• livre trois : chapitre quatre

     

    ­Extraits du Nouveau Codex Impérial (éd. 956 rc)

     

     

    Sujet :                                    xénologie 

    Section :                                histoire générale

    Références extrait(s) :         tome 8, pp. 23-44, 97 et  suivantes ; tome 9 , pp. 22   et suivantes ; 

    Sources générales :             tomes 8 et 9  

    Annexe(s) :                         102 (xénozoologie), 958 (xénogéologie), 27 (systèmes stellaires périphériques) 

     

     

    …/… car, de tout temps, l’homme chercha à savoir si Terra, la planète d’origine, était la seule susceptible d’habiter des formes de vie. Dès les premières explorations spatiales, bien avant la Révolution de Cristal, les traces de créatures vivantes, fussent-elle cantonnées à quelques acides aminés grossièrement agencés en molécules rudimentaires, furent activement recherchées sur les planètes du système solaire d’origine, sans succès comme on le sait. Cela n’empêcha nullement…/…

     

    …/… Il va de soi que la quête de la Vie prit une toute autre dimension avec la banalisation des liaisons interstellaires. Les premiers résultats positifs furent assez précoces avec la mise en lumière de premières souches bactériennes non terriennes sur Brevan, (Cinquième Quadrant) en 174 rc, puis, trois ans plus tard, sur Gagino (Premier Quadrant), en 177 rc. Vinrent ensuite des observations éparses sur plusieurs planètes en évaluation de terraformation (cf. Histoire des Sciences, tome 217 et 218), avec notamment la découverte d’une forme de vie semiminérale (Gargelle, Troisième Quadrant), voire pseudogazeuse (QK27A044, planète non terraformée, système Béta de Véga 2). Il reste que, jusqu’à ce jour, aucune entité intelligente susceptible de rivaliser avec l’espèce humaine n’a été découverte bien que cette prospection n’en soit …/…

     

    …/… Les religieux – toutes confessions confondues – virent généralement dans cette recherche infructueuse la preuve que l’espèce humaine est unique et donc « élue » (Église de la Refondation) ou « choisie » (Seconde Religion) par un être supérieur dont la « parole » serait portée par les prophètes dont elles se revendiquent. A l’opposé, la majorité des scientifiques défendent l’idée que la « vie » peut apparaître en différents endroits de la Galaxie pour peu que les circonstances le permettent. Gard Levor, xenobiologiste de renom (549-653 rc) explique ainsi dans son traité de xénobiologie galactique : « Une petite partie seulement de la Galaxie a été explorée, et encore très incomplètement. Si l’on songe qu’il existe plusieurs milliards de galaxies comprenant chacune des milliards d’étoiles, galaxies pour le moment hors de notre portée, on comprend que, statistiquement, il est totalement impossible, que des embryons de vie analogues à ceux découverts ça et là sur un tout petit territoire, n’aient pas quelque part ailleurs donné de grandes civilisations, certainement en avance, intellectuellement et technologiquement, sur la nôtre. » …/…

     

    …/… Par la suite, des traces d’une vie relativement évoluée furent retrouvées en 891rc sur la planète Derisor (2ème quadrant), en réalité des fossiles de vertébrés rappelant parfois ceux des temps anciens de Terra nommés dinosaures ou grands sauriens en raison de leur allure reptilienne. Si certains caractères peuvent effectivement être rapprochés des représentations numériques de cette période terrestre encore en notre possession et des restes retrouvés par la suite lors de la réalisation des réseaux souterrains de Terra (par exemple, une certaine forme de gigantisme, la suprématie des espèces marines, etc.), les fossiles identifiés sur Derisor relèvent de lignées animales très différentes, éteintes depuis plusieurs milliards d’années. Cette découverte relativement tardive souleva l’enthousiasme des scientifiques mais la méfiance des autorités religieuses qui …/…

     

     

     


    4

     

     

     

    Rogue garda de sa première nuit avec Velti une sensation d’intense bonheur et la certitude, enfin, d’avoir trouvé auprès d’elle ce qu’il cherchait confusément depuis tant d’années. Après avoir fait l’amour avec elle dans un débordement de passion tempéré par de longs instants de tendresse, il ne put dormir. Il resta de longues minutes à observer sa compagne assoupie, ne pouvant s’empêcher de caresser délicatement ses cheveux de nuit éparpillés sur le drap chatoyant du biodiv mais s’interdisant d’effleurer sa peau claire afin de ne pas la réveiller. Lorsque survint le petit matin de cette nuit mémorable pour lui, elle étira les bras et se redressa brusquement avant de lui sourire sans contrainte. Il n’osa pas la prendre dans ses bras par peur de l’effaroucher, geste puéril à peine digne d’un adolescent à l’aube de sa vie amoureuse mais il est vrai qu’il se sentait neuf d’une existence nouvelle.

              - Eh bien, cher Stenek, vous me semblez bien songeur, jeta Velti en se levant.

                - C’est que, voyez-vous, Velti… essaya-t-il de répondre mais la jeune femme s’était déjà précipitée dans le salon de toilette.

     Rogue, en dépit de sa nuit blanche, se sentait parfaitement détendu. Il observa son ordiquant de poignet : il restait moins de dix minutes avant que le droïde maître d’hôtel n’apporte leurs salkos commandés par lui pour 6h85 précises. Ensuite, la visite du palais-musée Interstel – puisqu’ils se trouvaient à Iorque – avant de grignoter un petit quelque chose en chemin. Que du bonheur ! De fait, le droïde attendu se montra à l’heure voulue mais la visite du palais-musée allait devoir être différée car, après avoir installé les salkos sur la table basse, l’homme mécanique se pencha vers Rogue pour lui confier un petit objet : le magnet attendu. Contre toute attente, Rogue avait pensé que cette mission au caractère pour le moins inhabituel – pour ne pas dire extraordinaire – ne leur serait finalement pas confiée, à eux, des soldats insignifiants dans la grande marche de la Galaxie, qu’on trouverait un moyen de recruter des personnels plus compétents voire même que, à la dernière minute, les Universalistes s’apercevant du peu d’intérêt qu’ils représentaient, demanderaient à ce qu’ils soient remplacés. Apparemment il se trompait. Ils allaient donc devoir gérer ce contact avec des gens sinon inconnus du moins imprévisibles et cela sans avoir été préalablement entrainés : il voyait mal à quoi leurs compétences de combattants, fut-ce dans les forces spéciales de deux armées différentes, pouvaient leur servir. Décidément, il n’aimait pas cette idée de fuite vers l’inconnu, sans préparation et sans but véritable, mais il était un soldat et un soldat exécute les ordres.

     Dès qu’elle sortit de « l’îlot de toilette » comme on disait assez bizarrement à Iorque, Velti sut que le magnet était arrivé et son visage qui arborait un début de sourire se renfrogna. Elle fronça les sourcils et haussa les épaules avant de se laisser tomber sur un siège bas.

             - Eh bien, au moins, on n’aura pas attendu ici pour rien, commença-t-elle. Mais j’aurais préféré… Qu’importe ! Alors, Rogue, comment procède-t-on ?

                 - Mais comme nous en sommes convenus avec… qui vous savez. Le temps de me renseigner auprès… de nos amis et nous saurons exactement quel vol prendre.

                 - Bien. Je vous laisse faire…

     Velti s’approcha de sa cantine de voyage, en réalité plutôt un nécessaire de dépannage, afin d’échanger sa combi de nuit pour une tenue plus décente. Rogue la regarda faire en silence. Curieusement, l’image de la Velti qu’il avait fait se déshabiller devant lui sur Virge 7 vint se superposer à celle du moment. En avait-il fait du chemin depuis pour la retrouver ! Pourvu que… Il claqua joyeusement dans ses mains.

              - Vous savez quoi ? Et devant l’air interrogatif de la Confédérée qui avait suspendu son geste, il répondit sans attendre : Je vous parie que notre spatiofuz ne partira pas dans l’heure, ni peut-être même dans la demi-journée… Et comme de préparation particulière, nous… Eh bien, je me dis qu’on aura quand même sans doute le temps de faire un saut jusqu’au palais-musée Interstel. Hein, qu’en dîtes-vous ?

     Velti leva sa main droite en un geste d’approbation, son sourire revenu. Elle regarda son compagnon s’engouffrer à son tour dans le cube de toilette. Dès qu’elle fut sûre d’être seule, elle se mit à observer avec attention chaque détail de l’appartement hôtelier. Afin d’en fixer autant que faire se peut un maximum de détails. Pour plus tard. Pour l’avenir, quel qu’il soit. Elle aussi, elle était émue par la nuit qu’elle venait de vivre.

     

     

     

    Bristica soupira légèrement et, pour la dixième fois peut-être en moins de dix minutes, laissa ses yeux errer sur la banale scène de montagnes bleutées qui s’étendait devant elle. Elle avait beau essayer de se persuader qu’elle regardait le spectacle de ses vacances, qu’elle n’avait qu’à se lever de son biodiv pour participer à une excursion mémorable, ça ne marchait pas ; elle n’arrivait pas à oublier où elle était vraiment, à bord d’un vaisseau militaire, quelque part entre deux étoiles également inconnues d’elle, loin de sa terre natale où, pourtant, il ne lui restait plus grand monde de connaissance : les montagnes bleues, comme sa vie actuelle, étaient des images artificielles. Elle rejeta l’ordiquant qui pouvait bien attendre et se renversa en arrière pour un de ces moments de nostalgie qui lui permettaient de survivre à son isolement relatif.

     Après des semaines d’un travail acharné qui lui avait mangé tout son temps, elle sentait retomber le stress et la fébrilité du début, comme si, quelque part en elle, elle était enfin arrivée à se convaincre que la méta-analyse générale pouvait continuer sur sa lancée, aux mains des collaborateurs compétents qu’elle avait contribué à former. On n’avait plus vraiment besoin d’elle, à peine un vague conseil de ci-de là, une réflexion dont elle permettait l’aboutissement un peu plus rapidement, une résolution qu’il convenait d’encourager. Rien de vital, en réalité, rien de définitif. Presque une impression de l’accomplissement d’une tâche alors qu’il restait encore tant à faire. Vraiment ? Elle n’en était pas sûre. La limite maximale de l’axe de convection était depuis longtemps dépassée et le point de convergence de l’étude, le but ultime de tout travail de prospective, ne pouvait plus s’écarter notablement de la date prévue. À moins qu’un événement totalement inattendu mais suffisamment important… Non, c’était impossible et elle le savait : un paramètre aussi majeur n’aurait jamais pu échapper aux analyses prédictives, mille fois répétées et contrôlées. Il lui fallait se l'avouer : la phase de découverte initiale, de mise en place et de codification des procédures était à présent bel et bien terminée et son rôle, si important au début, était devenu secondaire, presque marginal. Elle n'était plus qu'une simple exécutante dans ce qu'elle avait mis en place (et qui, néanmoins, faisait encore aujourd'hui sa fierté). Du coup l'ennui et les sensations de déjà-vu s'étaient emparés de son esprit jusqu'à lui donner une vague nausée, un sentiment de vide et de temps définitivement perdu. Mais que pouvait-elle faire d'autre que de subir sa prison du moment ? Jamais les Impériaux ne consentiraient à lui autoriser ne serait-ce qu'une ébauche de liberté. Les enjeux étaient évidemment trop importants et les risques majeurs, elle le savait bien. Trop de gens attendaient son faux-pas. Trop d'ennemis... Les Impériaux préféreraient probablement l’effacer que de la voir tomber aux mains des autres. Bristica cherchait à se faire peur et ne croyait pas réellement à cette éventualité encore que... Elle haussa les épaules en un geste absolu d'impuissance. Tout cela la dépassait. Comme elle regrettait de s'être introduite malgré elle dans ce jeu mortel ! Comme elle le regrettait ! Mais il était trop tard. Trop tard pour tant de gens ! Une fois encore, elle repensa à Drago qui avait payé de sa vie son attachement à celle qu'il avait cru reconnaître comme un amour absolu. Elle avait longtemps souffert de comprendre que c'était à cause d'elle que l'homme avait été assassiné pratiquement sous ses yeux. Elle ne l'aimait alors pas - ne l'avait jamais aimé - et, pourtant, il lui manquait et elle ne pouvait s'empêcher de rêver avec tendresse, parfois même en versant quelques larmes, aux instants où ils partageaient une espèce d'intimité qui avait eu plus d'importance pour elle qu'elle ne l'avait d'abord jugé. Elle se redressa tout à coup. Non, sa vie n'était pas finie; elle ne pouvait pas s'enliser ainsi dans les honneurs et la monotonie. Sa vie, elle débutait : elle avait tant à découvrir encore que se résigner était tout simplement criminel. Elle ne savait pas encore comment mais il lui fallait se reprendre, reprendre en main son destin quel qu'il soit. Elle devait réagir. Enfin !

     

     

     

     Alane était déjà venue dans cet endroit si spécial mais elle ne reconnaissait rien.

          - J’suis v’nue ici dans le temps mais ça a tellement changé que j’reconnais que dalle, souffla-t-elle à Vilili, son voisin de gauche. J’suis presque sûre que…

            - Ta gueule ! fut la seule réponse de Vilili.

     Alane, dégoûtée, secoua la tête comme si la réplique, plus qu’agressive, avait été insultante, mais elle savait bien que son compagnon avait raison. Encore qu’en repli certain, les Confédérés étaient partout et le son de sa voix pouvait les alerter, non sur leur présence puisque leurs détecteurs les renseignaient parfaitement mais sur leurs mouvements réels. Elle baissa la tête comme pour cacher son erreur et ses possibles conséquences mais ne tarda pas à la relever. Leurs droïdes étaient loin devant, occupés à poursuivre leurs homologues ennemis mais cela ne voulait évidemment rien dire. Les « confits »[1], enfin les bionats confits, laissaient passer les mécaniques en se cachant au mieux afin de s’en prendre aux bionats ennemis. Bien sûr, eux aussi, ils faisaient ça. Malgré toutes leurs simagrées sur l’égalité des vivants, guerre ou pas guerre, on savait bien que ce qui faisait mal à l’adversaire, c’était les pertes humaines. Les pertes humaines et rien d’autre. Alane avait chaud, très chaud et, pour un peu, elle aurait bien enlevé son casque mais ça aurait été une folie : outre les indices de position qui s’affichaient en temps réel sur sa visière, il aurait été stupide de s’exposer à elle ne savait quel débris projeté par une quelconque grenade, alors elle se devait de supporter l’inconfort relatif. Elle sentit son compagnon se raidir et aperçut presque au même moment les silhouettes ennemies, sur leur droite, à seulement quelques dizaines de mètres. Trois Confédérés progressaient vers eux, sans que l’on puisse savoir s’ils les avaient repérés. Elle frôla de la main gauche le bras de Vilili et d’un geste de la tête lui fit comprendre qu’il leur fallait décrocher, maintenant ou jamais. Se replier lentement vers des positions plus sûres, ne pas chercher l’engagement qui leur serait très certainement fatal : ils s’étaient trop avancés, elle l’avait toujours su. Elle ragea intérieurement de l’avoir plusieurs fois dit sans succès à ce crétin de Vilili mais non, ce birjad n’en faisait jamais qu’à sa tête. Bien fait pour sa gueule à elle. Quoiqu’il fût son chef de groupe, elle aurait dû se tirer depuis longtemps. Surtout depuis que Loo… Elle chercha à repousser l’image du visage déchiqueté de leur troisième de groupe et celle de son corps supplicié abandonné à la vermine ou au hasard d’une avancée de leurs forces. C’est à ce moment-là qu’elle aurait… Vilili lui désigna un autre groupe de confits qui arrivait sur leur gauche. Plus en avant d’eux, ceux-là. Comme cela était prévisible, le piège ennemi se refermait. Alane interrogea du regard son compagnon dont elle devinait à travers sa visière le visage livide et impénétrable. Que… ? Elle ne s’interrogea pas longtemps. Incrédule, elle regarda Vilili se redresser brutalement et arroser de son triglon les confits qui eurent vite fait de s’aplatir. Que cherchait-il, ce crétin ? Se faire repérer mais dans quel but ? Non, elle n’avait rien compris : sans un regard vers elle, il s’élança pour ce qui paraissait être une sorte de contre-offensive personnelle, un baroud d’honneur plutôt. Explosions. Nuages de fumée. Sifflements de projectiles divers. L’enfer tout à coup. Elle se renfonça dans l’espèce de niche trouant l’esplanade défoncée des restes du centre de loisirs. Moins qu’un abri de fortune mais elle n’avait rien d’autre. Vilili avait disparu et les confits étaient tout aussi invisibles. Alane tremblait de tous ses membres et pleurait sans même s’en rendre compte. Elle savait qu’elle n’avait plus rien à espérer.

     On prétend que, lorsque la vie va vous être ôtée, en une fraction de seconde, on voit défiler toute son existence mais Alane ne voyait rien de tel. La tête dans les épaules, son triglon inutile dans sa main droite crispée, comme débranchée du réel, elle attendait dans l’obscurité de ses yeux fermés pour ne pas anticiper l’inévitable. L’angoisse. La peur. La peur qui submerge tout, qui empêche de penser. Évidemment qu’elle avait peur, qu’elle était terrorisée, paniquée. Cela ne voulait pas dire qu’elle était un mauvais soldat et elle avait démontré l’inverse à plusieurs occasions mais trop, c’est trop. On ne peut pas exiger… Le temps sembla se figer. Le bruissement d’air et le coup dans le dos, violent, qui la fait s’aplatir encore plus, qui la fait rentrer dans la terre. Les bras qu’on lui rabat en arrière, le triglon qu’on enlève, les menottes magnétiques qui se referment sans bruit sur ses poignets déjà endoloris. On la lève. On la fouille. Elle ne cherche pas à se défendre, à protester : elle subit. Que faire d’autre ? Elle se décide seulement maintenant à ouvrir les yeux. Les trois confits déjà aperçus. L’un deux, énorme silhouette nantie d’un étrange haut de combi vert, tourne autour d’elle, comme à la recherche d’elle ne sait quelle arme cachée. Alane se tait. Elle baisse les yeux. Elle se doute que le moindre geste mal interprété peut se révéler être le dernier de sa jeune vie. Elle veut se faire oublier, se faire toute petite, comme quand elle rentrait chez ses parents avec une mauvaise note de fried. C’était il y a tellement longtemps qu’elle a presque oublié et, pourtant, elle retrouve les vieux réflexes. Elle rentre ses épaules, avachit sa silhouette, regarde le sol sans le voir. Elle imagine qu’elle est ailleurs, que c’est un mauvais rêve qui va se terminer et qu’elle va se réveiller. Elle sait bien que c’est faux, qu’elle est à présent une prisonnière de guerre mais ça l’aide à supporter son sort misérable. Un des confits qui regardait son ordiquant de poignet tout à coup s’intéresse en relevant les yeux.

               - Dîtes, les mecs, c’srait-y-pas une soldate qu’on a là ? Ben j’crois ben que si…

     L’homme a parlé en fried avec un accent rauque qui traduit son origine rhésienne. Les deux autres s’immobilisent. Celui qui tournait autour d’Alane lui arrache son casque.

                - Mais l’a raison, le Blair. Une soldate que les Impériaux nous ont donné là.

     Les trois hommes s’observent du regard. Blair hausse les épaules. Sans un mot, les confits poussent Alane devant eux. Le petit groupe avance parmi les débris multiples, mobilier urbain à peine reconnaissable, un véhicule incendié, les carcasses démantibulées de quelques droïdes, un ou deux cadavres déjà en état de décomposition, une scène de combat banale. Alane est perdue. Elle n’ose rien dire de peur qu’on la maltraite. L’avenir pour elle se limite à la minute présente, aux pas automatiques qu’elle est bien obligée de faire, aux rares paroles échangées entre ses geôliers et dont elle ne saisit pas la moitié. On arrive enfin devant une espèce de petit bunker, probable ancien poste de contrôle. Un des Confédérés lui fait signe d’y entrer et elle comprend soudain. Prise de panique, elle cherche à s’enfuir mais l’homme qui s’attendait à sa réaction lui fait un croche-pied et elle s’effondre lourdement. Toute cette peur, toute cette fatigue. Alane sent qu’on la porte malgré ses mouvements désordonnés, malgré ses cris à moitié étouffés. Elle pleure de colère et de honte anticipée mais que peut-elle ? L’ignoble soldat à la combi verte est sur elle. Haletant, ses yeux hallucinés ne semblent pas la voir. Il l’immobilise d’une main et de l’autre cherche à défaire sa combi. Alane se débat ou du moins essaie de faire jouer le peu de liberté que lui laissent les menottes et tout ce poids sur elle, mais elle sait qu’elle ne peut rien faire d’autre que subir. L’homme arrache sa combi, dénudant sa poitrine et son ventre, s’écrase sur elle. Elle pleure en silence car il lui fait mal mais cela n’a plus d’importance. L’autre ensuite qui vient sur elle. Elle le laisse faire, presque indifférente. Elle attend le troisième mais une voix, soudain, retentit, toute proche.

               - Qu’est-ce que tu fais là, toi ? Et où est ton groupe ? Mais… Qu’est-ce que… Par Bergaël, sortez-tous de là-dedans…

     Alane sent à présent qu’on la soulève, qu’on la traîne dehors. Elle rampe maladroitement, cherche à repousser deux nouveaux soldats qui viennent de se saisir d’elle. Mise debout, elle vacille et, à travers ses yeux tuméfiés par les coups, elle comprend que d’autre Confédérés sont intervenus mais elle s’en moque. Elle est si loin de tout ça. Un autre arrivant qui fend le petit groupe agglutiné autour d’elle. Un officier en combi collante noire. Il repousse violemment plusieurs de ses hommes et crie :

                - Trois, hein ? Je vais vous montrer, moi. Contre le mur. Tous les trois. Les ordres étaient clairs et les consignes strictes, non ?

     Il se tourne vers son sous-officier.

                 - La prisonnière. Vous l’évacuez. Maintenant ! Quant à vous

     Le sous-officier cherche à intervenir.

                 - Commandant, pour eux, le Varna ! [2]

               - Rien à foutre du Varna, s’emporte l’officier en noir. Pas de temps à perdre.

     Alane est poussée par derrière. Elle avance mécaniquement, trébuche, se reprend avec l’aide d’un des deux soldats ennemis qui l’accompagne. Elle n’a plus peur mais elle souffre de ses blessures. Retenant de son bras valide sa combi déchirée en un dernier geste puéril d’humanité, elle gémit sans le savoir et, plus que tout, elle a honte du sang qui lui coule le long des jambes. Derrière elle, elle distingue les détonations d’un éclateur tout proche. Inconsciemment, elle rentre la tête dans les épaules mais ce n’est pas pour elle. Elle comprend que ce sont ses bourreaux qui viennent de payer de leurs vies. Elle s’en moque. Pour elle, tout a changé et personne, jamais, n’y pourra plus rien.

     

     

     

     Gilto salua brièvement son collaborateur qui se retirait. L’ayant déjà totalement oublié, il se pencha une fois encore vers le minidagbad qui scintillait dans sa main. Jamais un message aussi court ne lui avait été adressé par un moyen aussi coûteux. « Atteindre la cible par tout moyen approprié » s’affichait en rouge et en relief sur fond de poussière argentée. Laconique. Concis et laconique. Un dagbad pour si peu ! Valardi, qui d’autre ? L’homme s’impatientait et Gilto pouvait en comprendre les raisons. Toutefois, neutraliser la quanticienne ne relevait pas d’une partie de plaisir et l’acharnement mis par les uns et les autres pour s’assurer d’elle traduisait à l’évidence l’importance qu’elle revêtait : si Gilto avait pu un jour en douter, il était à présent convaincu. Bon, c’est vrai, Valardi s’impatientait. Parce qu’il pressentait – il l’avait longuement expliqué – qu’elle était pour quelque chose dans le fait « que tout n’allait pas aussi bien qu’on voulait le dire ». En dépit de la confiance et du respect que Gilto portait à son chef, il ne l’avait tout d’abord pas suivi dans sa perspective pessimiste du décryptage de la situation et puis… Il reconnaissait à présent que peut-être… Mais était-ce réellement cette femme qui était derrière tout ça ? Une seule et unique personne ? Malgré tout, il continuait à n’avoir aucune certitude. Oui, elle était certainement importante. Une pièce essentielle de la gigantesque partie de pacdole politico-militaire engagée dans la Galaxie. Et peut-être plus encore ? Le biocyborg se renversa en arrière et ferma les yeux. Sa mémoire lui permit de relire presque comme s’il était face à lui le dossier multimédia de la Farbérienne, centré sur les tentatives de déstabilisation auxquelles elle avait dû faire face. D’abord une tentative d’enlèvement dès son arrivée sur Terra. Manquée de peu. Un attentat sur son lieu de travail. Raté. Second enlèvement contré de justesse par les Impériaux et qui avait coûté l’existence de ce pauvre Lanol. Puis une tentative d’assassinat quelque part dans la Terra souterraine. Encore manqué. C’est là qu’il était intervenu, Gilto, parce que ça commençait à faire beaucoup. Cela lui avait paru bien plus ingénieux d’envoyer un espion sur place, un confrère, un collègue mieux à même de gagner sa confiance, de l’amadouer. Oui mais les Universalistes locaux avaient fini par paniquer devant l’absence de résultats et le risque que l’affaire ne s’ébruite. Ils avaient interrompu prématurément. Nouvel échec. Puisque l’on ne pouvait pas vraiment l’atteindre directement, Gilto avait longuement travaillé sur moyen encore plus subtil : un agent faussement retourné susceptible de semer le doute et de neutraliser la quanticienne. Sans plus de résultat, semblait-il. A croire que cette femme arrivait toujours, par une chance insolente, à se sortir des pires situations. Sauf que Gilto ne croyait pas à la chance. Pas à ce point. Puisque sa cible était une scientifique probablement peu formée à se défendre aussi efficacement, c’est qu’elle était protégée par quelqu’un de très compétent. Il avait longtemps cherché à identifier son ennemi inconnu puis une information était remontée jusqu’à lui : Glovenal était jugée si importante par l’Empire que c’était le patron de la police politique, le troisième assistant en personne, qui supervisait sa protection. Immédiatement, Gilto avait revu l’image de la jeune Impériale rencontrée fugitivement à la Réunion de Conciliation. Entraperçue plutôt car, par une sorte de sixième sens, il s’était immédiatement éclipsé ! C’était bien elle, la Troisième Assistante, il l’avait alors vérifié. Une femme remarquablement belle (ce qui lui était parfaitement indifférent) mais expliquait son emprise sur certains, jeune donc certainement pas encore sclérosée par les années de bureaucratie et forcément puissante, très puissante puisque présente à la Conciliation. Triplement dangereuse. Le biocyborg rouvrit les yeux sur l’environnement anonyme de son cube de travail. Il aimait les défis et c’en était indiscutablement un. Les mains bien à plat sur ses genoux, le visage impassible, son corps totalement immobile, nul n’aurait pu soupçonner l’exaltation, l’enthousiasme même qui l’habitait. Un état d’esprit bien loin de son habituelle indifférence. Puisque Valardi le sommait d’agir, il allait le faire : vite, fort et sans bavure.

     

     

     

     La bataille pour la prise de contrôle d’Alcyon B dura près de quatre jours et ne concerna que peu la planète proprement dite : tout se joua en fait dans l’espace. Les forces impériales réussirent à mettre en fuite les unités universalistes présentes sur le secteur – des Alba-Maltiens pour la plupart – après que celles-ci aient subi des pertes sérieuses. Les forces en présence étaient pourtant égales en effectifs mais certainement pas en valeur : les meilleures unités impériales, retirées, au grand dam de l’État-major, de la défense de Mez-Antelor, avaient été redéployées sur l’espace miniquadrantal d’Alcyon. Il s’agissait évidemment d’une décision stratégique imposée par les quanticiens impériaux mais qui devait avoir d’immenses conséquences : d’abord, la possibilité pour les légalistes de s’imposer dans ce secteur très particulier et de s’emparer d’Alcyon B (et donc de ses réserves de xantinum) mais également de neutraliser les éventuelles velléités des Républicains de Farber de s’impliquer dans un conflit où, jusque là, ils avaient su rester raisonnablement neutres : Farber était en effet à quelques années-lumière seulement du système d’Alcyon. Enfin – et ce n’était pas le moins important – les Impériaux reprenaient l’avantage sur leurs ennemis après une succession d’échecs et de demi-victoires qui avaient fortement contribué à abaisser le moral de leurs troupes engagées. Rendant visite à ses soldats peu après leur succès, le prince Alzetto dut convenir que sa confiance en une stratégie essentiellement civile avait payé. Peut-être, pensa-t-il, y a-t-il finalement quelque chose de vrai dans ces analyses statistiques ! Des chiffres et des théories pour lui pourtant incompréhensibles… En faisant taire grâce à cet indéniable succès les réticences de ses généraux qui, il le savait bien, avaient été de plus en plus perceptibles au fil des jours passés, il venait de reprendre un ascendant certain sur ses détracteurs : il était donc excessivement satisfait de son choix même si, fidèle à l’image qu’il entendait entretenir, il n’en montrait rien. Retourné dès le lendemain de sa visite à son vaisseau-amiral, il provoqua une holoréunion avec Carisma Dar-Aver et Vliclina au cours de laquelle il apparut détendu et amical comme il ne l’avait jamais été avec les deux femmes depuis des mois. Plus encore, il était seul, sans ses habituelles ordonnances qui avaient donné à toutes ses interventions antérieures une allure officielle des plus pesantes ; il était également habillé de façon décontractée ce qui, chez lui, se traduisait par le port d’un simple uniforme en lieu et place de sa tenue blanche et or de généralissime à laquelle elles étaient habituellement confrontées. En somme, Alzetto était satisfait de la tournure prise par les événements et il tenait à le leur faire savoir.

                 - Sa majesté est fort satisfaite, leur déclara-t-il, de notre nouvelle emprise sur cette petite planète, Alcyon B, dont vous connaissez l’importance stratégique durant ce conflit… et même au-delà, ajouta-t-il comme après quelques secondes de réflexion. J’avoue avoir quelque peu douté au début de notre stratégie d’évitement autour d’Antelor mais, au bout du compte… Je souhaitais en conséquence vous faire part des compliments de Sa Majesté dont, indéniablement, une partie vous revient de droit.

     Alzetto, fidèle à son habitude, se mit à marcher de long en large avant de venir se camper devant Vliclina qui était restée muette depuis le début de la réunion.

                  - Il y a autre chose. Je souhaite connaître – s’ils ont été complétés – les résultats de votre, hmm, enquête préliminaire sur la crédibilité de notre quanticienne en chef. Avez-vous progressé sur ce point ?

               - Votre Altesse, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour la transmission des compliments de Sa Majesté, répondit-elle après avoir effectué un garde à vous impeccable. Concernant votre question, je pense que le commandant Arezka vous en entretiendra personnellement puisque cette… enquête relevait de nos deux services mais…

                    - Mais ?

                    - Mais je puis d’ores et déjà vous affirmer que nos craintes semblent sur le point d’être dissipées. Il faut, bien sûr, que nous effectuions quelques…

                   - Bien, bien, la coupa Alzetto. Voilà donc un souci de moins et, croyez-moi, il me semblait de taille. Si vous le permettez, je vous propose de prendre congé mais je ne manquerais pas de reprendre contact avec vous très bientôt. A vous revoir, Citoyennes.

     Avant même d’entendre leurs salutations, l’hologramme d’Alzetto disparut du champ de vision des deux femmes.

     

     

     

     En esprit parfaitement rationnel, profitant de ces heures en demi-teinte qui permettent à des hommes comme lui de compenser un authentique sommeil de bionat, Gilto avait longuement réfléchi : le problème posé à l’Universalité par la quanticienne ne pouvait être résolu que d’une seule manière. Impossible de l’éliminer directement car, outre la perte certaine pour la science galactique que cela représenterait, elle était de toute façon inapprochable. Non, la seule façon, c’était de la faire venir jusqu’à eux et de la convaincre de l’absolue nécessité pour la Galaxie qu’elle rejoigne - au moins provisoirement - l’Universalité, non pas en trahissant un Empire dont, de toute façon, elle n’était pas ressortissante, mais en rétablissant un équilibre réel entre les belligérants de manière à mettre un terme à une situation qui était préjudiciable pour tous, y compris pour ceux qu’elle pensait servir. Il fallait absolument la convaincre de la rectitude d’un tel choix. Un interlocuteur de haut rang devait donc lui être présenté, une personne susceptible de décider sur le champ et d’improviser si nécessaire. Dans ce rôle ingrat, il ne voyait qu’un seul nom se présenter à son esprit : le sien. Faire sortir la quanticienne de son bunker était parfaitement jouable compte-tenu des éléments Universalistes dont il disposait sur place. Bien entendu, elle se méfierait et aura probablement mis au point une procédure de repli pour le cas où l’entrevue se passerait mal : c’était donc à lui que revenait la lourde charge de la convaincre et, en somme - mais Gilto détestait ce mot - de la « retourner ». Restait un dernier détail d’importance : obtenir l’aval de Valardi  mais, compte-tenu de l’inquiétude actuelle de celui-ci sur la situation réelle du conflit, il ne devrait pas avoir trop de mal à le décider.

     Gilto ne le savait bien sûr pas mais la chance était avec lui car Bristica était prête à écouter tous les avis, suivre tous les conseils pour se sortir enfin de ce qu’elle appelait la « routine des longues journées » et qui, l’étouffant progressivement, lui donnait la sensation d’être devenue ce qu’elle avait toujours redouté : une prisonnière de luxe à qui nul acte ne semble interdit mais qui, au bout du compte, ne jouit plus de rien. Elle avait durant des mois apprécié presque à la folie le fantastique privilège qu’avait été de faire avancer la prospective générale mais, à présent que le mouvement initial avait été porté et les différentes voies de recherche relativement balisées, elle s’ennuyait ferme ce qui faisait dire à ceux qui la connaissaient bien - mais ils étaient rares là où elle vivait désormais - que cela ne pouvait rien augurer de bon. De fait, après avoir goûté les soirées-repas données pour les officiels de son vaisseau (ennuyeuses), assisté aux différents spectacles organisés pour le repos des combattants (fastidieux), s’être plongé dans le contrôle des activités de son département jusqu’à en avoir la nausée et s’être rendue presque impopulaire (contre-productif) et s’en être remis aux paradis artificiels des dragées d’aucladienne (dangereux), elle ne savait plus quoi tenter. La seule solution qui lui vint à l’esprit et à laquelle elle aurait probablement dû avoir plus tôt recours, pensa-t-elle soudain, était de se confier à Vliclina qui, elle, saurait trouver… Enfin, elle l’espérait sans en être réellement convaincue. Terriblement nerveuse de devoir expliquer ses états d’âme alors que tant d’autres problèmes essentiels devaient à l’évidence passer avant, elle profita d’un des points d’information bihebdomadaires pour expliquer son malaise. À son grand étonnement, l’Impériale ne sembla ni choquée, ni même surprise. Après un moment de silence qui lui avait permis de parcourir sans le voir le décor du petit salon d’apparat où les deux femmes se trouvaient, Vliclina reporta ses yeux verts si pénétrants sur son amie. Elle soupira puis, comme si elle venait de prendre soudain une décision, expliqua :

               - Vous ne me surprenez pas, mon amie. Je me doutais bien que, un jour ou l’autre… Mais je crois que j’ai une solution qui… un moyen, peut-être… Brissy, accordez-moi un jour ou deux et je vous propose quelque chose… Peut-être une solution. Quarante-huit heures et je vous donne une réponse. Ça ira ? et, devant l’acquiescement muet de Bristica, elle ajouta : Alors, c’est dit : on rejoint les autres qui, déjà, doivent se demander ce qu’il se passe…

     

     

     

     Après un entretien holographique avec Vliclina, pour l’occasion secondée d’un biocyborg du nom de Vui-Lui introduit en tant que ministre plénipotentiaire et d’un droïde à l’aspect grave voire sévère, resté tout le temps silencieux, Rogue eut pour ordre de rejoindre Velti au spatioport militaire de York. Leur vol était prévu pour le début de soirée ce qui sous-entendait plusieurs heures d’attente avant le décollage et, évidemment, contrairement à un spatioport civil, celui des militaires était tout à fait spartiate. Rogue ne voulait pas se l’avouer mais il continuait à ne pas aimer le tour pris par les événements, surtout l’absence d’explication concernant leur choix pour une rencontre majeure avec l’ennemi. Vliclina avait été plutôt rassurante : une simple prise de contact, avait-elle assuré, durant laquelle il était hors de question que des décisions réellement importantes puissent être envisagées. Il n’empêche : le stenek n’aimait pas cela, lui qui était plutôt un homme d’action, d’être soudain devenu une sorte d’entité diplomatique. Prié d’attendre sur le sarcat [3], les mains derrière le dos, il tournait sur lui-même, l’air préoccupé, sous les yeux goguenards des gardes de la base. Toutes les vingt secondes, il projetait son regard vers le bâtiment principal du spatioport comme pour y découvrir quelque explication à sa présence sur ce terrain improbable. Il était sur le point de commencer à s’inquiéter réellement du retard de Velti lorsqu’il l’aperçue enfin, en compagnie d’un petit groupe de militaires en uniformes confédérés, très certainement sa garde rapprochée. Elle s’avança vers lui, et puisqu’il ne disait rien, se contentant de l’observer, c’est elle qui choisit de rompre le soudain silence.

                     - Je ne sais pas pour vous, mon cher ami Rogue, mais ce qui au départ devait être pour moi une simple entrevue de mise au point s’est transformé en une réunion bien plus longue au cours de laquelle on m’a prodigué force conseils et suggestions… et quelques ordres bien sentis évidemment… mais sans que je puisse jamais avoir une idée de pourquoi j’avais… nous avons été choisis. Je sais, ce sont les autres qui… mais chez nous, on doit bien avoir une petite idée, non ?

     Rogue haussa les épaules : les mêmes interrogations le taraudaient aussi. L’officier supérieur qui l’avait primitivement reçu, ayant noté l’arrivée de Velti, s’approcha de leur petit groupe. Il proposa que l’on se rende à bord de la spatiofuzz spéciale qui « leur était réservée » et dont le bilan de sécurité avant décollage était sur le point de se clore.

     Bien entendu, ni Rogue, ni Velti n’avaient la moindre idée de l’endroit où aurait lieu la prise de contact, ni avec qui. Le stenek était donc de fort mauvaise humeur tandis que sa compagne cachait sous un air faussement enjoué ses propres inquiétudes. Une surprise les attendait à bord : à peine eurent-ils franchi le deuxième sas et commencé à emprunter le couloir qui devait les mener au salon de repos qui leur était réservé qu’une forme plutôt imposante se matérialisa à leurs côtés. La jeune femme eut un mouvement de recul ce qui immobilisa immédiatement sa petite escorte, prête à intervenir.

                 - Delatary  ! s’exclama-t-elle.

                 - Delehatery, en fait, Madame. Pour vous servir.

     Rogue aurait dû se douter de la présence du grand droïde, rencontré au cours de leur promenade virtuelle sur Vargas. Étrangement, il fut soulagé par la présence de l’homme mécanique dont il avait pu apprécier la compétence… mais il est vrai qu’il s’agissait alors d’un monde inventé de toutes pièces.

               - Si vous en êtes d’accord, bien sûr, reprit le grand droïde, je me permettrai de vous accompagner jusqu’à la petite salle de repos, là, au bout de ce couloir, sur la droite. J’aimerais vous expliquer comment les choses pourraient se passer et même…

             - Eh bien, voilà enfin une bonne nouvelle  ! s’exclama Rogue. Parce que pour tout vous dire, mon cher Delehatery, nous commençons à nous impatienter quelque peu face à une mission assez mystérieuse, face à une entrevue… avec qui au fait ? Hmm, bon, oui, je suppose que vous allez très bientôt nous renseigner, n’est-ce pas ?       

               - Mais tout d’abord, Madame, Monsieur, poursuivit Delehatery, je vous propose de prendre possession de vos cubes de vie et peut-être qu’au préalable un rafraichissement ? Non ? Alors nous pourrions nous retrouver dans ce salon de repos dans… quelques instants… si cela vous convient, bien sûr.

     Velti, qui avait abandonné son escorte, ne prit que le temps de jeter un bref coup d’œil à sa cabine, austère et clairement fonctionnelle, avant de retrouver Rogue qui, après avoir déposé ses maigres bagages sur sa couchette, s’était dirigé vers le réfrigérateur à boissons occupant le ventre de sa table basse de réception (ou de travail, c’était selon). Dédaignant les boissons alcoolisées, il s’était décidé pour une eau « naturellement rupestre » d’Alcyone qui avait la particularité (il l’avait vérifié) de ne rien avoir affaire avec la géante bleue du même nom, et qu’il soupçonnait par ailleurs de ne pas être spécialement « rupestre » contrairement à ce que prétendait la publicité imbécile et mensongère de la marque. Devant l’impatience de Velti, il consentit à la suivre immédiatement vers le salon de repos où devait les espérer le grand robot.

     Effectivement, Delehatery les attendait au centre de la petite pièce et son apparence tranquille et insolite rappela soudain à Velti sa propre surprise quelques jours plus tôt lorsqu’elle l’avait découvert, sorti de nulle part au sein de la citadelle souterraine. Jouant les maitres de maison, l’homme mécanique multiplia les gestes de bienvenue mais, face à l’impatience contenue mais perceptible de ses hôtes, il décida d’en venir rapidement à l’explication de leur présence au sein de la spatiofuzz.

               -  Comme vous le savez déjà, j’agis selon les ordres de Monsieur Garendi que vous avez récemment virtuellement rencontré et il m’a chargé de vous accompagner à une rencontre qui devrait…

                        - Une rencontre avec qui ? demanda Rogue.

                         - Une rencontre avec des personnes importantes qui…

                       - Une rencontre avec qui ? répéta Rogue, d’une voix un peu plus forte.

                         - Il y aura probablement Monsieur Garendi mais…

                         - Mais ?

                   - Pour les autres participants, je ne sais rien, avoua Delehatery donnant l’impression de souffrir le martyre face à l’interrogatoire de ses invités.

                    - Et, bien entendu, vous ne savez pas où nous allons, hasarda Velti, restée jusque là muette.

                         - Ah mais si, ça je le peux, répondit le droïde de sa voix toujours mesurée. Nous sommes en route pour Soulika que nous atteindrons dans…

                   - Soulika ! s’exclamèrent les deux soldats en un synchronisme parfait avant que Velti ne reprenne :

                         - Soulika ? Soulika, la planète plaisir ? Mais, par Bergaël, qu’est-ce qu’on va faire là-bas ?

     Si Delehatery l’avait pu, il aurait certainement haussé les épaules d’impuissance : il ne savait pas.

     

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     [1] pour confédérés, traduction évidemment très approximative (NdT)

    [2]  Varna : conseil de guerre (Confédération)

    [3]  Le sarcat est une sorte de tarmac végétalisé exotique

     

     


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