corps. Se dégageant habilement de sa combi, elle s’accroupit. Redressée, c’est en rezippant son vêtement que son regard fut attiré par un détail qui lui avait jusque là échappé. Le sable, une poussière grisâtre plutôt, n’absorbait pas le liquide dont elle venait de se soulager. On aurait dit au contraire que celui-ci se mettait à serpenter sur le sol pourtant d’aspect meuble. Elle se pencha à nouveau.

              - Rogue, venez donc voir par ici, jeta-t-elle. J’ai peut-être quelque chose. Ce n’est pas normal, poursuivit-elle quand il fut à ses côtés. Vous voyez ? En principe, nos sonars nous disent que le fond de ces canyons est composé d’une couche de dépôts sablonneux, de la poussière d’ocre, n’est-ce pas ? La conséquence de l’érosion par le vent, c’est ce que j’avais compris, non ? Pourtant… Ce n’est certainement pas du sable d’ocre puisque, comme vous pouvez voir… Alors pourquoi nos relevés sont ils contradictoires, hein, pourquoi ? Pourquoi cette différence ? Ne serait-ce pas parce que ce que nous voyons ici n’est pas ce que nous devrions voir ?

             - Une pierre plate ou une quelconque roche… peut-être un retour de la paroi à fleur de sol, avança Rogue.

               - Mais qui n’apparaît pas sur nos écrans. Etrange, n’est-ce pas ? conclut-elle. Et puis, non, je vois bien qu’il y a une épaisseur de sable qui devrait suffire pour… J’ai bien envie de m’intéresser un peu plus à cette, disons, bizarrerie, pas vous ?

         Velti fit signe à un des droïdes qui, immobile à quelque pas des humains, semblait s’ennuyer considérablement mais ce n’était bien sûr qu’une impression.

              - Liser, ordonna-t-elle, apporte-moi de l’eau. Il nous en reste suffisamment, je pense. Verse-le là, là et là. Voyons ça… Eh bien, Rogue, même phénomène, vous pouvez le constater : quelque chose s’oppose à l’infiltration des liquides… et ce n’est sûrement pas la composition du milieu puisque, nous l’avons vérifié, c’est incontestablement de la poussière, principalement d’ocre. Je suis certaine qu’il y a là quelque chose de bizarre et, s’il s’agit d’un phénomène naturel, je veux le comprendre.

         La jeune femme effleura de son index droit la puce de la base de son casque et instantanément celui-ci se désolidarisa de sa tête. Elle l'ôta prestement et le bloqua sous son bras droit une à deux secondes avant de l'expédier à son droïde-garde du corps qui s'en empara sans difficulté. Déjà la Confédérée avait porté ses mains à ses cheveux et d'un geste souple en avait défait le méticuleux agencement. La cascade sombre de sa chevelure libérée encadra soudainement son visage et elle la secoua de droite à gauche en un geste certainement inconscient qu'il lui avait vu faire déjà à plusieurs reprises. Bien que cette banale petite scène de la vie courante n'ait duré que quelques instants, Rogue n'en avait pas perdu une miette tant il était friand de cette liberté soudaine que s'offrait de temps à autre sa collègue. La transformation qu'elle venait de subir était totale : le représentant des forces spéciales confédérées, décidé et compétent, qu'elle était quelques instants plus tôt s'était soudainement transformé en une toute jeune femme, presque une jeune fille. On aurait pu la croire, fragile, égarée par un coup du sort inattendu dans un univers hostile où ses chances de survie se trouvaient réduites à néant. Mais Rogue était bien placé pour savoir combien il aurait été dangereux de se fier à cette idée absurde, à cette apparence inoffensive. Il n'empêche : il la trouvait séduisante, dangereusement séduisante. Pour la première fois de sa vie peut-être, le Stenek qu'il était doutait de sa capacité à en imposer à un tel être : comment aurait-il pu porter la main sur une si délicieuse créature? Cela lui posait indéniablement un problème et il préféra détourner les yeux, un signe évident de faiblesse qu'il identifiait parfaitement sans pouvoir y faire quoi que ce soit.

         L’étroit défilé, semblable à des milliers d’autres, se poursuivait sur plusieurs centaines de mètres avant de se couder, probablement en cul-de-sac comme la plupart. Rogue fit quelques pas, songeur. Il comprenait bien que l’anomalie découverte par la Confédérée posait problème mais il n’arrivait pas à se convaincre que tout cela ne relevait pas d’un quelconque phénomène naturel : déduire d’une simple distorsion de relevés, peut-être simplement en rapport avec une imperfection de leur matériel, la présence d’une intervention étrangère, non, cela relevait de la paranoïa ou, en tout cas, d’une méfiance pour le moins exagérée. Il revint vers Velti et les droïdes.

         La jeune femme releva la tête à son approche.

              - J’ai prévenu l’Etat-major, déclara-t-elle. Ce que je souhaite faire, c’est une analyse détaillée du terrain. Pour ça, j’ai à l’évidence besoin de l’aide du labo central. J’ai donc, disons, légèrement appâté le DCO (Département Central des Opérations) en exagérant un peu - oh, un tout petit peu, citoyen Stenek, je vous en donne ma parole - l’importance de mon observation. Je compte sur vous pour ne pas me trahir, ajouta-t-elle en souriant. Bien, bien, alors voyons ce que nous avons…

               - Excellent initiative, murmura Rogue encore peu convaincu.

         Il n'était pas question pour lui de s'intéresser de trop près aux évaluations de Velti. Il connaissait le caractère ombrageux des Confédérés dès lors qu'il s'agissait de secrets militaires et il n'oubliait jamais qu'il n'était que toléré dans cette mission, un privilège qu'il avait lui-même sollicité. Il s'écarta discrètement puis, après avoir quelques minutes compulsé son ordiquant, décida de profiter du répit ainsi accordé pour dormir, une occupation indispensable qu'il avait mise à mal les jours précédents. Il s’allongea tant bien que mal sur son strill et laissa errer son cerveau fatigué. Ce fut la sensation d’une certaine effervescence du petit groupe qui le tira de sa léthargie. Le soleil avait baissé vers l’ouest et l’obscurité commençait déjà à envahir l’étroit défilé où ils se trouvaient. Il observa Velti qui revenait vers lui à grandes enjambées.

              - Eh bien, en définitive, il y avait bien quelque chose, jeta-t-elle, alors qu’elle se rapprochait. Mais pas ce qu’on croyait, en tout cas, ce que je croyais moi, rectifia-t-elle.

                - Et ?

               - En réalité, nous avons à faire à un champ électrique modifié, occulté, si je puis m’exprimer ainsi…

                - J’avoue… avança Rogue, j’avoue que…

            - Que vous ne voyez pas où je veux en venir… Je peux comprendre, je peux parfaitement le comprendre. Alors, je m’explique.

         L’excitation de Velti était visible. Elle tournait sur elle-même, marchait à grands pas dans un sens puis dans l’autre et rejetait souvent sa chevelure en arrière dans un mouvement d’impatience, ses yeux brillant dans le soir tombant. La chaleur encore forte ne semblait guère l’émouvoir. Elle se tourna vers ses droïdes-soldats qui attendaient à quelques pas de là.

              - J’explique mais pour ça, pour que vous compreniez vraiment, mon cher Rogue, je dois vous montrer quelques courbes et quelques captures d’écrans. Liser, apporte-moi l’ordiquant de mission…

         Sans pouvoir se l’expliquer – à moins que ce ne soit en raison de l’enthousiasme contagieux de sa collègue – le Stenek se sentit soudain intéressé. Il émergea définitivement de sa torpeur en sautant de son lit improvisé et, appuyé contre l’engin, il attendit les explications de la jeune femme.

               - Vous avez cru comme moi, commença-t-elle, que le fait que les liquides n’infiltrent pas le sol était dû à la présence d’une structure solide, d’ailleurs en parfaite contradiction avec nos observations de routine. Mais c’est mieux que ça, bien mieux que ça ! En réalité, c’est un champ magnétique occulte – je devrais dire caché, camouflé, ce que vous voulez du même genre -, qui empêche les infiltrations… Comprenez ce que cela veut dire : pour dissimuler l’activité électromagnétique de la structure qui nous entoure, on a installé un contre champ qui en annihile les traces ce qui, par conséquent, trompe les détecteurs de routine – rien ne pouvait apparaître sur nos écrans - mais pas… les écoulements de liquide qui, eux, ne peuvent pas se faire normalement. Évidemment, dans cette région, il ne pleut jamais alors il aura fallu cette chance, cette chance incroyable pour que… nous nous intéressions de plus près à ce phénomène. Il faut être sur place…  à même le sol pour voir ce truc. Bref, ce que je veux dire c’est qu’il existe ici, quelque part, probablement en dessous de nous, un réseau d’énergie dont on souhaitait tant qu’il reste ignoré de tous qu’on a pris la précaution de l’occulter point par point par des contre-mesures spécifiques… Évidemment, tout ce que je vous dis là a été confirmé par le labo  central qui en a évidemment référé à qui de droit… Pour résumer, une équipe d’investigation est en route et nous n’avons plus qu’à l’attendre.

                  - Fascinant, murmura Rogue. Incroyable et fascinant. Je me demande… poursuivit-il en contemplant les parois anonymes qui s’obscurcissaient peu à peu.

          - …quelle est la raison d’un investissement aussi colossal ?compléta Velti, observant elle aussi les roches qui les entouraient. Parce que je peux vous affirmer qu’une dissimulation aussi élaborée, ça demande des moyens fantastiques ! Oui, qui ? Dans quel but ? J’espère que nos équipes spécialisées nous en apprendront bientôt plus… En tout cas, on n’aura pas souffert durant ces deux jours pour rien.

                  - On a une idée de l’étendue… ?

                 - A présent qu’on sait, les droïdes ont pu pratiquer quelques mesures…

                  - Et ?

                  - Il semble que ce soit gigantesque.

                  - Fascinant, répéta à nouveau Rogue.

         Velti se détournait pour rejoindre son strill quand le Stenek l’interpella encore :

                - Je dois reconnaître, Velti, que vous aviez raison d’insister. J’étais sceptique mais… bravo.

         La jeune femme qui avait interrompu son mouvement haussa les épaules et, se détournant à nouveau, conclut :

                - Vous voyez, Rogue, vous voyez, parfois ça sert d’être une tête de mule !

    (suite ICI)

     

    tous droits réservés / copyright 943R1K2

     

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    [1]  Bater-baad : il s’agit d’une activité de loisir au cours de laquelle l’amateur est projeté, par le biais de son hologramme, dans une période historique choisie à l’avance. On parle alors de structure recréée, structure qui peut être simple ou fixe (le participant est uniquement contemplatif) ou interactive (le participant modifie son « univers » au fur et à mesure qu’il interagit avec lui). Si de nombreuses recréations virtuelles sont accessibles, celles qui ont trait à la « période archaïque » sont les plus recherchées. (NdT)

    [2]  Bahrein : ami, compagnon. Giez tag bahrein gev ! = écoute, mon pote !

    [3]  gaz de Treitz : gaz décolorant/recolorant les téguments naturels tels que poils, cheveux, etc. sans en altérer la qualité et provenant de la planète du 1er quadrant impérial qui porte son nom.

    [4]  Leibel : petit nécessaire de survie

    [5]  de la Confédération des Planètes Indépendantes

    [6]  aérotrain : trains anti-g glissant sur un rail métallique transparent. Contrairement aux planètes « peuplées » comme Terra, sur les planètes coloniales, ils servent essentiellement au transport des marchandises.

    [7]  Cliastic : antiseptique-cicatrisant se présentant sous la forme d’une sorte de gomme qui se résorbe progressivement en quelques heures. Tout soldat en mission en possède dans son paquetage de survie.

    [8]  Strill : sorte de scooter aérien dont la relative lenteur est compensée par une autonomie élevée et surtout une maniabilité et une résistance à toute épreuve. D’origine militaire et développé dans l’Empire (puis choisi par de nombreuses forces armées dans des versions plus ou moins exotiques), le strill a été rapidement adopté par les civils dans sa version domestique.

     


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